Publication définitive du régime afférent aux réseaux intérieurs des bâtiments (Loi du 30 déc.2017)

Par Me Jérémy TAUPIN- Green Law Avocats L’article 16 de la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l’énergie et à l’environnement est venu fixer le régime afférent aux réseaux intérieurs des bâtiments. Un nouveau chapitre V est ainsi inséré au titre IV du livre III du code de l’énergie, qui distingue les réseaux publics de distribution et les réseaux fermés des réseaux intérieurs. Pour rappel, dans l’attente du cadre réglementaire définitif relatif aux réseaux fermés de distribution (voir notre précédent article sur le cadre législatif via ce lien), et suite à l’arrêt de la Cour d’appel de Paris dit « Valsophia » (n°2015-15157 du 12 janvier 2017) la rapporteur de ce qui n’était encore que projet de loi avait entendu sécuriser et pérenniser le schéma de raccordement à emploi unique des bâtiments tertiaires. Nous en faisions déjà état au sein d’un autre article. La rédaction des articles n’a pas été modifiée depuis leur dernière version. Ainsi, la définition posée par le nouvel article L. 345-1 énonce : « Les réseaux intérieurs sont les installations intérieures d’électricité à haute ou basse tension des bâtiments définis à l’article L. 345‑2 lorsqu’elles ne constituent pas un réseau public de distribution d’électricité tel que défini au dernier alinéa du IV de l’article L. 2224‑31 du code général des collectivités territoriales ni un réseau fermé de distribution d’électricité tel que défini à l’article L. 344‑1 du présent code. » L’article L. 345-2 circonscrit ce type de réseau aux immeubles de bureaux, en énonçant que : « Les réseaux intérieurs peuvent être installés dans les immeubles de bureaux qui appartiennent à un propriétaire unique.  Ne peuvent être qualifiées de réseaux intérieurs les installations électriques alimentant : 1° Un ou plusieurs logements ; 2° Plusieurs bâtiments non contigus ou parties distinctes non contiguës d’un même bâtiment ; 3° Un bâtiment appartenant à plusieurs propriétaires. » Ce nouveau chapitre ne crée donc pas de statut spécifique pour les gestionnaires de ces réseaux intérieurs (à l’inverse des réseaux fermés de distribution) mais permet de réduir les risques de contentieux futurs pour ces réseaux spécifiques. Il existe donc une distinction claire entre les trois types distincts de réseaux que sont désormais : les réseaux intérieurs des bâtiments; les réseaux fermés de distribution d’électricité ; les réseaux publics de distribution et de transport d’électricité; Les conditions encadrant la mise en œuvre d’un réseau intérieur de bâtiment sont ensuite précisées par les articles L. 245-3 à L.345-7 du code de l’énergie. Ainsi, le raccordement d’un utilisateur à un réseau intérieur d’un bâtiment : ne peut faire obstacle à l’exercice par un consommateur des droits relatifs au libre choix de son fournisseur prévus à l’article L. 331-1 ; ne peut pas non plus faire obstacle au droit de participation au mécanisme d’effacements de consommation mentionné à l’article L. 321-15-1 ; (article L. 345-3 du code de l’énergie) ne peut pas porter atteinte au droit pour un producteur de bénéficier de l’obligation d’achat, des garanties d’origine ou du complément de rémunération (article L. 345-4 du code de l’énergie) Pour l’application de ces articles, un dispositif de décompte de la consommation ou de la production d’électricité est installé par le gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité. Les réseaux intérieurs des bâtiments doivent également satisfaire aux conditions techniques et de sécurité fixées dans les normes applicables aux installations électriques intérieures (Art. L. 345-6 du code de l’énergie) Enfin, la possibilité d’un abandon du réseau intérieur, qui devient une obligation en cas de division ou d’une vente partielle de l’immeuble de bureaux, est envisagée par l’article L.345-7 du code de l’énergie: « Le propriétaire d’un réseau intérieur tel que défini à l’article L. 345-1 peut abandonner ses droits sur ledit réseau en vue de son intégration au réseau public de distribution auquel il est raccordé, après remise en état à ses frais, pour satisfaire aux conditions techniques et de sécurité prises en application de l’article L. 323-12. À l’occasion d’une division ou d’une vente partielle de l’immeuble mentionné au premier alinéa de l’article L. 345-2, il y est obligé, sous la même condition de remise en état à ses frais, et le gestionnaire du réseau auquel il est raccordé est tenu de l’accepter. » L’ensemble de ces dispositions législatives doivent, à l’instar de celles ayant trait aux réseaux fermés de distribution, encore faire l’objet d’un décret d’application.

