Le 24 décembre 2008, le préfet de l’Aude a délivré à trois sociétés distinctes trois permis de construire pour trois parcs éoliens comportant chacun cinq éoliennes et un poste de transformation.
L’association « Ligue de Protection des Oiseaux », délégation de l’Aude (LPO Aude), a saisi le tribunal administratif de Montpellier d’une demande d’annulation de ces permis de construire qui, par un jugement du 22 novembre 2012, n°0902691, a annulé lesdits permis.
Les sociétés dont les permis de construire des parcs éoliens ont été annulés ont alors interjeté appel du jugement.
La cour administrative d’appel de Marseille a rendu son arrêt le 28 novembre 2014 (CAA Marseille, 28 novembre 2014, n°13MA00344).
Aux termes de cette décision, la Cour a, dans un premier temps, annulé le jugement du tribunal administratif de Montpellier pour méconnaissance du principe du contradictoire (I). Puis, dans un second temps, elle a fait usage de son pouvoir d’évocation mais a, tout de même, annulé les trois permis de construire litigieux. Deux motifs d’annulation des permis de construire ont été relevés par la Cour : en premier lieu, une insuffisance de l’étude d’impact dans ses volets ornithologiques et chiroptérologique (II), et, d’autre part, une erreur manifeste d’appréciation commise par le Préfet au regard des dispositions de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme quant à la perturbation d’un radar météorologique par les éoliennes. Mais ce dernier moyen n’est-il pas aux antipodes de l’objet associatif de la LPO ? (III)
I. L’annulation du jugement pour méconnaissance du principe du contradictoire
Par une lettre du 31 octobre 2012, le président de la première chambre du tribunal administratif de Montpellier a indiqué aux parties, en application de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, que le tribunal était susceptible de relever d’office le moyen tiré du défaut d’intérêt à agir de la Ligue de protection des oiseaux, délégation de l’Aude.
En réponse à cette lettre, la LPO Aude, a produit, par un mémoire enregistré le 5 novembre 2012, l’agrément préfectoral dont elle bénéficie pour engager des instances devant les juridictions administratives pour tout litige se rapportant à la protection de la nature et de l’environnement.
Ce mémoire n’a toutefois pas été transmis aux parties adverses qui ont, en appel, invoqué une méconnaissance du principe du contradictoire.
En effet, aux termes de l’article L. 5 du code de justice administrative : « L’instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l’urgence. »
Aux termes de l’article R. 611-1 du même code : « […] La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s’ils contiennent des éléments nouveaux. »
La Cour a commencé par préciser que « certes, le tribunal ne s’est pas prononcé expressément sur la recevabilité de la demande de première instance, puisqu’aucune fin de non-recevoir n’avait été soulevée par les parties ».
Néanmoins, elle a considéré que « ce mémoire du 5 novembre 2012 a été susceptible d’avoir une incidence sur l’appréciation par le tribunal de l’intérêt à agir de la demanderesse en première instance ».
Ainsi, « en s’abstenant de communiquer aux autres parties ce mémoire, le tribunal administratif de Montpellier a méconnu la règle du caractère contradictoire de la procédure ». La Cour a donc annulé le jugement.
Cette position est particulièrement stricte en ce qui concerne le caractère contradictoire de la procédure :
– D’une part, la LPO Aude n’avait peut-être pas fourni son agrément préfectoral mais elle avait produit ses statuts dès l’introduction de sa demande. Il existait donc des éléments de nature à démontrer l’intérêt à agir de la requérante dès l’introduction de la requête.
– D’autre part, le tribunal administratif avait uniquement envisagé de relever d’office le moyen tiré du défaut d’intérêt à agir mais aucune des parties adverses n’avait soulevé une quelconque fin de non recevoir tiré du défaut d’intérêt pour agir et, ce, même après la lettre du 31 octobre 2012 du président de la première chambre du tribunal administratif de Montpellier.
