La loi relative à l’état d’urgence sanitaire promulguée

Vote des lois au parlement et publication au journal officielPar Maître David DEHARBE (Avocat gérant, Green Law Avocats)

Avec une rapidité extrême et dans un contexte particulier, le Parlement vient d’adopter dimanche 22 mars 2020 le projet de loi dit « d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 ».  La loi a été promulguée le 23 mars 2020.

La LOI n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a été publiée au Journal officiel du 24 mars 2020.

La loi comprend trois titres :

  • Le Titre Ier organise les modalités de report du deuxième tour des élections municipales qui aurait dû se dérouler le 22 mars 2020 ;
  • Le Titre II instaure un dispositif d’urgence sanitaire ;
  • Le Titre III porte sur les mesures d’urgence économique et d’adaptation à la lutte contre l’épidémie et comporte une série d’habilitation à légiférer dans des domaines variés.

Le Conseil d’État avait rendu le 18 mars 2020 son avis sur le projet de loi dans sa version initiale.

1. Sur le report du deuxième tour des élections municipales et les mesures relatives à la gouvernance des collectivités territoriales

La loi reporte le second tour des élections municipales « au plus tard au mois de juin 2020 », la date précise sera fixée par un décret en conseil des ministres.

Cependant, l’organisation du scrutin restera conditionnée par les conclusions d’un rapport devant être remis par le comité scientifique placé auprès du Gouvernement devant être remis le 10 mai 2020.

Après avoir rappelé que « le report du second tour d’un scrutin politique est sans précédent dans notre histoire politique contemporaine », le Conseil d’Etat considère que ce report « est justifié par les circonstances exceptionnelles nées de la propagation du virus Covid-19 et des mesures qu’il est nécessaire de mettre urgemment en œuvre pour faire face efficacement au danger qu’il représente pour la santé publique ». Le Conseil d’Etat note encore que le report « est strictement encadré dans le temps, puisque le second tour doit se tenir dans un délai de trois mois ».

Les conseillers municipaux et communautaires qui ont été élus au premier tour entrent en fonction à une date fixée par décret, au plus tard au mois de juin, après avis du comité de scientifiques. La première réunion du conseil municipal de tient au plus tôt cinq jours et au plus tard dix jours après cette entrée en fonction. Le mandat des conseillers en exercice avant le 15 mars 2020 est prolongé jusqu’à cette date.

En revanche, par dérogation, dans les communes de moins de 1 000 habitants où moins de la moitié des conseillers municipaux ont été désignés, ceux-ci n’entreront en fonctions qu’à l’issue du second tour, le mandat des conseillers municipaux et communautaires actuels étant alors prorogé jusqu’au second tour.

Dans son avis, le Conseil d’Etat ne voit dans cette mesure qu’une « atteinte limitée » à l’expression du suffrage, et estime qu’en visant à permettre la continuité du fonctionnement des collectivités concernées lorsque celles-ci ne disposent pas encore du nombre d’élus requis pour composer le conseil municipal, cette décision poursuit un motif d’intérêt général suffisant.

On notera enfin que la loi comporte des mesures destinées à régir le fonctionnement des organes délibérants des communes et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) jusqu’au second tour. Ainsi :

– dans les communes de moins de 1 000 habitants où le conseil municipal n’a pas été élu au complet, le maire et les adjoints seront élus de façon temporaire.

– certains EPCI verront cohabiter des conseillers communautaires dont le mandat a été prorogé avec des conseillers nouvellement élus. En outre, le président et les vice-présidents de ces EPCI seront élus temporairement jusqu’à l’issue du second tour.

2. Sur l’état d’urgence sanitaire

L’objectif premier de la loi n°2020-290 est d’instaurer un état d’urgence sanitaire, soit un régime juridique exceptionnel devant s’appliquer en cas de catastrophe sanitaire, notamment d’épidémie mettant en péril la santé de la population. Le Gouvernement considère qu’actuellement, aucun cadre juridique n’existe pour faire face à de telles hypothèses, alors que certains scientifiques évoquent la nécessité d’un confinement plus long (six semaines minimum) et aux modalités plus strictes pour faire face à la crise actuelle.