Plan de prévention des risques technologiques : une nouvelle application de la jurisprudence Commune de Saint-Bon-Tarentaise (CE, 6 déc.2017)

  Par Me Fanny Angevin- Green Law Avocats   Par une décision en date du 6 décembre 2017 (CE, n°400735, Mentionné aux Tables), le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la question de savoir si la jurisprudence du Conseil d’Etat Commune de Saint-Bon-Tarentaise du 5 mai 2017 n°388902 pouvait s’appliquer à la concertation organisée pour l’élaboration d’un plan de prévention des risques technologiques. La décision Commune de Saint-Bon-Tarentaise avait mis fin à la jurisprudence Commune de Sainte-Lunaire, en considérant que l’illégalité de la délibération prescrivant l’élaboration ou la révision d’un plan local d’urbanisme ne pouvait être utilement invoquée contre la délibération approuvant le plan local d’urbanisme. C’est donc une décision intéressante pour les PPRT. Les plans de prévention des risques technologiques (PPRT) sont encadrés par les articles L. 515-15 et suivants du code de l’environnement. Ces plans visent à réguler l’urbanisation autour de certaines installations dangereuses et à ces fins, peuvent prévoir des interdictions et des prescriptions particulières pour les constructions ou ouvrages environnants. La procédure d’élaboration d’un plan de prévention des risques technologiques est encadrée par l’article L. 515-22 du code de l’environnement. Cet article prévoit classiquement trois étapes à la procédure d’élaboration du plan : la concertation, la consultation des personnes associées et l’enquête publique. Par ailleurs, l’article L. 515-22 du code de l’environnement, en ce qui concerne la concertation, opère un renvoi vers les dispositions du code de l’urbanisme (ancien article L. 300-2 du code de l’urbanisme aujourd’hui aux articles L. 103-2 et suivants du code de l’urbanisme). C’est donc avec la même logique de concertation d’un document d’urbanisme que la procédure de concertation d’un plan de prévention des risques technologiques est en principe élaborée. Dans l’affaire présentée devant le Conseil d’Etat, les préfets d’Indre-et-Loire et du Loir-et-Cher avaient prescrit l’élaboration du plan de prévention des risques technologiques visant à délimiter un périmètre de sécurité autour du site naturel de stockage souterrain de gaz au lieu-dit « Les Gerbaults » (Commune de Céré-la-Ronde). Par un arrêté commun en date des 19 et 24 décembre 2013, le plan a été approuvé. Une association de riverains et un particulier ont ensuite attaqué cet arrêté devant le Tribunal administratif d’Orléans, qui a l’a annulé par un jugement en date du 10 février 2015 au regard de l’insuffisante précision des modalités de concertation dans la délibération initiale. La Cour administrative d’appel de Nantes, par une décision en date du 15 avril 2016 n°15NT01185, a confirmé l’annulation du Tribunal administratif d’Orléans par adoption des motifs. Le Ministre s’est donc pourvu en cassation, soutenant que le moyen tiré de l’insuffisance des modalités de concertation qui sont définies initialement dans la délibération prescrivant l’élaboration du plan de prévention des risques technologiques, était inopérant à l’encontre de la délibération ayant ultérieurement approuvé le même plan. Le Conseil d’Etat avait donc à examiner la question relative à l’application de sa récente jurisprudence Commune de Saint-Bon-Tarentaise du 5 mai 2017 (relative à un PLU) à l’élaboration d’un plan de prévention des risques technologiques. Pour plus de clarté, il convient de revenir sur l’apport de la jurisprudence précitée. En effet, l’article L. 300-2 du code de l’urbanisme dans sa version applicable au litige (aujourd’hui codifié aux articles L. 103-2 et suivants du même code) indiquait que : « Les objectifs poursuivis et les modalités de la concertation sont fixés par […] le préfet […]. ». Or, depuis 2010, le Conseil d’Etat considérait de manière constante que la délibération prévoyant les modalités de concertation avec les habitants, les associations locales et les autres personnes concernées ainsi que les objectifs poursuivis par la commune en projetant d’élaborer ou de réviser un document d’urbanisme, constituait dans ces deux volets, une formalité substantielle dont la méconnaissance entachait d’illégalité le document d’urbanisme approuvé (CE, 10 février 2010, Commune de Sainte-Lunaire, n°327149). Il convient d’ailleurs de noter que le document d’urbanisme