Par David DEHARBE, avocat gérant (Green Law Avocats)
Par un arrêt en date du 16 novembre 2023, la Cour administrative d’appel de Paris confirme le jugement du Tribunal administratif de Paris annulant l’agrément d’Anticor (n° 23PA03811,23PA03813, téléchargeable ci-dessous).
L’association Anticor a demandé, le 28 septembre 2020, le renouvellement de l’agrément mentionné à l’article 2-23 du code de procédure pénale, en vue de l’exercice des droits reconnus à la partie civile.
Par un arrêté du 2 avril 2021, le Premier ministre, exerçant, en application du décret n° 2020-1293 du 23 octobre 2020 pris en application de l’article 2-1 du décret n° 59-178 du 22 janvier 1959 relatif aux attributions des ministres (JORF n°0259 du 24 octobre 2020), les attributions du garde des sceaux, ministre de la justice, a renouvelé cet agrément pour une durée de trois ans à compter du même jour.
Cet arrêté a été annulé sans effet différé par le tribunal administratif de Paris au motif que l’association Anticor ne remplissait pas les conditions de délivrance d’agrément (TA de Paris, 23 juin 2023, n°2111821/6-1).
Pour mémoire, l’article 1er décret du 12 mars 2014 fixant les conditions de délivrance de l’agrément dispose que : « L’agrément prévu à l’article 2-23 du code de procédure pénale peut être accordé à une association se proposant par ses statuts de lutter contre la corruption lorsqu’elle remplit les conditions suivantes : […] / 4° Le caractère désintéressé et indépendant de ses activités, apprécié notamment eu égard à la provenance de ses ressources ; / 5° Un fonctionnement régulier et conforme à ses statuts, présentant des garanties permettant l’information de ses membres et leur participation effective à sa gestion. » (JORF n°0062 du 14 mars 2014).
Devant la Cour administrative d’appel de Paris, l’association Anticor relève appel de ce jugement, tout en réclamant le sursis à l’exécution de cette même décision.
En statuant directement au fond et en écartant les conclusions tendant au sursis à exécution du jugement, la Cour considère que le Tribunal pouvait annuler sans effet différé l’agrément de l’association (II) dès lors qu’elle n’en respectait pas les conditions de délivrance malgré ses engagements pour l’avenir (I).
I. Une association ne peut être agréée sans respecter au préalable les conditions du décret n°2014-327
Après avoir notamment rappelé, dans les motifs de l’arrêté litigieux, diverses circonstances afférentes tant au renouvellement du conseil d’administration de l’association qu’à des dons reçus par elle, dans des conditions contestées, le Premier ministre a considéré que : « ces éléments, et en particulier l’absence de transparence sur ce don conséquent, sont de nature à faire naitre un doute sur le caractère désintéressé et indépendant des activités passées de l’association, et (…) l’absence de formalisation, par les statuts de l’association, des procédures d’information du conseil d’administration conjuguée à la non-information effective de celui-ci n’ont pas, par le passé, garanti l’information de ses membres et leur participation effective à la gestion de l’association ; (…) toutefois (…) l’association a, dans le cadre de la procédure d’instruction de sa demande de renouvellement d’agrément, manifesté l’intention de recourir à un commissaire aux comptes pour accroitre la transparence de son fonctionnement financier, ainsi qu’une refonte de ses statuts et de son règlement intérieur » (CAA de Paris, 16 novembre 2023, n°23PA03811,23PA03813, point 14).
Selon la juridiction d’appel, l’administration a relevé que l’association Anticor ne respectait pas les conditions de délivrance de l’agrément aux termes des dispositions précitées des 4° et 5° de l’article 1er du décret n°2014-327 du 12 mars 2014 (JORF n°0062 du 14 mars 2014) :
- L'absence de transparence sur les dons conséquents réalisés par une personne physique à l’association, sont de nature à faire naitre un doute sur le caractère désintéressé et indépendant des activités passées de l'association (CAA de Paris, 16 novembre 2023, n°23PA03811,23PA03813, point 15) ;
- L'absence de formalisation, par les statuts de l'association, des procédures d'information du conseil d'administration conjuguée à la non- information effective de celui-ci n'ont pas, par le passé, garanti l'information de ses membres et leur participation effective à la gestion de l'association (CAA de Paris, 16 novembre 2023, n°23PA03811,23PA03813, point 15).
Toutefois, la Cour administrative d’appel constate que malgré le non-respect de ces conditions par Anticor, le Premier ministre a tout de même renouvelé l’agrément de l’association en considérant que l’appelante avait, dans le cadre de la procédure d’instruction de la demande de renouvellement, manifesté l’intention de se doter d’un commissaire aux comptes pour accroitre la transparence de son fonctionnement financier et de procéder à une refonte de ses statuts et de son règlement intérieur (CAA de Paris, 16 novembre 2023, n°23PA03811,23PA03813, point 15).