Le Conseil d’Etat a également salué cette initiative, estimant que si la théorie jurisprudentielle des circonstances exceptionnelles a pu fonder le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19 et si l’article
L. 3131-1 du code de la santé publique a servi de fondement juridique aux mesures prises par le ministre de la santé, « l’existence d’une catastrophe sanitaire rend utile un régime particulier de l’état d’urgence pour disposer d’un cadre organisé et clair d’intervention en pareille hypothèse ».

Pour mémoire, au titre de la théorie jurisprudentielle des circonstances exceptionnelles dégagée par le Conseil d’Etat, l’Administration peut prendre des mesures qui, en temps normal, seraient considérées comme illégales ou constitutives de voies de fait, pour autant qu’il ne lui soit pas possible d’agir légalement (CE, 38 juin 1918, Heyriès, Rec. CE 1918, p. 651, GAJA, Sirey, n°35, CE 28 février 1919, Dames Dol et Laurent, Rec. CE 1919, p. 208, GAJA, Sirey, n°37).

Concrètement, la loi prévoit que l’état d’urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire « en cas de catastrophe sanitaire, notamment d’épidémie mettant en jeu par sa nature et sa gravité, la santé de la population », par décret en Conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Cet état d’urgence activé par décret ne peut l’être que pour une durée d’un mois : toute prorogation ne pourra être autorisée que par la loi, qui fixe sa durée définitive. Dans la version initiale du projet, le délai était de douze jours mais le Conseil d’Etat a recommandé de le porter à un mois.

On notera qu’aux termes du texte, les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire qui ont motivé la décision sont rendues publiques.

A titre dérogatoire, la loi n°2020-290 prévoit elle-même un déclenchement de l’état d’urgence pour lutter contre le Covid-19 pour une durée de 2 mois à compter de l’entrée en vigueur du texte.

L’on peut s’interroger sur la définition précise et la portée des termes de « catastrophe sanitaire » permettant de déclencher ce type d’état d’urgence.

Sur ce point, il est possible de se référer au droit international et au vocabulaire employé par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). A titre d’exemple, le Règlement Sanitaire International de 2005-2007 adopté par cette organisation définit la notion d’urgence de santé publique de portée internationale comme un « événement extraordinaire dont il est déterminé […] qu’il constitue un risque pour la santé publique dans d’autres États en raison du risque de propagation internationales de maladies et qu’il peut requérir une action internationale coordonnée » (art. 1er du Règlement).

En cas d’urgence sanitaire, la loi modifie le code de la santé publique et prévoit que le Premier ministre ait notamment le pouvoir de prendre par décret pris sur rapport du ministre de la santé :

– des mesures de restriction ou d’interdiction de circulation, temporellement et géographiquement délimitées ;

– des mesures de mise en quarantaine, au sens de l’article 1er du Règlement Sanitaire International de 2005 précité, ainsi que des mesures de placement en isolement ;

– des mesures de fermeture d’établissements recevant du public (à l’exception des établissements de fournitures et biens et services essentiels) et des mesures limitant ou interdisant les rassemblements sur la voie publique et les « réunions de toute nature » ;

– des mesures permettant l’interdiction du déplacement de toute personne hors de son domicile, suivant en cela les recommandations du Conseil d’Etat qui avait suggéré d’inclure cette hypothèse dans la loi.

Enfin, l’on s’étonnera qu’à la fin de cette liste des pouvoirs déjà étendus conférés au Premier ministre en cas d’urgence sanitaire ait été intégrée une disposition « balai » rédigée dans des termes extrêmement larges : « En tant que de besoin, prendre toute autre mesure générale nécessaire limitant la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre et la liberté de réunion, dans la seule finalité de mettre fin à la catastrophe sanitaire […] ».