approuvé était entaché d’illégalité et ce alors même que la concertation aurait respecté les modalités définies par le conseil municipal (arrêt précité du10 février 2010, n°327149). Cette jurisprudence avait entraîné l’annulation de nombreuses délibérations adoptant un plan local d’urbanisme qui emportaient ainsi l’annulation du document d’urbanisme (voir notamment à ce titre : CAA Douai, 27 novembre 2014, n°13DA01104 ; CAA Marseille, 13 avril 2016, n°15MA02002 ; CAA Nancy, 2 juillet 2015, n°14NC01767 ; CAA Versailles, 11 mai 2015, n°13VE00583 ; CAA Douai, 30 avril, 2015, n°14DA01249), ce qui pouvait avoir de lourds impacts pour les finances communales. Il convient néanmoins de noter que l’article L. 300-2 indiquait en son 5e alinéa que « Les documents d’urbanisme et les opérations mentionnées aux I et II ne sont pas illégaux du seul fait des vices susceptibles d’entacher la concertation, dès lors que les modalités définies par la décision ou la délibération prévue au II ont été respectées. ». Le Conseil d’Etat a progressivement donné plus d’importance à cette disposition, afin d’éviter qu’une irrégularité qui s’est déroulée en début de procédure conduise à l’annulation du document d’urbanisme (voir notamment CE, 8 octobre 2012, n°338760). Ainsi, dans la décision précitée Commune de Saint-Bon-Tarentaise, le Conseil d’Etat a mis fin à la jurisprudence Commune de Sainte-Lunaire, en considérant que l’illégalité de la délibération prescrivant l’élaboration ou la révision d’un plan local d’urbanisme ne pouvait être utilement invoquée contre la délibération approuvant le plan local d’urbanisme. En effet, la Haute juridiction a estimé dans cette décision que : « si cette délibération est susceptible de recours devant le juge de l’excès de pouvoir, son illégalité ne peut, en revanche, eu égard à son objet et à sa portée, être utilement invoquée contre la délibération approuvant le plan local d’urbanisme » (CE, 5 mai 2017, n°388902). Le Rapporteur public dans cette affaire avait d’ailleurs précisé qu’il s’agissait « d’estimer, du fait des particularités de cette procédure, que cette irrégularité du tout premier acte est structurellement sans influence sur le dernier. » (Conclusions M. Louis DUTHEILLET de LAMOTHE sur CE, 5 mai 2017, n°388902). Le revirement de jurisprudence du Conseil d’Etat visait donc à instaurer le fait que la délibération prescrivant l’élaboration ou la révision d’un document d’urbanisme est attaquable dans les délais de recours normaux, mais que…

Eolien : Développez avant de taxer !

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Le 20 septembre 2017, la Cour de Justice de l’Union européenne(C.J.U.E., 20 septembre 2017, C-215/16, C-216/16, C-220/16, C-221/16 consultable ici) a rendu un arrêt qui peut faire réfléchir sur les rasions d’être du développement éolien, même à l’heure où la lutte contre le réchauffement climatique semble s’être imposé comme un objet de l’Union européenne Suite à plusieurs questions préjudicielles posées par le Tribunal Superior de Justicia de Castilla-La Mancha en Espagne (Cour supérieure de justice de Castille-La Manche), la CJUE a en effet jugé que le droit européen ne s’opposait pas à ce qu’une réglementation nationale prévoie la perception d’une redevance frappant les aérogénérateurs destinés à la production d’énergie électrique. En l’occurrence la loi espagnole en cause du 21 mars 2011 prévoyait le paiement d’une telle redevance, le fait générateur de la redevance étant constitué par « les atteintes et les incidences négatives sur l’environnement et sur le territoire causé par l’installation ». Les requérants, assujettis à cette redevance, l’ont jugée inconstitutionnelle et incompatible avec le droit de l’Union : le litige a ainsi été porté devant la Cour supérieure de justice de Castille-La Manche. La juridiction a alors posé plusieurs questions préjudicielles à la CJUE :  « 1) Puisque les “régimes d’aide” définis à l’article 2, sous k), de la directive [2009/28], et parmi eux les incitations fiscales telles que les réductions fiscales, les exonérations et les remboursements d’impôt, sont conçus comme des instruments visant à atteindre les objectifs de consommation d’énergies renouvelables prévus dans cette directive, doit-on considérer que les incitations ou les mesures citées ont un caractère obligatoire et sont contraignantes pour les États membres, avec un effet direct, en ce qu’elles peuvent être invoquées et opposées par les particuliers affectés devant tout type d’instances publiques, judiciaires et administratives ? 