En conséquence, bien qu’il soit exact que la fourniture par la requérante de son agrément a influencé le juge en le conduisant à ne pas relever d’office un défaut d’intérêt à agir, il est sévère, au regard des circonstances de l’espèce, de considérer qu’il s’agissait d’un élément nouveau qui devait être soumis à un débat contradictoire.
Après avoir annulé le jugement, la Cour a décidé d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la LPO Aude tendant à l’annulation des trois permis de construire.
II. L’annulation des permis de construire en raison de l’insuffisance de l’étude d’impact
En premier motif d’annulation des permis de construire, la Cour a retenu l’insuffisance de l’étude d’impact.
Tout d’abord, la Cour a rappelé le principe selon lequel « les inexactitudes, omissions ou insuffisances d’une étude d’impact ne sont susceptibles de vicier la procédure, et donc d’entraîner l’illégalité de la décision prise au vu de cette étude, que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative ».
Puis, la Cour a relevé que le site d’implantation des éoliennes présentait une sensibilité particulière notamment en raison de la présence d’un Parc Naturel Régional (PNR), d’une Zone Naturelle d’Intérêt Ecologique, Faunistique et Floristique (ZNIEFF) et d’une Zone Importante pour la Conservation des Oiseaux, ( ZICO)
Elle a ensuite rappelé que « le guide sur l’étude d’impact sur l’environnement des parcs éoliens, réalisé par le ministère de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement précise que l’étude de la faune, et notamment de l’avifaune, doit couvrir un cycle biologique représentatif, c’est-à-dire intégrer les saisons optimales d’observation » et a énuméré les saisons optimales d’observation pour chaque type d’oiseaux.
S’agissant des chiroptères, elle a indiqué que le protocole de la société française pour l’étude et la protection des mammifères (SFPEM), auquel se réfère l’avis défavorable rendu le 15 juin 2007 par la direction régionale de l’environnement Languedoc-Roussillon, prévoit des observations d’avril à octobre.
Elle a ensuite considéré que la circonstance qu’une étude de l’avifaune et des chiroptères avait été effectuée en 2003 sur un site voisin dans le cadre d’une étude d’impact portant sur un autre parc éolien, ne dispensait pas, lors de l’étude d’impact réalisée en 2006 pour les projets en litige, « d’actualiser ces données et de procéder à une observation du cycle biologique annuel de l’avifaune et des chiroptères, selon les protocoles rappelés précédemment ».
Elle a ajouté qu’en l’espèce, eu égard aux périodes d’observation retenues, « ces protocoles n’ont pas été respectés et seules des observations sur une partie réduite de ce cycle ont été effectuées ».
Elle en a déduit « que l’étude d’impact a été dès lors insuffisante, s’agissant de la description initiale du site et de ses richesses naturelles ».
Elle a alors conclu que « les insuffisances de l’étude d’impact ont nui en l’espèce à l’information complète du public et ne permettaient pas à l’autorité compétente pour délivrer les permis de construire de se prononcer en connaissance de cause, alors même qu’elle disposait de l’avis défavorable donné par la DIREN, dès lors que les observations de l’avifaune et des chiroptères ne se sont pas déroulées dans des conditions permettant de recenser efficacement les espèces présentes sur le site épisodiquement, ni d’analyser de manière pertinente les courants migratoires susceptibles d’être influencés ou perturbés par le fonctionnement des éoliennes ».
Il est surprenant que la Cour se fonde sur deux guides dépourvus de valeur réglementaire pour considérer que la méthodologie utilisée pour recenser les espèces d’oiseaux et de chiroptères et les mouvements migratoire était insuffisante.
Certes, le site d’implantation des éoliennes présente une sensibilité particulière en raison notamment de la présence d’une ZNIEFF et d’une ZICO et il ressort clairement de l’arrêt que les données utilisées dans l’étude d’impact étaient obsolètes et manifestement insuffisantes pour rendre compte de l’état initial du site en ce qui concerne l’étude de l’avifaune et des chiroptères. Néanmoins, la rédaction de l’arrêt paraît presque conférer une portée réglementaire à des guides qui n’ont aucune portée contraignante.
