Police du maire et défaut d’entretien de l’ouvrage public

Police du maire et défaut d’entretien de l’ouvrage public

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Par Frank ZERDOUMI, juriste (Green Law Avocats)

À la base de la responsabilité du maître de l’ouvrage, le défaut d’entretien normal de l’ouvrage public est une notion souvent mise en exergue en cas d’accident causé aux usagers dudit ouvrage. Mais la jurisprudence n’est jamais parvenue à dégager une définition précise de cette notion, qui a pourtant émergé dans les années 1920.

Ainsi, dans un arrêt du 20 mars 1926, Grimaud, le Conseil d’État utilisait la formulation suivante :

« L’État n’est responsable des accidents survenus sur une route nationale et dont sont victimes les usagers de la route qu’au cas où il résulte de l’instruction que l’accident est dû à une insuffisance d’entretien ayant un caractère anormal et nettement caractérisé ».

Aujourd’hui encore, les ayants droit des victimes n’hésitent pas à mettre en cause la responsabilité d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public, quand bien même ladite victime serait seule responsable de l’accident.

A ce titre, le Tribunal administratif d’Orléans a dû s’interroger sur la responsabilité de la commune dans un accident d’escalade sur un viaduc (décision commentée : TA Orléans, 24 Avril 2025, n° 2203286 ).

Le 13 février 2022, un alpiniste aguerri et habitué à la pratique de l’escalade s’est adonné à la pratique du rappel sur la partie supérieure du viaduc des Noëls situé sur le territoire de la commune de Vineuil, dans le Loir-et-Cher, en accrochant sa corde sur un bloc de pierre scellé sur le rebord de cet ouvrage faisant saillie. Malheureusement, sous le poids de l’intéressé, ce bloc de pierre s’est descellé et a accompagné la chute de l’alpiniste, entraînant son décès.

Le 15 avril 2022, les parents, la sœur et le frère de la victime ont déposé une demande préalable tendant à obtenir la communication de documents administratifs et l’indemnisation des préjudices qu’ils avaient subis du fait du décès.

Le 20 septembre 2022, en l’absence de réponse, ils ont saisi le Tribunal administratif d’Orléans auquel ils ont demandé d’annuler cette décision implicite de rejet et de condamner la commune à leur verser la somme de 818 514,21 euros en réparation de ces préjudices.

La responsabilité de la commune pouvait-elle être engagée en raison du défaut d’entretien normal d’un ouvrage public et d’une carence du maire dans l’usage de ses pouvoirs de police alors que l’ouvrage a été utilisé pour pratiquer l’escalade ?

Le Tribunal administratif d’Orléans a répondu à cette question par la négative, et n’a donc pas condamné la commune de Vineuil, puisque les circonstances du décès sont imputables à une imprudence fautive et une utilisation non conforme de l’ouvrage (décision commentée : TA Orléans, 24 Avril 2025, n° 2203286 ).

Concernant le principe de responsabilité du maître d’ouvrage, la juridiction rappelle qu’elle est engagée s’il n’apporte pas la preuve de l’entretien normal de l’ouvrage sauf si les dommages résultent de faute de la victime ou d’un cas de force majeure :

« la responsabilité du maître de l’ouvrage public est engagée en cas de dommages causés aux usagers par cet ouvrage dès lors que la preuve de l’entretien normal de celui-ci n’est pas apportée, sans que le maître de l’ouvrage puisse invoquer le fait d’un tiers pour s’exonérer de tout ou partie de cette responsabilité. Le maitre de l’ouvrage ne peut dégager sa responsabilité que s’il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d’un cas de force majeure » (décision commentée : TA Orléans, 24 Avril 2025, n° 2203286, point 8 ).

Dans cette affaire, les arguments mis en exergue par les requérants présentaient un intérêt certain :

« Les consorts C soutiennent que la chute ayant mortellement blessé D C est imputable, d’une part, au défaut d’entretien normal de l’ouvrage public et, d’autre part, à un défaut de signalisation quant à l’interdiction de la pratique de l’escalade sur cet ouvrage et aux dangers résultant de celle-ci caractérisant une carence fautive du maire dans l’usage de ses pouvoirs de police. Ils font notamment valoir que l’interdiction de la pratique de l’escalade telle qu’apposée sur le pilier « Sud-Ouest » du viaduc n’était pas visible pour les automobilistes empruntant la rue de la Place en provenance de Blois et que la partie supérieure de l’ouvrage n’était, quant à elle, pas sécurisée et ne comportait aucune signalisation. Ils relèvent enfin que le mur sur lequel D C est descendu en rappel comportait des prises d’escalade et des fixations, laissant ainsi penser qu’il était affecté à l’escalade » (décision commentée : TA Orléans, 24 Avril 2025, n° 2203286, point 7 ).

