LE COVID-19 AFFECTE AUSSI LE DROIT DE LA COMMANDE PUBLIQUE

 

boss is breaking a contract and throwing it into the bin while employee is behind surprised

 

Par Maître Thomas RICHET (Green Law Avocats)

La pandémie de coronavirus qui affecte aujourd’hui le territoire national et plus globalement notre planète dans sa totalité, aura nécessairement des répercussions sur les systèmes juridiques des pays touchés : le droit de la commande publique ne font pas exception.

L’on sait d’ailleurs que le principe de mutabilité des contrats publics témoigne d’emblée de la prégnance de l’intérêt public sur ceux du co-contractant privé : “l’administration peut modifier unilatéralement les conditions d’exécution de ses contrats en vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs” (CE 2 février 1983 Union des transports publics urbains et régionaux: RDP 1984 p. 212 – CE 11 mars 1910, COMPAGNIE GENERALE FRANCAISE DES TRAMWAYS, Lebon 216, concl. Blum D. 1912.3.49, concl. Blum ; S. 1911.3.1, concl. Blum, note Hauriou ; RD publ. 1910.270, note Jèze). C’est d’ailleurs un pouvoir auquel l’administration ne saurait renoncer (CE 6 mai 1985 Association Eurolat : AJDA 1985 p. 620).

De même les règles de passation peuvent être tout simplement écartées au nom de « circonstances impérieuses » (article R2322-4 du code de la commande publique). L’urgence impérieuse est circonscrite aux phénomènes extérieurs, imprévisibles et irrésistibles pour l’acheteur, comme, par exemple,  une catastrophe naturelle (tempête, inonda

tions ou séismes), la nécessité d’engager la recherche de victimes d’une catastrophe aérienne ou menaçant la sécurité des personnes (CAA Marseille,12 mars 2007, Commune de Bollène, n° 04MA00643) ou la survenance d’actes terroristes16.Ces situations peuvent justifier une action immédiate.

Mais le covid-19 ne semble pas souffrir le droit commun même si la commande publique prévoit intègre pourtant son adaptabilité aux circonstances exceptionnelles ! Le besoin de montrer que le gouvernement « fait » dans une société où les confinés ont d’autant plus le temps de prendre connaissance d’une production normatives démonstrative et bavarde  aura une fois de plus pris le dessus … plus que jamais, le droit c’est « quand dire c’est faire » … c’est là aussi que la force du droit (Bourdieu) réside

Certes l’épidémie de « covid-19 » affectera, et a déjà commencé à affecter, la passation et l’exécution des contrats publics. Songeons notamment aux procédures de passation en cours où les opérateurs économiques sont dans l’impossibilité d’apporter des réponses faute de moyens humain et matériel disponibles ; songeons également à l’exécution des chantiers qui ont été suspendus par peur de répandre le virus ; songeons encore à l’impossibilité d’exécuter certains contrats faute d’approvisionnement.

Les règles régissant les contrats publics ont donc été adaptées pour faire face à cette crise sanitaire mondiale et c’est l’objectif affiché par le Président de la République et le Gouvernement en adoptant l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n’en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de covid-19.

Décryptage…

  • Sur le champ d’application de l’ordonnance (art. 1er de l’ordonnance) :

Le champ d’application de l’ordonnance commentée est très large, tant d’un point de vue matériel que temporel.

Tout d’abord, et d’un point de vue matériel, l’ordonnance ne s’applique pas qu’aux contrats soumis au Code de la Commande Publique (CCP) (exemples : marchés, concessions, délégation de service public, etc.) mais vise également, de manière plus générale, les contrats publics qui ne sont pas soumis à ce code.

Elle s’applique donc également, par exemple, aux contrats portant occupation du domaine public.

Ensuite, et d’un point de vue temporel, l’ordonnance s’applique aux contrats publics précités qui ont été et seront conclus durant la période allant du 12 mars 2020 au 24 juillet 2020 (date à laquelle, en principe, l’état d’urgence sanitaire proclamé par la loi du 23 mars 2020 (voir notre article sur la promulgation de cette loi) prendra fin, augmentée d’une durée de deux mois).

Mais l’ordonnance s’applique également aux contrats publics qui sont en cours d’exécution durant cette période.

Enfin, il est important de relever que l’ordonnance prend le soin de préciser que ses dispositions « ne sont mises en œuvre que dans la mesure où elles sont nécessaires pour faire face aux conséquences, dans la passation et l’exécution de ces contrats, de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation. ».

Cette limite à l’application des règles dérogatoires instaurées par l’ordonnance fera sans aucun doute l’objet de vifs débats entre les cocontractants mais également devant le juge.

