Fonction publique : indemnisation complémentaire et maladie professionnelle
Par Frank ZERDOUMI, juriste (Green Law Avocats)
A l’occasion de l’exécution du service, l’accident de service est tout accident subi ou maladie contractée, même s’il est survenu à l’occasion d’un acte de la vie courante (CE, 21 juin 1895, Cames, rec. 509 ). Cela étant, un entretien d’évaluation qui aurait conduit à une dépression n’est pas un accident de service (CE, 27 septembre 2021, Ministre des Armées, n° 440993 ).
Quant à la règle selon laquelle l’Administration doit garantir ses agents contre les dommages qu’ils peuvent subir dans l’accomplissement de leur service – y compris à l’agent qui n’est plus en activité – le Conseil d’État l’a consacrée en principe général du droit (CE, Avis 1er mars 2012, Mme A c/ Commune de Semblançay, n° 354898 ).
Dans certaines circonstances, un accident de service peut aussi donner lieu à une maladie professionnelle.
La dame C était Professeure des écoles et directrice d’école à Charnècles, dans l’Isère.
Le 17 juin 1997, elle a été victime d’un accident sur son lieu de travail.
Précisément, après avoir déménagé des livres de la bibliothèque de l’école, elle a contracté une tendinite du poignet gauche.
Le 9 juin 1998, elle a subi une intervention chirurgicale pour soigner cette tendinite.
A la suite de cette intervention, elle a souffert d’une algodystrophie qui a entraîné son placement en congé de longue maladie du 9 juin 1998 au 8 juin 2001, puis une reprise à mi-temps thérapeutique.
En 2006, Madame C a pris sa retraite.
Le 13 novembre 2017, suite à un arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon du 16 février 2016 devenu définitif, le recteur de l’Académie de Grenoble a pris un arrêté reconnaissant comme imputable au service la tendinite initiale résultant de l’accident du 17 juin, ainsi que la complication constituée de l’algodystrophie consécutive à l’opération chirurgicale.
Madame C a donc été placée rétroactivement en congé de longue maladie imputable au service pour la période précitée.
Le 31 janvier 2018, l’État a reçu un courrier dans lequel Madame C demandait l’indemnisation, sur le fondement de la responsabilité pour risque, des préjudices qu’elle prétend avoir subis du fait de la maladie imputable au service.
Ce courrier est resté sans réponse.
Madame C a donc saisi le Tribunal administratif de Grenoble afin d’obtenir la condamnation de l’État à lui verser la somme totale de 160 100,73 euros en réparation des préjudices qu’elle prétend donc avoir subis suite à la pathologie reconnue imputable au service dont elle a souffert après l’accident.
Le 19 novembre 2020, le Tribunal a condamné l’État à lui verser une indemnité de 20 566 euros. Les deux parties ont interjeté appel de ce jugement.
Le 19 janvier 2023, la Cour administrative d’appel de Lyon a annulé le jugement du Tribunal administratif et rejeté l’appel de Madame C, ainsi que sa demande de première instance. Précisément, elle a annulé la demande indemnitaire présentée par la requérante au titre des préjudices patrimoniaux autres que ceux forfaitairement réparés par les prestations instituées par les articles L. 27 et L. 28 du Code des pensions civiles et militaires de retraite et de ses préjudices personnels. Pour ce faire, elle a jugé que, dans la mesure où la requérante invoquait une responsabilité pour risque, elle devait établir un lien de causalité direct et certain entre le service et la maladie dont elle a souffert, et non pas le lien seulement direct exigé pour que soit reconnue l’imputabilité de cette maladie.
Le 16 mars 2023, Madame C s’est pourvue en cassation contre cet arrêt devant le Conseil d’État afin d’en obtenir l’annulation, et le règlement de l’affaire au fond.
Quelles sont les modalités d’appréciation de l’indemnisation complémentaire d’une fonctionnaire victime d’une maladie professionnelle reconnue imputable au service ?
