Par maître David DEHARBE (Green Law Avocats)
Faisant suite à plusieurs arrêts des tribunaux administratifs de Montreuil et Paris (TA Montreuil, 25 juin 2019, n° 1802202 – TA Paris, 4 juill. 2019, n°s 1709333, 1810251TA et 1814405), c’est au tour du tribunal administratif de Lyon (TA Lyon, 2e ch., 26 sept. 2019, n°1800362) de reconnaitre que l’insuffisance des mesures visant à lutter contre la pollution de l’air constitue une faute imputable à l’Etat. Faute qui, cependant, n’ouvre pas droit à réparation en raison de l’absence de lien de causalité certain avec les préjudices subis. L’insuffisance de ces mesures ne saurait également constituer une violation du droit de vivre dans un environnement sain, protégé par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH), et ce, en raison des risques écologiques inhérents à la vie en ville.
En l’espèce, Mme X… et son fils résident dans la métropole de Lyon. Ce dernier souffre d’affections respiratoires que sa mère impute à la pollution atmosphérique lyonnaise. Ainsi, Mme X… saisi le tribunal administratif de Lyon d’une demande visant à la réparation des préjudices subis par son fils et du préjudice d’anxiété en résultant.
Le tribunal administratif retient que l’insuffisance du plan de protection de l’atmosphère (PPA) pour prévenir le dépassement des seuils de concentration des polluants permet de caractériser une faute de l’Etat dans l’exécution de ses obligations résultant des dispositions du code de l’environnement.
A ce titre, le tribunal caractérise une carence fautive de l’Etat au regard de deux éléments :
- D’une part, « l’exposition persistante, et difficilement compressible, reconnue par le plan de protection, d’une partie significative de la population à des concentrations en particules fines et dioxyde d’azote supérieures aux valeurs limites» ;
- D’autre part, « la répétition, depuis plusieurs années, et sur des périodes parfois importantes, de dépassements des valeurs limites de ces polluants».
Ainsi, le dépassement répété des seuils de concentration des polluants atmosphériques suffit à caractériser la faute de l’Etat. Cette solution, qui semble a priori favorable aux justiciables, s’explique par une jurisprudence récente du Conseil d’Etat qui impose une obligation de résultat à l’Etat en matière de respect des seuils de concentration des polluants atmosphériques (Conseil d’Etat, 6e et 1e CR, 12 juil. 2017, n°394254, publié au recueil Lebon).
Si la faute de l’Etat est reconnue, celle-ci ne suffit pourtant pas à justifier une violation du droit à vivre dans un environnement sain, tel que protégé par la CESDH.
En effet, le tribunal relève que même « si les mesures adoptées et appliquées n’ont pas encore permis d’empêcher tout dépassement des seuils cités plus haut, il résulte de l’instruction […] que, depuis le début des années 2010, les efforts fournis ont toutefois permis une amélioration régulière de la qualité de l’air dans la région lyonnaise ».
Il ajoute ensuite que « dans ce contexte et compte tenu, spécialement, des risques écologiques inhérents à la vie en ville combinés, en particulier, avec la difficulté de lutter contre une pollution d’origine multifactorielle, voire diffuse, le dépassement des valeur limites constatés entre 2012 et 2016 et l’insuffisance du plan de protection de l’atmosphère relevé au cours de cette même période, ne sauraient suffire à caractériser une défaillance notoire des pouvoirs publics dans les actions destinées à protéger ou améliorer la vie des habitants de l’agglomération ni une atteinte suffisamment grave à leur droit de vivre dans un environnement sain ».
Ici, le juge administratif apprécie l’atteinte au droit de vivre dans un environnement sain, tel qu’il découle des articles 2 et 8 de la CESHD, au regard du contexte dans lequel l’administration a agi et au regard des standards de jugements posés par la Cour européenne.
L’on sait en effet que la Cour exige une atteinte suffisamment grave (CEDH, Guerra et autres c. Italie19 février 1998) au droit à un environnement sain (CEDH, Tătar c. Roumanie, 27 janvier 2009) et le manquement de l’Etat à ses obligations préventives au titre de l’article 8 de la convention.
Or au prix de la cohérence argumentative, le juge administratif semble ici requérir la preuve d’une véritable faute grave afin de caractériser la violation du droit de vivre dans un environnement sain. En effet, la faute de l’Etat ne pourrait être reconnue sur ce fondement qu’en cas de « défaillance notoire des pouvoirs publics » ou d’une « atteinte suffisamment grave à leur droit de vivre dans un environnement sain »… . Et ce, alors même que la faute de l’Etat est reconnue sur le fondement des dispositions du code de l’environnement en raison de l’insuffisance des mesures prises dans le cadre du PPA.
Le juge administratif justifie cette indulgence en s’appuyant sur les difficultés liées à la gestion de la pollution atmosphérique, à savoir « les risques écologiques inhérents à la vie en ville » et « la difficulté de lutter contre une pollution d’origine multifactorielle, voire diffuse ». Il suffit alors que les mesures eurent un quelconque effet sur la qualité de l’air pour que soit écartée la violation du droit de vivre dans un environnement sain.
Cette décision peut être rapprochée du jugement du tribunal administratif de Montreuil devant lequel les requérants se prévalaient également de la violation par l’Etat des articles 2 et 8 de la CESDH. Leurs conclusions furent aussi rejetées car le juge retint que « les efforts fournis [par l’Etat] ont toutefois permis une amélioration constante de la qualité de l’air […] », ce qui permit d’excuser les insuffisances des mesures prises par l’Etat dans le cadre de la gestion de la pollution atmosphérique en ville.
Le jugement du tribunal administratif de Lyon illustre une nouvelle fois la difficulté pour les justiciables à faire reconnaître la violation par l’Etat de leur droit à vivre dans un environnement sain, et ce, même si le juge reconnaît préalablement la violation des obligations qu’il tire du code de l’environnement. Ce jugement participe ainsi à la restriction de l’utilité contentieuse d’un tel droit.
Enfin, malgré la reconnaissance d’une faute de l’Etat au titre de ses obligations environnementales, le juge administratif restreint davantage la portée de sa décision en ne retenant pas sa responsabilité.
Le juge rejette les conclusions indemnitaires de la requérante au motif que « les pathologies dont souffre son fils ont des causes multiples dont rien au dossier ne permet de dire, avec certitude, qu’elles auraient ici pour origine prépondérante, ou comme facteur particulièrement aggravant, les insuffisances du plan de protection de l’atmosphère de l’agglomération lyonnaise […] ». En l’espèce, un certificat médical produit au dossier attestait du lien existant entre la condition du fils de Mme X… et les pics de pollution qu’a connu la ville de Lyon. Cependant, le juge considère que « cet élément ne saurait suffire, à lui seul, pour établir un lien direct de causalité entre de tels dépassements et les pathologies de son fils ». Ici, le juge apprécie sévèrement la preuve du lien de causalité entre le préjudice et la faute de l’Etat.
En subordonnant la réparation du préjudice subi par les requérants du fait de la pollution atmosphérique à la preuve d’un lien de causalité certain et unique, le juge administratif restreint fortement la possibilité pour les justiciables d’obtenir la réparation de ce préjudice, quand bien même la faute de l’Etat aurait participé à l’existence de ce dernier.
A ce jour, bien que l’Etat soit fautif au regard de son incapacité à limiter la pollution atmosphérique des villes, il n’en est pas encore tenu pour responsable.