  • Sur l’impact de l’ordonnance s’agissant de la passation des contrats publics soumis au code de la commande publique (articles 2 et 3 de l’ordonnance) :

S’agissant des procédures de passation des contrats soumis au code de la commande publique, l’ordonnance impacte les délais de remises des candidatures et des offres (cf. Article 2 de l’ordonnance).

A ce titre, le texte fixe le principe d’une prolongation des délais de réception des candidatures et des offres dans les procédures de passation en cours pour une « durée suffisante », et ce, en vue de permettre aux opérateurs économiques de répondre. L’ordonnance semble ici mettre une obligation à la charge des acheteurs. Pour le dire autrement, il ne s’agit pas, à notre sens, d’une simple possibilité.

Cependant, dans l’hypothèse où le besoin ne peut souffrir d’aucun retard, le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice ne sont pas tenus d’appliquer ce principe. Il conviendra de justifier le recours à cette exception de manière rigoureuse sans quoi la procédure de passation pourrait faire l’objet d’une annulation dans le cadre, par exemple, d’un référé précontractuel.

Sur ce point, dès lors que l’ordonnance ne vise ici que les contrats soumis au code de la commande publique, les délais de remise des offres s’agissant des procédures de sélection préalable en matière d’occupation du domaine public ne seront, a priori, pas affectés.

Le texte impacte également les modalités de mise en concurrence qui pourront être aménagées par les acheteurs dans l’hypothèse où celles-ci ne peuvent pas être respectées. L’acheteur devra ici veiller à respecter le sacro-saint principe d’égalité de traitement des candidats en publiant, par exemple, un avis rectificatif modifiant le règlement de la consultation.

On pense ici plus particulièrement aux visites sur site ou encore aux réunions de négociation présentielles qui ne pourront manifestement plus avoir lieu.

  • Sur la prolongation de la durée d’exécution des contrats publics en cours d’exécution (art. 4 de l’ordonnance) :

Les contrats publics dont le terme était fixé durant la période du champ d’application temporel de l’ordonnance (cf. Art. 1er de l’ordonnance), pourront voir leur durée d’exécution être prolongée par avenant. Attention, il est nécessaire de pouvoir démontrer qu’une procédure de mise en concurrence ne pouvait pas être mise en œuvre.

S’agissant plus particulièrement des accords-cadres, la prolongation peut s’étendre au-delà des durées d’exécution fixées par le code de la commande publique, soit quatre ans pour les pouvoirs adjudicateurs et huit ans s’agissant des entités adjudicatrices.

S’agissant des concessions dans les domaines de l’eau potable, de l’assainissement, des ordures ménagères et des autres déchets, qui disposent d’une durée d’exécution strictement limitées à 20 ans par le code de la commande publique, la prolongation pourra aller au-delà de cette limite, et ce, sans l’examen préalable, en principe obligatoire, de l’autorité compétente visée à l’article L. 3114-8 du CCP.

Ces prolongations de durée d’exécution ne seront pas illimitées. En effet, l’ordonnance prévoit un garde-fou en indiquant que la prolongation ne pourra pas excéder celle de la période du champ d’application temporel de l’ordonnance (cf. Art. 1er de l’ordonnance), augmentée de la durée nécessaire à la remise en concurrence à l’issue de son expiration.

  • L’ordonnance impacte également les règles financières des marchés en modifiant le régime juridique des avances (art. 5 de l’ordonnance) :

Les acheteurs auront la possibilité de modifier les modalités de versement des avances. Ainsi, le taux des avances pourra être porté à un montant supérieur à 60 % du montant du marché ou du bon de commande. Cette modification devra intervenir nécessairement par la voie d’un avenant.

En outre les acheteurs ne seront plus tenus d’exiger la constitution d’une garantie à première demande pour les avances dont le taux est supérieur à 30% du montant du marché.

  • L’ordonnance comprend également de nombreuses dispositions visant à résoudre les difficultés d’exécution à venir des contrats publics (art. 6 de l’ordonnance) :

Anticipant les difficultés d’exécution des contrats publics auxquelles donnera lieu l’épidémie du covid-19, l’ordonnance impose des règles dérogatoires aux dispositions des contrats en cours d’exécution.

D’emblée, notons que dans l’hypothèse où le contrat exécuté comporterait des dispositions plus favorables au titulaire du contrat, ces dernières s’appliqueront au lieu et place des éléments qui suivent.

En premier lieu, et dans l’hypothèse où le titulaire du contrat ne serait pas en mesure de respecter ses délais d’exécution, l’ordonnance prévoit l’obligation de prolonger les délais d’exécution d’une durée au moins équivalente à celle du champ d’application temporel de l’ordonnance (cf. Art. 1er de l’ordonnance).

