Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats)
Le juge des référés du Tribunal judiciaire de Nanterre en suspendant les activités d’Amazon en France pendant la crise sanitaire a rendu une décision très remarquée (Tribunal judiciaire de Nanterre, 14 avril 2020, n° 20 00503).
Une suspension prononcée sous astreinte d’un million d’euros par jour de retard
La société Amazon France Logistique (ci-après la société) gère en France les centres de distribution (ou entrepôts) de la société Amazon, entreprise de commerce électronique américaine dont le siège est situé à Seattle aux Etats-Unis.
Elle employait, en février 2020, environs 6400 salariés en contrats à durée indéterminée (CDI) et contrats à durée déterminée (CDD), auxquels s’ajoutaient 3600 intérimaires, répartis pour la plupart sur six entrepôts.
L’Union syndicale Solidaires a été autorisée a assigné devant la formation collégiale du Tribunal judiciaire de Nanterre statuant en référé la société Amazon France Logistique afin d’obtenir sous astreinte :
- A titre principal, d’arrêter l’activité des entrepôts en ce qu’ils rassemblent plus de 100 salariés en un même lieu clos de manière simultanément ;
- À titre subsidiaire, d’arrêter la vente et la livraison de produits non essentiels, c’est-à-dire ni alimentaires, ni d’hygiène, ni médicaux et donc de réduire le nombre de salariés présents de manière simultanée de telle sorte qu’il ne dépasse pas 100 salariés par entrepôt
- Le prononcé d’une astreinte, tant que n’auront pas été mis en œuvre une évaluation des risques professionnels inhérents à la pandémie de Covid-19 site par site, des mesures de protection suffisantes et adaptées à chaque site qui découleront de cette évaluation et des outils de suivi des cas d’infection avérées ou suspectées et des mesures pour protéger les salariés qui pourraient avoir été au contact des personnes concernées
Pour soutenir qu’il existe un trouble manifestement illicite et un dommage imminent au sens prévu à l’article 835 du code de procédure civile, le syndicat faisait en particulier valoir que la société n’aurait pas procédé à une évaluation de manière systématique des risques liés à la pandémie pour chaque situation de travail et n’y aurait pas associé les représentants du personnel.
Rappelons qu’en application des articles L 4121-3 et R 4121-1 à -4 du code du travail , l’employeur est tenu d’évaluer dans son entreprise les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs et de transcrire les résultats dans un document unique et de mettre en oeuvre les mesures de prévention adéquates. Et au demeurant en vertu de la circulaire du DRT 2002-6 du 18 avril 2002, les représentants des salariés doivent être associés à l’évaluation de ces risques.
Outre l’absence d’association des représentants du personnel à l’évaluation des risques, le juge va effectivement reconnaître que la société n’a pas évalué de manière systématique et précise les risques liés à l’épidémie pour chaque situation de travail. Le juge des référés du TJ de Nanterre va effectivement considéré qu’il y avait bien de la part du GAFA violation de l’obligation de sécurité et de prévention de la santé des salariés (art. L 4121-1 du code du travail), particulièrement au regard des constatations faites sur plusieurs sites par l’Inspection du travail et de l’incapacité d’Amazon de prouver la suffisance des mesures préventives qu’elle prétendait y avoir instituées comme employeur.
La suspension des activités non essentielle d’Amazon en France est finalement ordonnée par le juge des référés sous astreinte et dans ces termes :
« Ordonnons à la S.A.S. Amazon France Logistique de procéder, en y associant les représentants du personnel, à l’évaluation des risques professionnels inhérents à l’épidémie de covid-19 sur l’ensemble de ses entrepôts ainsi qu’à la mise en oeuvre des mesures prévues à l’article L 4121 du code du travail en découlant,
Ordonnons, dans l’attente de la mise en oeuvre des mesures ordonnées ci-dessus, à la S.A.S. Amazon France Logistique dans les 24 heures de la notification de cette décision de restreindre l’activité de ses entrepôts aux seules activités de réception des marchandises, de préparation et d’expédition des commandes de produits alimentaires, de produits d’hygiène et de produits médicaux, sous astreinte, de 1. 000.000 euros par jour de retard et par infraction constatée, passé ce délai et pendant une durée maximum d’un mois, à l’issue de laquelle il pourra être à nouveau statué »
La décision est assurément spectaculaire et a fait l’objet d’un appel qui sera audiencé demain … affaire à suivre et très bientôt, donc.
Le rejet de l’intervention de l’association Les Amis de la Terre.
Il convient encore de remarquer que le juge des référés rejette l’intervention de l’association Les Amis de la Terre.
L’article 31 du code de procédure civile énonce que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
L’association Les Amis de la Terre est une fédération d’une trentaine d’associations locales sur le territoire, qui est agréée pour la protection de l’environnement.
Pour le TGI, « Si l’objet de l’association lie la protection de l’environnement avec celle des êtres humains, il ne résulte pas des statuts qu’elle aurait vocation à agir dans le cadre de la défense des droits de salariés indépendamment de tout litige lié à une atteinte environnementale .
Or le présent litige ne porte ni sur le modèle économique de la société ni sur la préservation de l’environnement mais uniquement sur les obligations de la société, chargée de la gestion des entrepôts, concernant les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs dans le contexte d’épidémie de Covid 19 ainsi que sur le respect de règles de santé publique édictées pour lutter contre une épidémie ».
Ainsi le fait que l’association prenne en compte les « impératifs liés au progrès social » et agisse en faveur de la « protection des êtres humains » ne suffit pas à établir son intérêt à agir dans un litige qui oppose des salariés à leur employeur relativement au respect par ce dernier de son obligation de sécurité concernant la santé physique et mentale des travailleurs.
Par conséquent, l’intervention de l’association Les Amis de la Terre est déclarée irrecevable pour défaut d’intérêt à agir.