Dans le même temps, le ministre de la santé est habilité à « prescrire toute mesure individuelle nécessaire à l’application des mesures prescrites par le Premier ministre ». En outre, le Premier ministre et le ministre de la santé peuvent habiliter le « représentant de l’État territorialement compétent » à « prendre toutes les mesures générales ou individuelles d’application de ces dispositions », sous réserve d’en informer le procureur de la République territorialement compétent.

Des sanctions sont prévues pour les personnes qui ne respecteraient pas les mesures imposées :

– l’amende prévue pour les contraventions de 4e classe (amende pouvant aller jusqu’à 750 euros) est ainsi prévue en cas de violation des mesures prévues au titre de l’état d’urgence sanitaire ;

– en cas de récidive dans un délai de quinze jours, une amende prévue pour les contraventions de la 5e classe peut être prononcée (1 500 euros) ;

–  en cas de violation à plus de trois reprises dans un délai de 30 jours des interdictions et limitations ordonnées, le contrevenant s’expose à une peine d’emprisonnement de six mois ainsi qu’à une amende de 3 750 euros, pouvant être assortie d’une condamnation à une peine d’intérêt général ainsi qu’à une suspension du permis de conduire de trois années au plus.

Il importe de souligner que le texte rappelle que toutes les mesures individuelles prises pourront être contestées devant le juge administratif et en particulier faire l’objet d’un « référé-liberté » au titre de l’article L521-2 du code de justice administrative.

Bien évidemment les avocats de Green Law, tous en télétravail, seront particulièrement attentifs et disponibles sur cette période pour accompagner les justiciables qui pourraient légitimement se penser victimes d’un abus de l’administration.

Un mail dédié pour entrer en contact avec un avocat associé est à cet effet mis en place par le cabinet :  covid19@green-law-avocat.fr

3. Les mesures d’ordre économique

Enfin, la loi a également pour objet d’édicter un certain nombre de mesures destinées à juguler l’impact économique de la crise sanitaire actuelle.

Tout d’abord, la loi habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance « toute mesure », afin de « faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid‑19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation, et notamment afin de prévenir et limiter la cessation d’activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations ainsi que ses incidences sur l’emploi ».

Sans prétendre à l’exhaustivité, le texte prévoit que ces mesures consisteront notamment en :

– la mise en place de mesures de soutien à la trésorerie de ces personnes,

– la limitation des ruptures des contrats de travail et l’atténuation des effets de la baisse d’activité, en facilitant et en renforçant le recours à l’activité partielle pour toutes les entreprises,

– la permission à tout employeur d’imposer ou de modifier unilatéralement les dates des jours de réduction du temps de travail, des jours de repos prévus par les conventions de forfait et des jours de repos affectés sur le compte épargne temps du salarié,

– la modification, dans le respect des droits réciproques, des obligations des personnes morales de droit privé exerçant une activité économique à l’égard de leurs clients et fournisseurs ainsi que des coopératives à l’égard de leurs associés‑coopérateurs, notamment en termes de délais de paiement et pénalités et de nature des contreparties,

– la possibilité de reporter intégralement ou d’étaler le paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels et commerciaux et de renoncer aux pénalités financières et aux suspensions, interruptions ou réductions de fournitures susceptibles d’être appliquées en cas de non‑paiement de ces factures,

– etc.

En outre, il convient de noter que la loi a également pour objet de permettre au Gouvernement de prendre des ordonnances destinées à adapter « les délais et procédures applicables au dépôt et au traitement des déclarations et demandes présentées aux autorités administratives, les délais et les modalités de consultation du public ou de toute instance ou autorité, préalables à la prise d’une décision par une autorité administrative et, le cas échéant, les délais dans lesquels cette décision peut ou doit être prise ou peut naitre ainsi que les délais de réalisation par toute personne de contrôles, travaux et prescriptions de toute nature imposées par les lois et règlements, à moins que ceux‑ci ne résultent d’une décision de justice ».