Cette position risque de conduire d’autres juridictions à annuler les études d’impact ne tenant pas compte de ces guides et, dès lors, de contraindre les opérateurs éoliens à suivre les guides susmentionnés de crainte de voir leur étude d’impact annulée pour insuffisance s’agissant de la description de l’état initial du site.
III. L’erreur manifeste d’appréciation commise par le Préfet au regard de la perturbation d’un radar météo-France
La Cour a retenu un second motif d’annulation pour un des trois permis tenant à l’erreur manifeste d’appréciation commise par le Préfet au regard des dispositions de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme.
Aux termes de cet article : « Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations. »
En l’espèce, la Cour a considéré qu’il résulte des avis émis par les services de Météo France faisant l’objet d’un des permis de construire que les éoliennes concernées « sont susceptibles, essentiellement par leurs pales, de perturber le fonctionnement de certains radars météorologiques ».
Ainsi, « au regard de l’importance pour la sécurité publique qui s’attache à ne pas perturber les instruments de prévision des phénomènes météorologiques, le préfet de l’Aude a commis une erreur manifeste d’appréciation au regard des dispositions précitées de l’article R. 111-2 en délivrant ce permis de construire ».
La Cour confirme ici l’importance conférée aux avis émis par les services de Météo-France en matière éolienne, sachant que ces avis ne lient pas l’autorité préfectoral pour ce qui concerne la procédure de permis de construire.
Mais dans le cadre des nouvelles procédures ICPE, il est donc conseillé aux opérateurs éoliens de contester les avis de Météo-France qui leur sont défavorables par la voie du recours en excès de pouvoir, dans la mesure où ces avis ne constituent pas des actes préparatoires mais des actes faisant grief susceptibles de recours en excès de pouvoir (en ce sens : CAA Nantes, 28 novembre 2014, 13NT02356). Un tel recours permettrait aux opérateurs d’éviter qu’un avis défavorable de Météo-France tel avis leur soit opposé soit par le Préfet lors d’un refus de permis de construire, soit par un requérant lors d’un recours exercé contre un permis accordé.
Sur le fond et pour revenir à la procédure de permis, la position de la Cour est assez mal informée sur l’ampleur de la perturbation radar pqr les éoliennes. Une expertise judiciaire récente ordonnée par le Tribunal administratif d’Amiens relativise la scientificité des positions de Météo-France quant à l’ampleur des perturbations des radars météorologiques par les aérogénérateurs : l’expert judiciaire y a en particulier considéré que l’évaluation des ZID (zones d’impact doppler) était d deux fois inférieures à celle avancée par Météo-France dans ses avis (TA Amiens, 18 février 2014, « Ecotera c/ Préfet de Région Picardie », n°0903355).
Le jugement du Tribunal administratif d’Amiens se réclame d’abord d’une expertise qui semble relativiser en fait l’appréciation par Météo-France de la zone d’impact Doppler : « que s’il est constant que la présence d’éoliennes dans l’environnement d’un radar est susceptible de perturber son fonctionnement et que le rapport de M. Jean Paul. Aymar, expert, remis le 30 septembre 2013, ne remet pas en cause le fondement scientifique du modèle utilisé par l’ANFR, sur lequel se fonde Météo France, pour déterminer les risques de perturbation d’un radar, par référence à la notion de surface équivalent radar, cette notion n’est cependant pas pleinement satisfaisante pour apprécier précisément les dimensions de la zone d’impact du fonctionnement des éoliennes sur un radar météorologique, en raison de la variabilité de cette surface ; qu’il ressort du modèle utilisé par la société Qinetiq dans l’analyse que cette dernière a faite de la surface équivalent radar d’un parc éolien similaire, rapportée par l’expert et des exemples que ce dernier cite, à partir de retours d’expériences présentés par Météo France sur d’autres parcs, que des SER moyennes moindres que celle de 200 m et des largeurs de zone d’impact Doppler plus faibles, de l’ordre de 5 kilomètres seulement, sont généralement constatées ».