Cela étant, force est de constater que l’escalade était interdite à cet endroit :

« D’une part, il résulte des photographies consignées dans le constat d’huissier produit par les requérants que le viaduc des Noëls comportait, à la date de survenance de l’accident, sur la première pile, en sa partie basse, un panneau de signalisation mentionnant « escalade interdite sauf organismes conventionnés » ainsi qu’une signalisation fléchée indiquant l’existence d’un mur d’escalade sur la droite. Ainsi, le viaduc n’était pas affecté de manière générale à la pratique de l’escalade, celle-ci étant seulement autorisée dans le cadre d’organismes conventionnés. Était également apposé, sur cette même pile, sur son autre façade, le même panneau de signalisation fléché, lequel ne mentionnait toutefois pas l’existence d’une interdiction de l’escalade à cet endroit. Il résulte en outre de l’instruction qu’un second panneau d’interdiction de l’escalade était implanté au niveau Nord-Ouest du viaduc et n’était effectivement pas visible depuis la voie publique ou par les usagers. Il résulte par ailleurs de l’instruction que la partie supérieure du viaduc, ancienne voie de chemin de fer, a été réhabilitée afin d’être affectée à la promenade. Si cette voie ne comportait pas de signalisation quant aux risques de chute de pierres situées sur le bord de cet ouvrage et quant à l’interdiction de l’escalade, elle disposait toutefois, sur toute sa longueur, de garde-corps d’une hauteur d’environ 110 centimètres qui sont de nature à sécuriser son utilisation normale par les piétons et les cyclistes » (décision commentée : TA Orléans, 24 Avril 2025, n° 2203286, point 9 ).

De plus, il est clairement impossible que l’alpiniste n’ait pas vu le panneau d’interdiction :

« D’autre part, il résulte de l’instruction qu’Alexandre C est arrivé sur les lieux en voiture en empruntant la rue de la Place et a stationné son véhicule sur la partie basse du viaduc située au Sud-Est. Eu égard à la configuration des lieux et à sa desserte, ce stationnement n’a pu avoir lieu que sur l’espace situé devant le pilier sur le côté duquel était apposé un panneau comportant la mention « Escalade interdite sauf organismes conventionnés », soit, pour un automobiliste en provenance de Blois, en tournant à gauche immédiatement après avoir traversé l’arche du viaduc. Ainsi, un usager normalement attentif et stationnant à cet endroit ne pouvait ignorer l’existence de ce panneau d’interdiction, peu important à cet égard que plusieurs sites internet référencent ce viaduc comme un ouvrage destiné à l’escalade. Il résulte ensuite de l’instruction qu’Alexandre C, après avoir accédé à la partie supérieure du viaduc à pied, a enjambé le garde-corps situé le long de la voie de promenade, a pénétré sur la corniche de cet ouvrage qui donnait directement sur le vide, puis, a fixé sa corde afin de descendre en rappel sur un bloc de pierre scellé sur cette corniche et non sur les points d’ancrage aménagés à d’autres endroits de cet ouvrage pour la pratique de l’escalade. Ainsi, le bloc de pierre dont il s’agit, qui s’est descellé sous le poids de la victime, n’était pas directement accessible à un usager utilisant normalement l’ouvrage public et n’avait pas pour fonction de supporter le poids d’une personne descendant en rappel. Par suite, un tel danger, inhérent à cette partie de l’ouvrage normalement non accessible et ne présentant intrinsèquement aucun risque, n’avait pas à être spécifiquement signalé. Il s’ensuit qu’Alexandre C, par son comportement, a fait un usage anormal de l’ouvrage. Dans ces conditions, l’intéressé, par ailleurs policier, sapeur-pompier volontaire et alpiniste aguerri et habitué à la pratique de l’escalade, ne pouvait ignorer le grave danger auquel il s’exposait en franchissant cette barrière, en s’assurant sur une pierre qui n’était pas dédiée à la pratique du rappel et en effectuant une descente en rappel de plus de 8 mètres sans être encadré par des professionnels ni même être assuré par un tiers. La circonstance que la signalisation a été renforcée postérieurement à cet accident n’est pas de nature à remettre en cause cette appréciation » (décision commentée : TA Orléans, 24 Avril 2025, n° 2203286, point 10 ).

C’est donc l’imprudence de la victime et son utilisation non-conforme de l’ouvrage qui sont à l’origine du décès, et la responsabilité de la commune est inenvisageable :

« Par suite, en dépit de la gravité des circonstances de ce décès et alors au surplus qu’aucun défaut d’entretien de l’ouvrage public n’est caractérisé l’accident mortel dont a été victime M. D C est exclusivement imputable à son imprudence fautive et à l’utilisation non-conforme de cet ouvrage » (décision commentée : TA Orléans, 24 Avril 2025, n° 2203286, point 11 ).

Au surplus et toujours en raison du comportement de la victime, les préjudices des requérants ne trouvent pas leur cause dans la carence du maire dans l’usage de ces pouvoirs de police :

« En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été exposé précédemment que les préjudices dont les consorts C… demandent la réparation ne trouvent pas leur cause dans la carence alléguée du maire dans l’usage de ses pouvoirs de police, mais dans le comportement de la victime de l’accident. Par suite, les requérants ne sont pas davantage fondés à demander l’engagement de la responsabilité de la commune au motif que le maire n’aurait pas fait usage de ses pouvoirs de police générale sur le fondement des articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales. » (décision commentée : TA Orléans, 24 Avril 2025, n° 2203286, point 13 ).

En somme nul n’est censé ignorer la loi, surtout quand elle a pour but d’éviter un malheureux accident.

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