2) L’expression “mais sans s’y limiter” figurant dans l’énumération, parmi les “régimes d’aide” visés à la question précédente, de mesures d’incitation fiscale consistant dans des réductions fiscales, des exonérations et des remboursements d’impôt signifie-t-elle qu’il convient de considérer que la non-imposition compte au nombre de ces incitations, c’est-à-dire l’interdiction de tout type de prélèvement spécifique et particulier, s’ajoutant aux impôts généraux grevant l’activité économique et la production d’électricité, qui taxerait l’énergie produite à partir de sources renouvelables ? De même, convient-il de considérer que l’interdiction générale précitée inclut l’interdiction de double imposition, de cumul ou de chevauchement de plusieurs impôts généraux ou spécifiques qui grèvent différentes phases de l’activité de production d’énergies renouvelables et ont une incidence sur le même fait générateur grevé par la redevance éolienne en cause ? 3) En cas de réponse négative à la question précédente et si l’imposition de l’énergie produite à partir de sources renouvelables est acceptée, aux fins de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive [2008/118], la notion de “finalité spécifique” doit-elle être interprétée en ce sens que l’objectif visé doit être exclusif et que, en outre, l’impôt grevant les énergies renouvelables doit avoir, du point de vue de sa structure, une nature véritablement extrafiscale et non simplement budgétaire ou de perception de recettes ? 4) Conformément à l’article 4 de la directive [2003/96], qui, lorsqu’il mentionne les niveaux de taxation que les États membres doivent appliquer aux produits énergétiques et à l’électricité, prend pour référence les niveaux minima prévus par [cette] directive, entendus comme la somme de l’ensemble des impôts directs et indirects appliqués sur ces produits au moment de leur mise à la consommation, doit-on considérer que cette somme doit conduire à exclure du niveau de taxation exigé par la[dite] directive les impôts nationaux n’ayant pas une nature véritablement extrafiscale au regard de leur structure et de leur finalité spécifique, telle qu’interprétée selon la réponse donnée à la précédente question ? 5) Le terme “frais” utilisé à l’article 13, paragraphe 1, sous e), de la directive [2009/28] est-il une notion autonome du droit [de l’Union] devant être interprétée dans un sens plus large, comme incluant et étant synonyme de la notion d’impôt en général ? 6) En cas de réponse affirmative à la question précédente, les frais à acquitter par les consommateurs visés à l’article 13, paragraphe 1, sous e), de la directive [2009/28] ne peuvent-ils inclure que les impositions ou prélèvements fiscaux qui visent à compenser, le cas échéant, les dommages causés par l’incidence [des installations éoliennes] sur l’environnement et qui tentent de réparer, avec le montant perçu, les dommages liés à une telle atteinte ou incidence négative, à l’exclusion des impôts ou des prestations qui, en ce qu’ils grèvent les énergies non polluantes, ont une finalité essentiellement budgétaire ou de perception de recettes ? » La CJUE répond aux première, deuxième, cinquième et sixième questions en relevant que la directive 2009/28 (relative à la promotion de l’énergie produite à partir de sources renouvelables) oblige les Etats membres à avoir une certaine part d’énergie produite à partir de sources renouvelables dans leur consommation finale d’énergie en 2020. Pour cela ils sont tenus de mettre en place des mesures conçues de manière efficace et notamment peuvent mettre en place des « régimes d’aides ». Néanmoins la Cour relève que « les Etats membres disposent d’une marge d’appréciation quant aux mesures qu’ils estiment appropriés pour atteindre les objectifs contraignants nationaux globaux », et rien ne leur interdit d’imposer une redevance, comme rien ne les oblige à mettre en place des régimes d’aides. La Cour poursuit : « Or, il ne peut être exclu qu’une redevance, telle que celle en cause au principal, puisse rendre moins attrayante la production et l’utilisation de l’énergie éolienne ainsi que compromettre son développement. Toutefois, même s’il était admis que cette redevance, nonobstant sa portée régionale et le fait qu’elle concerne une seule source d’énergie renouvelable, est susceptible de conduire l’État membre concerné à ne pas respecter l’objectif contraignant national global fixé à l’annexe I, partie A, de la directive 2009/28, il en résulterait, tout au plus, une violation, par cet État membre, de ses obligations au titre de cette directive, sans que l’instauration d’une telle redevance puisse, pour autant, être considérée, en elle‑même, comme contraire…