Le même jugement du Tribunal administratif d’Amiens, toujours éclairé par avait surtout l’expert missionné à ce propos dans cette affaire, retient l’absence d’enjeu pour la sécurité civile de la prétendue perturbation, en prenant le soin d’en faire la démonstration sur le territoire concerné : « Considérant d’autre part, que dans le cadre de l’expertise, une zone d’étude a été définie dans le secteur d’implantation des éoliennes, afin de caractériser les enjeux localement pertinents pour la sécurité des biens et des personnes, d’une éventuelle perte de détection du radar d’Avesnes engendrée par leur fonctionnement, correspondant aux territoires des dix communes composant la communauté de communes Thiérache d’Aumale, d’une superficie de 35 km2 environ, soit une superficie à peu près équivalente à celle de la zone d’impact Doppler mesurée par Météo France ; que l’expert, assisté d’un sapiteur en gestion des risques, a conclu que l’impact des perturbations occasionnées au fonctionnement du radar était faible, dans cette zone, pour les risques naturels, en raison notamment du faible relief sur la zone d’étude et de l’absence de bassins versants et exceptionnel pour les risques technologiques, du fait de l’éloignement de plus de 30 kilomètres de sites SEVESO, et des risques maîtrisables sur le terrain par les services de secours et les exploitants, des deux installations classées pour l’environnement qui y ont été recensées ; s’il convient de prendre en considération les phénomènes météorologiques engendrés par les mouvements de l’air et si le bon fonctionnement du radar météorologique d’Avesnes participe, via le réseau Aramis, aux missions de prévision de Météo France, il n’est pas démontré que le bon déroulement des missions tant de prévention, que de sécurité civile opérationnelle, exercées localement, soit obéré par la présence du parc éolien en litige, à un point tel qu’il serait effectivement porté atteinte à la sécurité publique au sens des dispositions de l’article R. 111-2 susmentionné, selon des risques suffisamment probables ».
Cette vérification concrète par le juge des enjeux locaux de sécurité civile avant toute censure se réclamant de la perturbation de la veille météorologique est essentielle : ce sont plusieurs milliers de MW éoliens sur le territoire français que Météo-France paralyse avec ses avis défavorables. Ceci explique que les Cours en particulier y procèdent même lorsqu’elles confirment des refus de permis (par ex. : CAA Bordeaux, 10 janvier 2013, n° 11BX03443)
Ainsi on s’étonne dans le cas de l’arrêt commenté, où de surcroît le juge est censé ne censurer qu’une erreur manifeste d’appréciation s’agissant d’un permis délivré, de l’absence de toute appréciation concrète de la perturbation du radar par la Cour eu égard aux enjeux locaux et opérationnels de sécurité civile. La sanction de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme exigeait ici une motivation in concreto de l’atteinte à la sécurité. Là encore l’arrêt parait très fragile.
Enfin, même si l’on conçoit que le recours en excès de pouvoir conduit à un contrôle objectif des permis, l’on s’étonne de voir la LPO, en qualité d’association de protection des oiseaux, développer un moyen sur la compatibilité des aérogénérateurs avec les radars météorologiques qui s’avère susceptible de porter préjudice à la filière éolienne dans son ensemble. D’ailleurs faut-il le rappeler, statutairement « la Protection des Oiseaux ou LPO a pour objet d’agir pour l’oiseau, la faune sauvage, la nature et l’homme, et lutter contre le déclin de la biodiversité, par la connaissance, la protection, l’éducation et la mobilisation ». La LPO serait-elle malgré tout contre les EnR et pour les dérèglements climatiques ? Nous ne pouvons l’imaginer. Mais l’action associative, si noble soit-elle, exige de ceux qui prétendent protéger et parler au nom de l’environnement qu’ils apprécient avec plus de discernement les moyens qu’ils développent devant le juge
Maître Marie-Coline GIORNO (Green Law Avocat)