Par cette disposition, la loi n° 2020-390 entend anticiper les nombreux bouleversements qui affecteront le déroulement des procédures administratives, lesquelles sont parfois enserrées dans des délais de traitement qui s’avéreront impossibles à tenir (on pense par exemple à la procédure d’instruction de l’autorisation environnementale encadrée dans des délais déterminés).

Mais bien plus encore, c’est le droit des procédures civiles, pénales et du contentieux administratifs qui s’apprête à connaître un aménagement ponctuel et dérogatoire, le gouvernement étant sur la base de l’article 11 de la loi habilité à prendre des ordonnances :

« c) Adaptant, aux seules fins de limiter la propagation de l’épidémie de covid-19 parmi les personnes participant à la conduite et au déroulement des instances, les règles relatives à la compétence territoriale et aux formations de jugement des juridictions de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire ainsi que les règles relatives aux délais de procédure et de jugement, à la publicité des audiences et à leur tenue, au recours à la visioconférence devant ces juridictions et aux modalités de saisine de la juridiction et d’organisation du contradictoire devant les juridictions ;

d) Adaptant, aux seules fins de limiter la propagation de l’épidémie de covid-19 parmi les personnes participant à ces procédures, les règles relatives au déroulement des gardes à vue, pour permettre l’intervention à distance de l’avocat et la prolongation de ces mesures pour au plus la durée légalement prévue sans présentation de la personne devant le magistrat compétent, et les règles relatives au déroulement et à la durée des détentions provisoires et des assignations à résidence sous surveillance électronique, pour permettre l’allongement des délais au cours de l’instruction et en matière d’audiencement, pour une durée proportionnée à celle de droit commun et ne pouvant excéder trois mois en matière délictuelle et six mois en appel ou en matière criminelle, et la prolongation de ces mesures au vu des seules réquisitions écrites du parquet et des observations écrites de la personne et de son avocat ».

On ajoutera que la voie des ordonnances n’était pas juridiquement adaptée pour aménager temporairement le mécanisme dit de la QPC (question prioritaire de constitutionnalité) encadré par la constitution et la loi organique.

En effet l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel prévoit que la procédure de question prioritaire de constitutionnalité (QPC) est encadrée par des délais devant le Conseil d’État et la Cour de cassation ainsi que devant le Conseil constitutionnel.

Dans la mesure où l’épidémie de Covid-19 empêche ces juridictions de se réunir en formation collégiale, le projet de loi organique adopté par le Sénat le 19 mars 2020 puis par l’AN le 22 mars 2020 suspend jusqu’au 30 juin 2020 :

  • d’une part, le délai de trois mois au terme duquel le Conseil d’État et la Cour de cassation doivent transmettre, après examen, une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel ;
  • d’autre part, le délai de trois mois pendant lequel le Conseil constitutionnel se prononce sur une question transmise.

Le 23 mars 2020, le Conseil constitutionnel a été saisi par le Premier ministre du projet de loi avant sa promulgation. Cette saisine obligatoire est prévue par l’article 61 alinéa 1 de la Constitution.

La lecture de la LOI n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 confirme que, pendant ce premier état d’urgence sanitaire, les impacts de l’épidémie seront nombreux, profonds et durables ; qu’il s’agisse des atteintes à la liberté individuelle résultant de l’impératif sanitaire ou des bouleversements économiques et administratifs que les mesures prises par ordonnance vont inévitablement appeler. De par leur importance et leur caractère inédit, ces changements appelleront nécessairement une demande de conseil juridique et d’assistance en cas de contentieux à laquelle le cabinet Green Law Avocats se tient prêt à répondre depuis une boîte mail dédiée pour centraliser les prises de contacts :  covid19@green-law-avocat.fr