Cette disposition est également applicable dans l’hypothèse où le titulaire pourrait tenir les délais précités mais où cela impliquerait une « charge manifestement excessive ». Toute la difficulté sera de déterminer ce qui peut relever ou non d’une « charge manifestement excessive ».

Cette prolongation de la durée d’exécution est à l’initiative du titulaire qui doit en faire la demande auprès du pouvoir adjudicateur, et ce, avant l’expiration du délai contractuel.

En deuxième lieu, l’ordonnance tente également de régler l’hypothèse où un titulaire de contrat ou d’un bon de commande sera dans l’impossibilité d’exécuter pour partie ou en totalité ses obligations.

Dans une telle hypothèse, l’ordonnance prévoit d’abord que le titulaire ne peut pas être sanctionné, qu’il ne peut pas faire l’objet de pénalités ou encore que sa responsabilité contractuelle ne puisse pas être engagée.

En vue de sécuriser les sources d’approvisionnement, l’ordonnance prévoit cependant que l’acheteur peut conclure un « marché de substitution » avec un tiers pour satisfaire ses besoins qui ne peuvent souffrir d’aucun retard. Le titulaire sera alors dans l’impossibilité d’opposer une clause d’exclusivité, ni engager la responsabilité de l’acheteur pour ce motif. Le marché dit de substitution ne pourra en outre pas être exécuter aux frais et aux risques du titulaire.

En troisième lieu, l’ordonnance prévoit également les conséquences de l’annulation d’un bon de commande ou de la résiliation d’un marché par l’acheteur du fait de l’état d’urgence sanitaire. L’acheteur sera alors tenu d’indemniser le titulaire des dépenses d’ores et déjà engagées pour l’exécution des prestations objets du bon de commande ou du marché résilié.

Le texte commenté prévoit également, en quatrième lieu, le cas de la suspension, par l’acheteur, de l’exécution d’un marché à prix forfaitaire. Dans cette hypothèse, l’acheteur est tenu de procédait au règlement du marché sans délai et selon les modalités et pour les montants prévus dans le contrat.

A l’issue de cette période de suspension, un avenant devra être conclu entre l’acheteur et le titulaire du contrat en vue soit de déterminer les éventuelles modifications nécessaires du contrat, sa reprise à l’identique, soit sa résiliation. L’avenant devra également déterminer les sommes dues au titulaire ou à l’acheteur.

Il ne fait aucun doute que la négociation de ces avenants devra faire l’objet d’une attention toute particulière de la part des acheteurs et des opérateurs économiques et que l’accompagnement d’un conseil est fortement recommandé.

En cinquième et dernier lieu, et s’agissant plus particulièrement des concessions, l’ordonnance prévoit un règlement financier favorable aux concessionnaires lorsque les concessions sont suspendues par les concédants. En effet, dans une telle hypothèse le concessionnaire n’est plus tenu de verser les sommes dues au concédant. En revanche, et si sa situation le justifie, il peut solliciter une avance sur le versement des sommes dues par son cocontractant.

Selon nous, cette dernière demande devra être particulièrement justifiée au regard notamment de la situation financière du concessionnaire.

En outre, et dans l’hypothèse où la concession n’a pas été suspendue mais que ses conditions d’exécution ont été significativement modifiées par le concédant, l’ordonnance prévoit que le concessionnaire doit être indemnisé du surcoût résultant de l’exécution, même partielle, de sa concession, lorsque la poursuite de cette exécution impose la mise en œuvre de moyens supplémentaires, non-prévus initialement au contrat, et qui représentent une charge manifestement excessive au regard de la situation financière du concessionnaire.

A notre sens, ces dernières dispositions nous semblent directement inspirées de la jurisprudence « Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux » (Conseil d’Etat, du 30 mars 1916, n° 59928, publié au recueil Lebon).

A la lecture de ces différentes dispositions, il est clair que l’ordonnance poursuit un double objectif : permettre aux opérateurs économiques de supporter les conséquences économiques de la crise sanitaire actuelle et sécuriser les voies d’approvisionnement des acheteurs. Cependant, au regard des nombreuses interrogations et zones d’ombres qui affectent encore ce texte, et dont une partie seulement a été soulevée dans ce modeste commentaire, les personnes publiques et leur cocontractant devront être particulièrement vigilants quant à sa mise en œuvre s’ils souhaitent que leurs opérations soient sécurisées juridiquement.

Pour toute question complémentaire que susciterait cette ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020, vous pouvez prendre attache avec notre boite dédiée pendant la période de confinement : covid19@green-law-avocat.fr