Par conséquent, les juges d’appel considèrent que le Tribunal a jugé à bon droit que le Premier ne pouvait accorder l’agrément à Anticor alors qu’elle ne remplit pas les conditions de délivrance et ce nonobstant ses engagements à prendre des mesures correctives visant à se mettre en conformité avec ses obligations postérieurement à la date de la décision d’agrément (CAA de Paris, 16 novembre 2023, n°23PA03811,23PA03813, point 20).
Au surplus, ils écartent les autres moyens invoqués par l’association :
- Elle ne peut demander une substitution en ce qu'elle ne peut être réclamée au juge de l'excès de pouvoir que par l'administration auteure de la décision attaquée (CAA de Paris, 16 novembre 2023, n°23PA03811,23PA03813, point 18) ;
- L’annulation d’une décision lui renouvelant cet agrément ne peut méconnaître son droit à l’accès à un juge eu égard aux finalités poursuivies par le législateur en instaurant du régime d’agrément (CAA de Paris, 16 novembre 2023, n°23PA03811,23PA03813, point 19).
II. Les conséquences d'une annulation de l'agrément sans modulation dans le temps ne sont pas excessives pour Anticor
De manière constante, le Conseil d’État reconnais au juge administratif la possibilité de moduler dans le temps les effets de son pouvoir d’annulation « s’il apparaît que cet effet rétroactif de l’annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu’il était en vigueur, que de l’intérêt général pouvant s’attacher à un maintien temporaire de ses effets » (CE, Assemblée, 11 mai 2004, Association AC !, 255886, Publié au recueil Lebon, considérant 11).
En ce sens, la Haute juridiction précise que :
- D'une part « il appartient au juge administratif - après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l’ensemble des moyens, d’ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l’acte en cause - de prendre en considération, d’une part, les conséquences de la rétroactivité de l’annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d’autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l’annulation » (CE, Assemblée, 11 mai 2004, Association AC !, 255886, Publié au recueil Lebon, considérant 11);
- D'autre part, « il lui revient d’apprécier, en rapprochant ces éléments, s’ils peuvent justifier qu’il soit dérogé au principe de l’effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l’affirmative, de prévoir dans sa décision d’annulation, ou, lorsqu’il a décidé de surseoir à statuer sur cette question, dans sa décision relative aux effets de cette annulation, que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de sa décision prononçant l’annulation contre les actes pris sur le fondement de l’acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l’annulation ne prendra effet qu’à une date ultérieure qu’il détermine » (CE, Assemblée, 11 mai 2004, Association AC !, 255886, Publié au recueil Lebon, considérant 11).
Pour ce qui est de l’office du juge d’appel saisi d’un jugement ayant annulé un acte administratif et rejetant l’appel formé contre ce jugement en ce qu’il a jugé illégal l’acte administratif, le Conseil d’État souligne que « la circonstance que l’annulation ait été prononcée par le tribunal administratif avec un effet rétroactif ne fait pas obstacle à ce que le juge d’appel, saisi dans le cadre de l’effet dévolutif, apprécie, à la date à laquelle il statue, s’il y a lieu de déroger en l’espèce au principe de l’effet rétroactif de l’annulation contentieuse et détermine, en conséquence, les effets dans le temps de l’annulation, en réformant le cas échéant sur ce point le jugement de première instance » (CE, 6ème – 5ème chambres réunies, 17 décembre 2020, 430592, point 5).
Tirant les conséquences de la jurisprudence de la Haute juridiction concernant la modulation des effets de l’annulation des actes administratifs, la Cour rejette la requête d’appel sans moduler les effets de sa décision en considérant que les premiers juges ont analysé les conséquences procédurales de cette annulation et ont pu refuser à bon droit de différer son entrée en vigueur :
- « Eu égard à la finalité poursuivie par les auteurs d’une constitution de partie civile, il n’apparaît pas, alors que l’association requérante n’invoque qu’un nombre très limité de procédures judiciaires en cours susceptibles d’être affectées par un risque de prescription ou de nullité, dans des situations où le ministère public avait décidé ou décidera de ne pas poursuivre, que les conséquences de l’annulation du renouvellement d’agrément emporte des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu’il était en vigueur, que de l’intérêt général pouvant s’attacher à un maintien temporaire de ses effets » (CAA de Paris, 16 novembre 2023, n°23PA03811,23PA03813, point 24).