Fonction publique : le droit de se taire, questions et réponses
Par Frank ZERDOUMI, juriste (Green Law Avocats)
En droit de la fonction publique, le droit de se taire constitue une grande nouveauté en matière disciplinaire, contrairement à l’obligation de communication du dossier, très ancienne, puisqu’elle remonte à la loi du 22 avril 1905 portant fixation du budget des dépenses et des recettes de l’exercice 1905.
C’est l’article 65 de cette loi qui a consacré le principe :
« Tous les militaires, tous les employés et ouvriers de toutes administrations publiques ont droit à la communication personnelle et confidentielle de toutes les notes, feuilles signalétiques et tous autres documents composant leur dossier, soit avant d’être l’objet d’une mesure disciplinaire ou d’un déplacement d’office, soit avant d’être retardé dans leur avancement à l’ancienneté. ».
M. B a intégré la magistrature judiciaire en 1994 : à partir du 17 décembre 2010, il a exercé les fonctions de vice-procureur de la République près le Tribunal judiciaire de Bordeaux.
Le 30 novembre 2023, le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, a prononcé à son encontre la sanction de déplacement d’office en application du 2° de l’article 45 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature (JORF du 23 décembre 1958), après avoir recueilli l’avis motivé de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du parquet, suite à l’enquête de l’Inspection générale de la justice.
D’abord, M. B aurait manqué à ses devoirs de loyauté, d’impartialité et de probité, pour avoir dirigé pendant près de quinze mois une enquête pénale sensible et d’une ampleur certaine, en dehors de ses attributions et sans en informer sa hiérarchie, alors qu’il connaissait à titre professionnel et privé la fille de l’une des victimes.
Ensuite, M. B aurait manqué à son devoir de délicatesse, du fait d’insuffisances professionnelles persistantes révélant qu’il ne s’inscrivait pas dans la collectivité du travail du parquet.
Enfin, la décision a également relevé l’état de santé défaillant de M. B, tout en estimant qu’il ne saurait l’exonérer de manquements déontologiques établis.
Le 14 décembre 2023, M. B a saisi le Conseil d’État afin de lui demander l’annulation pour excès de pouvoir de cette sanction.
Le 26 juin 2024, le Conseil constitutionnel a consacré l’obligation d’information du magistrat mis en cause du droit qu’il a de se taire dans le cadre d’une procédure disciplinaire (CC, 26 juin 2024, M. Hervé A, n° 2024-1097 QPC, point 9).
Fort de cette décision, le 12 juillet 2024, M. B a déposé un mémoire dans lequel il a invoqué cette déclaration d’inconstitutionnalité, étant précisé que, dans la mesure où sa requête a été introduite à la date de publication de cette décision mais non jugée définitivement, il pouvait naturellement le faire.
D’après le requérant, la décision attaquée du Garde des Sceaux a été rendue au terme d’une procédure irrégulière, dans la mesure où il a été entendu sur les manquements qui lui étaient reprochés sans avoir jamais été préalablement informé du droit qu’il avait de se taire.
Précisément, il affirmait n’avoir pas été informé de ce droit alors qu’il aurait dû l’être, et ce à aucun moment : ni au cours de l’enquête administrative engagée à la suite de la révélation des faits litigieux, ni au cours de la procédure disciplinaire engagée contre lui, ni devant le Conseil supérieur de la magistrature, ni par le Garde des Sceaux avant que ce dernier ne prenne la sanction contestée.
Quel est le champ d’application temporel des enquêtes conduites par l’Administration avant ou en parallèle de poursuites disciplinaires ?
Quelles sont les conséquences d’un défaut de notification dans une procédure de sanction administrative ?
Quelles sont les modalités de notification du droit de se taire ?
Le Conseil d’État a répondu à ces trois questions, apportant ainsi quelques avancées bienvenues dans l’approche de cette nouvelle règle juridique (décision commentée : CE, 19 décembre 2024, n° 490157).
L’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose que :
« Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. ».
Dans un premier temps, le juge administratif apporte des précisions à l’article 9 de la DDHC :
« Il en résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition » (décision commentée : CE, 19 décembre 2024, n° 490157, point 2).
Dans un second temps, le Conseil d’État pose le cadre juridique du droit de se taire aux agents publics :
« De telles exigences impliquent que l’agent public faisant l’objet d’une procédure disciplinaire ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire. À ce titre, il doit être avisé, avant d’être entendu pour la première fois, qu’il dispose de ce droit pour l’ensemble de la procédure disciplinaire. Dans le cas où l’autorité disciplinaire a déjà engagé une procédure disciplinaire à l’encontre d’un agent et que ce dernier est ensuite entendu dans le cadre d’une enquête administrative diligentée à son endroit, il incombe aux enquêteurs de l’informer du droit qu’il a de se taire. En revanche, sauf détournement de procédure, le droit de se taire ne s’applique ni aux échanges ordinaires avec les agents dans le cadre de l’exercice du pouvoir hiérarchique, ni aux enquêtes et inspections diligentées par l’autorité hiérarchique et par les services d’inspection ou de contrôle, quand bien même ceux-ci sont susceptibles de révéler des manquements commis par un agent » (décision commentée : CE, 19 décembre 2024, n° 490157, point 3).
Mais aucun des moyens soulevés par M. B ne justifie l’annulation de la sanction : ni celui tiré de l’absence de notification, ni l’absence d’information lors de sa comparution devant le Conseil supérieur de la magistrature, ni celle reprochée au Garde des Sceaux.
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