Par Maître Lucas DERMENGHEM, Avocat Of Counsel, Green Law Avocats
Dans le cadre de l’appel à projets « Réinventer Paris », la Mairie de Paris avait accordé deux permis de construire pour la réalisation de projets intitulés « Mille Arbres » et « Ville Multistrates » comprenant entres autres des logements, bureaux, commerces, un hôtel et des serres agricoles devant s’édifier à l’extrémité ouest de Paris, au niveau de la porte Maillot.
La particularité de cet ensemble immobilier est qu’il devait prendre place sur une dalle devant elle-même être construite en surplomb du boulevard périphérique.
Les permis de construire délivrés ont cependant été contestés devant le Tribunal administratif de Paris par une société propriétaire d’un terrain situé à proximité du projet et deux associations de défense de l’environnement.
Le 2 juillet dernier, les premiers juges ont rendu deux décisions spectaculaires (instances n°1920927 / 1921120 et n°2004241) en prononçant l’annulation « sèche » des permis en litige sur le fondement de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, qui prévoit que « Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations. ».
Si cet article du code de l’urbanisme est fréquemment appliqué par les autorités compétentes en matière d’urbanisme pour refuser la délivrance d’autorisations ou par les juges saisis en cas de contentieux, les décisions des juges parisiens ont ceci de notable qu’elles retiennent (sans doute pour la première fois) l’existence d’un risque pesant sur la salubrité publiques compte-tenu de la pollution de l’air générée (et subie) par le projet immobilier.
Tout d’abord, les décisions du Tribunal administratif de Paris constatent que les projets respectifs des deux permis de construire doivent prendre place dans un secteur déjà concerné par un niveau élevé de pollution de l’air. Cette pollution se caractérise par un taux élevé de particules fines et de dioxyde d’azote (NO2), au-dessus des valeurs limites fixées par le code l’environnement et des recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).
Ensuite, les premiers juges ont déduit de l’étude d’impact que le niveau de concentration du dioxyde d’azote demeurera toujours supérieur aux valeurs limites après la réalisation du projet dans son ensemble, et même en augmentation à plusieurs points de mesure situées aux alentours, du fait notamment de la construction de tunnels requise par l’ensemble immobilier. Et le tribunal de noter que des immeubles d’habitation, des bureaux et des établissements recevant du public (dont une résidence pour personnes âgées) sont situés à ces endroits. Il est également relevé que la crèche prévue par l’un des permis de construire sera située au-dessus de la future gare routière et exposée à des valeurs dépassant ou se rapprochant des valeurs seuils de référence.
Les premiers juges estiment enfin que la mise en place de mesures permettant d’empêcher l’augmentation de la pollution (mur végétal notamment) sera efficace pour certains polluants mais générera une augmentation des concentrations de dioxyde d’azote à des endroits déjà très touchés.
Pour les raisons précitées, le Tribunal administratif a considéré que les permis de construire querellés autorisent un ensemble immobilier portant atteinte à la salubrité publique, en méconnaissance de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme.
Mais les décisions intéressent encore davantage en ce qu’elles refusent toute possibilité de régularisation du projet en vertu de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme qui, on le sait, est fréquemment appliqué par les juridictions. Pour rappel, cet article permet au juge saisi d’un recours contre une autorisation d’urbanisme et constatant l’existence d’un vice entachant d’illégalité cette autorisation, de surseoir à statuer dans l’attente de la régularisation du vice.
En l’espèce, la régularisation de chacun des deux permis de construire est rejetée par la juridiction qui considère que cette démarche serait tout simplement impossible sauf à « changer la nature même du projet ».
Le Tribunal note ainsi concernant l’un des deux permis de construire qu’une régularisation impliquerait que les modifications qui y seraient apportées entraînent une « diminution globale, pérenne et suffisamment certaine des niveaux de concentration des polluants dans l’air ambiant sur le terrain d’assiette même du projet, qui a vocation à accueillir des habitations et des bureaux, et dans les rues adjacentes, dans lesquelles sont situés des immeubles d’habitation et des établissements recevant du public, dont un établissement scolaire et une résidence pour personnes âgées, afin que l’implantation de l’immeuble projeté ne conduise pas, en raison des déplacements de la pollution qu’il entraîne, à un dépassement des seuils de concentration de dioxyde d’azote et de particules fines dans l’air ambiant. »
Au final, l’annulation « sèche » des permis est perçue par le Tribunal administratif de Paris comme la seule décision viable en réponse aux recours intentés par les opposants.
Il s’agit là de jugements particulièrement notables en ce qu’ils procèdent à l’annulation pure et simple d’autorisations d’urbanisme en tenant compte d’un motif de risque pour la salubrité publique (la pollution atmosphérique) sans doute jamais consacré auparavant au titre de l’article R. 111-2
Difficile de ne pas percevoir également entre les lignes de ces décisions une nouvelle condamnation, de la part des juges parisiens, de l’insuffisance des politiques publiques en matière de lutte contre la pollution de l’air, dans la continuité des décisions rendues le 4 juillet 2019 et reconnaissant la carence fautive de l’Etat en la matière (TA Paris, 4 juillet 2019, n°1709933, n°1810251, n°1814405).