Capacités financières et ICPE : pour une prise en compte du modèle économique du secteur d’activité en cause ! (TA Limoges, 14 déc.2017)

Par David DEHARBE- avocat associé GREEN LAW AVOCATS La jurisprudence Hambrégie (CE, 22 fév. 2016, n°384821.) du Conseil d’Etat, parfois interprétée de façon bien trop stricte par certaines juridictions du fond, et relative aux capacités techniques et financières exigibles du demandeur à l’exploitation d’une installation classée pour la protection de l’environnement, n’en finit plus de faire des dégâts… Avec son jugement du 14 décembre 2017, le tribunal administratif de Limoges (TA Limoges 14 décembre 2017, Association Sources et rivières du limousin, n° 1500920) inscrit sa jurisprudence dans la série des annulations de projet pour défaut de la démonstration dans le DDAE de ces capacités et montre que le juge peut néanmoins utiliser ses nouveaux pouvoirs détenus depuis l’ordonnance du 26 janvier 2017. Cette annulation est couplée en l’espèce à un avis d’un commissaire enquêteur jugé irrégulier car ce dernier a osé s’exprimer sur la guérilla contentieuse que mènent certaines associations à la liberté de l’industrie, on se dit que le juge a définitivement perdu de vue la vocation de la police des installations à concilier cette liberté avec les intérêts du voisinage et plus largement de l’environnement … Revenons sur ce qui est finalement reproché au commissaire enquêteur. Aux termes du jugement :« L’intervention de l’association des sources et rivières du Limousin (SRL) n’avait pas d’autre objectif que de décrédibiliser le porteur du projet et les services de l’Etat, juste pour faire du sensationnel et montrer qu’elle existait », qu’« en faisant usage d’affirmations non vérifiées et pouvant avoir des incidences graves, SRL a pris le parti de la facilité et du tout négatif» et en s’interrogeant sur la « légitimité » de l’association à conserver « une habilitation au titre de la représentativité dans les instances régionales », le commissaire enquêteur doit être regardé, par ces remarques dépréciatives portées à l’encontre de l’association requérante, seule à avoir présenté des observations défavorables au projet, exprimé un parti pris initial favorable au projet ; que, dès lors, l’association sources et rivières du Limousin est fondée à soutenir que le commissaire enquêteur a manqué, en l’espèce, à son devoir d’impartialité ». Et au final le Tribunal d’en conclure : « que ce vice n’a pas, en l’espèce, exercé d’influence sur le sens de la décision prise par le préfet de la Creuse, il a privé le public de la garantie qui s’attache à l’expression par le commissaire enquêteur d’une position personnelle, émise de manière objective au vu de l’ensemble du dossier ». A croire que le public est plus bête de l’administration et qu’il faut le protéger. Assurément il faut le protéger des commissaires enquêteurs ….certainement pas en censurant l’autorisation mais en supprimant cette institution dont la médiation est bien inutile. En tout état de cause on ne voit pas en quoi cette « garantie » a porté atteinte au principe de participation … Ce défaut de démonstration d’une telle atteinte est sans doute insupportable pour le pétitionnaire. Ne l’est pas moins sans doute l’analyse faite en l’espèce de la question des capacités financières. D’emblée disons-le nous sommes bien conscients des conditions très particulières de la jurisprudence Hambrégie où était en cause un investissement de 772 millions d’euros nécessaire à l’installation d’une centrale à gaz, financés à 30% sur fonds propres et à 70% par dette bancaire!  