Pour répondre à cette question, le Conseil d’État a rendu une décision qui s’inscrit dans l’évolution jurisprudentielle en matière d’accident de service et de maladie professionnelle (décision commentée : CE, 5 juin 2025, n° 472198 ).
En l’occurrence, le principe est le suivant : un agent public victime d’un accident de service ou atteint d’une maladie professionnelle a droit à la réparation intégrale des conséquences dommageables de cet accident ou de cette maladie (CE, Assemblée, 4 juillet 2003, Moya-Caville, n° 211106 ).
L’article L. 27 du Code des pensions civiles et militaires de retraite dispose que :
« Le fonctionnaire civil qui se trouve dans l’incapacité permanente de continuer ses fonctions en raison d’infirmités résultant de blessures ou de maladie contractées ou aggravées soit en service, soit en accomplissant un acte de dévouement dans un intérêt public, soit en exposant ses jours pour sauver la vie d’une ou plusieurs personnes et qui n’a pu être reclassé dans un autre corps en application de l’article 63 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 précitée peut être radié des cadres par anticipation soit sur sa demande, soit d’office à l’expiration d’un délai de douze mois à compter de sa mise en congé si cette dernière a été prononcée en application de l’article 21 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ainsi que du deuxième alinéa des 2° et 3° de l’article 34 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 précitée.
L’intéressé a droit à la pension rémunérant les services prévue au 2° du I de l’article L. 24 du présent code. Par dérogation à l’article L. 16 du même code, cette pension est revalorisée dans les conditions fixées à l’article L. 341-6 du code de la sécurité sociale. ».
Dans un premier temps, le Conseil d’État a rappelé les dispositions applicables au litige et en a donné son interprétation :
« (…) les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite déterminent forfaitairement la réparation à laquelle un fonctionnaire victime d’un accident de service ou atteint d’une maladie professionnelle peut prétendre, au titre des pertes de revenus et de l’incidence professionnelle résultant de l’atteinte qu’il a subie dans son intégrité physique, dans le cadre de l’obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu’ils peuvent courir dans l’exercice de leurs fonctions. Ces dispositions ne font en revanche pas obstacle à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l’invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d’une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l’emploie, même en l’absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice. Elles ne font pas non plus obstacle à ce qu’une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l’ensemble du dommage soit engagée contre la personne publique, dans le cas notamment où l’accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne ou à l’état d’un ouvrage public dont l’entretien lui incombait » (décision commentée : CE, 5 juin 2025, n° 472198, point 3 ).
Dans un second temps, le juge administratif a mis en exergue l’erreur de droit commise par la Cour :
« Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que, pour annuler le jugement du tribunal administratif et rejeter la demande indemnitaire présentée par Mme C au titre des préjudices patrimoniaux autres que ceux forfaitairement réparés par les prestations instituées par les articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et de ses préjudices personnels, la cour administrative d’appel de Lyon a jugé que celle-ci, invoquant une responsabilité pour risque, devait établir un lien de causalité direct et certain entre le service et la maladie dont elle a souffert, et non le lien seulement direct exigé pour que soit reconnue l’imputabilité de cette maladie au service. En statuant ainsi, alors que l’indemnisation, sur le fondement de la responsabilité sans faute, dans les conditions rappelées au point 3, des préjudices subis du fait d’une maladie reconnue imputable au service, n’implique pas de nouvelle appréciation du lien entre la maladie et le service, mais seulement celle du caractère certain des préjudices invoqués et du lien direct entre ceux-ci et la maladie reconnue imputable au service, la cour a commis une erreur de droit » (décision commentée : CE, 5 juin 2025, n° 472198, point 4 ).
La mise en perspective de la demande de la requérante avec le raisonnement suivi par le Conseil d’État aboutit donc à l’annulation de l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon et au renvoi de l’affaire devant cette même Cour.
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