Quand est en cause une usine à gaz comme celle en cause dans l’affaire jugée par le Conseil d’Etat, on pourrait à la rigueur  comprendre que le Conseil d’Etat admette que le juge du fond puisse vérifier que les engagements des tiers sont des engagements « fermes ». Mais s’agissant de capacités qui doivent seulement être suffisamment « certaines », on ne saurait absolument pas exiger des établissements bancaires un engagement définitif pour le plus grand nombre des installations classées. Devant le Tribunal administratif de Limoges était mis en cause le fait que le préfet de la Creuse avait autorisé le propriétaire d’une usine de production d’électricité située sur le territoire de la commune de Saint-Hilaire-le-Château, à disposer de l’énergie de la rivière « Le Thaurion » pour l’exploitation d’une modeste production d’énergie hydroélectrique. Mais, une association avait demandé au tribunal administratif de Limoges d’annuler cet arrêté. Or le Tribunal relève « que la notice d’impact produite par M. D. dans le dossier de demande d’autorisation mentionne que ce dernier possède une entreprise de travaux publics basée au Moutier d’Ahun, qu’il réalisera lui-même la partie du projet consacrée au génie civil et qu’il dispose des compétences et des connaissances suffisantes pour assurer ultérieurement le fonctionnement de la centrale avec l’assistance de prestataires spécialisés pour la partie technique ; que, par un courrier du 26 mars 2014 adressé au commissaire enquêteur et joint au dossier d’enquête publique, M. D. a également précisé qu’il «n’avait pas plus de capacités qu’un bon nombre de gestionnaires de ce type d’installation », qu’il était prévu l’assistance de prestataires spécialisés pour la partie électrique et que « pour le reste, [il pensait] pouvoir assumer », étant « responsable d’une petite entreprise de maçonnerie depuis 30 ans après 10 ans de conduite de chantier et qu’à ce jour cette entreprise n’est pas trop en mauvaise posture » ; que, par ce même courrier, s’agissant des capacités financières, l’intéressé s’est borné à exposer qu’un financement était prévu avec un apport personnel de 150 000 euros et que « pour le reste c’est la banque qui jugera de l’opportunité ou non de soutenir ce projet afin de le finaliser » ; que ces seules mentions n’étaient pas suffisantes pour apprécier la capacité technique et financière de l’exploitant à assurer le bon fonctionnement de l’installation en cause ». Et une nouvelle fois le principe de participation vient en creux interdire la régularisation par une simple Danthonysation du moyen : « les insuffisances de ces indications dans le dossier de demande d’autorisation ont eu pour effet de nuire à l’information complète du public et sont susceptibles d’avoir exercé une influence sur la décision du préfet de la Creuse, l’association sources et rivières du Limousin est fondée à soutenir que la notice d’impact est entachée d’insuffisance…

Contestation du montant de l’indemnité suite à la résiliation d’un marché public d’évacuation d’O.M. : les pièces contractuelles sont essentielles !

Par Maître Thomas RICHET (Green Law Avocats) Par un arrêt du 14 décembre 2017 (requête n°15BX01342), la cour administrative d’appel de Bordeaux rappelle aux opérateurs économiques l’importance d’une bonne lecture des pièces contractuelles d’un marché public. Dans cette affaire, la communauté intercommunale du nord de La Réunion (ci-après la « CINOR ») avait conclu le 4 mars 2013 un marché public avec la société ECM Caly et Paji (ci-après « société ECM ») ayant pour objet la fourniture de 16 caissons métalliques destinés à l’évacuation des ordures ménagères pour un montant total de 89 059 euros. Par un courrier du 26 avril 2013, le président de la CINOR a prononcé la résiliation de ce marché sur le fondement de l’article 33 du Cahier des Clauses Administratives Générales Fournitures Courantes et Services (ci-après « CCAG-FCS ») auquel renvoyait l’article 9 du Cahier des Clauses Administratives Particulières (ci-après « CCAP ») et a fixé le montant de l’indemnité de résiliation à 4 452, 95 euros correspondant à 5% du montant hors taxes du marché. L’article 33 du CCAG-FCS dispose que : « Lorsque le pouvoir adjudicateur résilie le marché pour motif d’intérêt général, le titulaire a droit à une indemnité de résiliation, obtenue en appliquant au montant initial hors taxes du marché, diminué du montant hors taxes non révisé des prestations admises, un pourcentage fixé par les documents particuliers du marché ou, à défaut, de 5 %. Le titulaire a droit, en outre, à être indemnisé de la part des frais et investissements, éventuellement engagés pour le marché et strictement nécessaires à son exécution, qui n’aurait pas été prise en compte dans le montant des prestations payées. Il lui incombe d’apporter toutes les justifications nécessaires à la fixation de cette partie de l’indemnité dans un délai de quinze jours après la notification de la résiliation du marché. Ces indemnités sont portées au décompte de résiliation, sans que le titulaire ait à présenter une demande particulière à ce titre. » La société ECM a décidé de saisir le Tribunal administratif de La Réunion d’un recours en reprise des relations contractuelles (« recours Béziers II »), et en demande de condamnation de la CINOR. Par un jugement n°1300817 du 29 décembre 2014, dont la CINOR a interjeté appel devant la Cour administrative de Bordeaux, les juges de première instance ont condamné la communauté intercommunale à verser à cette société la somme de 18 451,76 euros, assortie des intérêts aux taux légal à compter du 19 juin 2013. L’arrêt commenté est intéressant à double titre. D’abord en ce qu’il rappelle une règle constante du contentieux administratif : il appartient au premier juge de répondre à tous les moyens qui ne sont pas « inopérants ». Mais l’arrêt doit  surtout retenir l’attention s’agissant du contentieux de l’exécution des marchés publics. Un moyen qui n’est pas inopérant et auquel le juge administratif ne répond pas rend son jugement irrégulier (constant) Dans un premier temps, la cour décide d’annuler le jugement rendu par les premiers juges en ce qu’ils ne se sont pas prononcés sur un moyen développé par la CINOR. Ce moyen était tiré du fait que la société ECM n’avait pas respecté les règles fixées à l’article 33 du CCAG-FCS (règles reproduites ci-dessus), auxquelles renvoyait l’article 9 CCAP. En effet, les juges de première instance avaient bien rejeté une fin de non-recevoir tirée du défaut de liaison du contentieux mais avaient omis de répondre au moyen de la personne publique concernant le respect de la procédure prévue à l’article 33 du CCAG-FCS. Le moyen n’étant pas inopérant, c’est-à-dire qu’il n’était pas manifestement infondé,  le tribunal devait y répondre. En effet, L’omission de répondre à un moyen entache la régularité du jugement (CE, 10 juin 1966, Mme Perrucot, n°64572 ; CE, Assemblée, 1er avril 1988, Mlle Vadsaria, n°55232 ; CE, 5 novembre 1990, Péan, n°79657). A la différence du défaut de réponse à une partie des conclusions, le défaut de réponse à un moyen entraîne en principe l’annulation totale du jugement, à moins que le moyen auquel il n’a pas été répondu ait été présenté à l’appui de conclusions divisibles (CE, 10 février 1982, Angeletti, n°17618) Le moyen n’était pas inopérant, il n’y a pas été répondu, le jugement n’étant pas régulier, il doit être annulé. Pour être recevables, des conclusions indemnitaires en demande de majoration de l’indemnité de résiliation doivent respecter la procédure décrite par les documents contractuels du marché publics La cour relève que la procédure prévue à l’alinéa 2 de l’article 33 du CCAG-FCS n’a pas été respectée par la société ECM lors de la demande de majoration de l’indemnité de résiliation. Cet alinéa prévoit l’obligation, pour l’opérateur économique désireux de solliciter une majoration de l’indemnité de résiliation, suite à la résiliation de son marché public de fournitures, de transmettre, dans les quinze jours de la notification de cette résiliation, les justificatifs nécessaires. En l’espèce, aucun élément ne permettait de s’assurer de la date à laquelle la société ECM avait contesté le montant de l’indemnisation, et donc du délai dans lequel elle avait introduit cette demande. En outre, la cour relève que la demande n’était pas assortie des justificatifs nécessaires. Dès lors, même si cette société avait introduit des conclusions en reprise des relations contractuelles dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision de résiliation du marché, elle n’était pas fondée à solliciter une majoration de l’indemnité due au titre de la résiliation pour motif d’intérêt général. La cour relève donc que : « [la CINOR] est fondée à soutenir que la société ECM Caly et Paji a méconnu les stipulations précitées de l’article 33 du cahier des clauses administratives générales ” fournitures courantes et de services ” et que ses conclusions indemnitaires, tendant à la condamnation de la communauté intercommunale du nord de La Réunion à lui verser une somme supplémentaire au titre de l’indemnisation de la résiliation du marché, devaient être rejetées comme irrecevables. »   Cette solution doit attirer l’attention des opérateurs économiques et des pouvoirs adjudicateurs sur les règles applicables à la phase d’exécution des marchés publics et qui sont contenues au sein même des pièces…