Haro sur l’intérêt à agir « urbanistique » ! (CE, 10 février 2016, n°387507)

Par Sébastien BECUE Green Law Avocats Un intéressant arrêt du Conseil d’Etat apporte une nouvelle pierre à l’édifice jurisprudentiel relatif à l’intérêt à agir en matière d’urbanisme depuis la dernière réforme en la matière (CE 10 février 2016 Contexte de nouvelles exigences en matière d’intérêt à agir en urbanisme Classiquement, le juge administratif considérait que l’intérêt à agir à l’encontre d’un permis de construire repose sur la démonstration par le requérant de sa qualité de voisin de la construction projetée. Par une ordonnance en date du 18 juillet 2013, au nom du principe de sécurité juridique et afin de relancer le secteur de la construction, le gouvernement a choisi de restreindre les facultés de remise en cause des constructions autorisées par l’adoption d’un nouvel article L. 600-1-2 au sein du code de l’urbanisme. Désormais, le requérant ne doit plus simplement être voisin de la construction, il doit être un « voisin affecté » par la construction, c’est-à-dire que la construction dont il entend contester le permis doit être de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son propre bien. Restait à savoir comment le juge administratif allait appréhender cette irruption gouvernementale dans son domaine. Par une récente décision (CE, 10 juin 2015, n°386121, que nous commentions ici), le Conseil d’Etat décidait de donner une pleine portée à la nouvelle disposition en exigeant du requérant qu’il prouve l’atteinte directe à ses conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance. Selon les termes des juges, le requérant doit désormais faire « état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que [l’atteinte dont il se prévaut] est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien ». Le Conseil prenait tout de même soin de préciser que le juge devait toutefois se garder « pour autant [d’] exiger de l’auteur du recours qu’il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu’il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci ». Cette limitation, bienvenue parce qu’expresse, à l’exigence probatoire était néanmoins logique : la construction autorisée n’étant pas encore réalisée, les nuisances qui en résulteront ne peuvent pas, par essence, être établies avec certitude et il s’agissait d’une construction non précédée d’une étude d’impact qui aurait permis au requérant d’y puiser des preuves.   Mais on doit encore s’interroger sur le curseur à appliquer dans l’exigence probatoire : c’est-à-dire, d’un point de vue pratique, de quel niveau de précision doivent disposer les preuves ?         Illustration de la nouvelle exigence probatoire La décision ici commentée ne répond que partiellement à cette question (CE, 10 février 2016, n°387507).   La construction projetée en l’espèce est un immeuble collectif de deux étages qui doit être situé sur une parcelle voisine de celle accueillant les maisons dont les requérants sont propriétaires.   Dans leur requête, les requérants produisent des documents qu’ils disent destinés à établir leur qualité de «  propriétaires de biens immobiliers voisins directs à la parcelle destinée à recevoir les constructions litigieuses » : un premier plan cadastral établissant la mitoyenneté des parcelles et un second plan démontrant la co-visibilité du projet.   La seule référence à une éventuelle « atteinte directe » est une mention sur l’un des plans indiquant à un endroit : « façade sud fortement vitrée qui créera des vues ».   Constatant que les requérants n’invoquent pas leur qualité de « voisins affectés », le président du tribunal administratif fait usage des pouvoirs qu’il détient en vertu de l’article  R. 222-1 du code de justice administrative en les invitant à régulariser leur requête.   Les précisions demandées n’ayant pas été fournies, le président du tribunal administratif rejette, sur le fondement du même article, la requête par ordonnance, c’est-à-dire sans audience publique et sans examen du fond de l’affaire, comme étant manifestement irrecevable pour défaut d’intérêt à agir.   Appelé à statuer en cassation, le Conseil d’Etat commence par rappeler le principe de la décision du 10 juin 2015 susmentionnée, puis la reformule en énonçant que « les écritures et les documents produits par l’auteur du recours doivent faire apparaître clairement en quoi les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien sont susceptibles d’être directement affectées par le projet litigieux ».   Ensuite, il se livre à une nouvelle appréciation des documents apportés par les requérants pour établir leur intérêt à agir et conclue de la même manière que le tribunal administratif : les requérants ont commis deux erreurs. D’une part, ils n’ont pas invoqué l’atteinte qui leur ouvrirait l’intérêt à agir. D’autre part, ils ne l’ont pas démontrée. Il n’est pas évident de savoir si la position du Conseil aurait été la même si les requérants n’avait commis que l’une de ces erreurs, peut-être   Enfin, il valide le rejet par ordonnance de la requête comme que n’étant contraire à « aucun principe ».   Il est donc confirmé de manière claire que les requérants doivent désormais :   –          invoquer expressément leur qualité de voisin affecté par la future construction ; –          produire des pièces établissant clairement cette atteinte.   Du côté des défendeurs, lorsque les requérants ont manifestement défini leur intérêt à agir de manière insuffisante, il est possible de demander au président du tribunal de rejeter leur requête pour défaut manifeste d’intérêt à agir.   On regrette néanmoins l’incertitude qui persiste quant à la nature des pièces à même de démontrer une telle atteinte. Concrètement, le juge attend-il un avis d’expert après visite du site ? Cela serait fâcheux. Comme dit précédemment, la construction n’étant pas réalisée, les nuisances ne peuvent par essence pas être prouvées avec certitude. Pour autant que le dossier de demande de permis soit succinct, les voisins auront des difficultés à alimenter leur démonstration. Surtout, cela pourrait constituer un obstacle financier important pour les requérants aux moyens limités.   ***   Par ailleurs, sur un autre thème, le Conseil d’Etat confirme dans cette même décision la légalité de l’article R. 811-1-1 du code de la justice administrative (il l’avait déjà fait dans une première décision, au regard d’autres moyens : CE, 23 déc. 2014, n°373469).   Rappelons que cette disposition, créée par un décret n°2013-879…

Antenne relais: le Conseil d’Etat confirme la soumission à permis de construire selon la surface au sol créée

La Haute juridiction a confirmé dans un arrêt du 20 juin 2012 que les antennes relais, dont la hauteur est supérieure à douze mètres, et dont les installations techniques entrainent une SHOB de plus de 2m², relèvent du régime du permis de construire et non de la déclaration préalable de travaux. Cette décision rééquilibre le contentieux en la matière, qui a fait l’objet de plusieurs soubresauts des derniers mois. En l’espèce, le Conseil d’Etat était saisi d’un jugement par lequel le tribunal administratif de Nîmes avait rejeté le recours de riverains demandant l’annulation de la décision du 30 juin 2009 par laquelle un Maire ne s’était pas opposé aux travaux déclarés par un opérateur de téléphonie en vue de l’édification d’un pylône et d’armoires techniques (CE, 20 juin 2012, n°344646, publié aux Tables du recueil Lebon). L’antenne relais de téléphonie mobile était composée: – d’une part, d’un pylône de radiotéléphonie d’une hauteur de 18 mètres reposant sur une dalle enterrée d’une surface de 9 mètres carrés, – et d’autre part, d’installations techniques sur une dalle de béton clôturée de palissades en bois d’une surface de 10,5 mètres carrés ; Le Conseil d’Etat relève alors que les surfaces de plancher cumulées du pylône et du local technique sont créatrices d’une surface hors oeuvre brute supérieure à deux mètres carrés. Or, par la combinaison de plusieurs dispositions du Code de l’urbanisme qui organisent la soumission à permis de construire (qui demeure le principe), et les exceptions tenant à l’exemption de toute formalité ou à la soumission à simple déclaration préalable de travaux, le Conseil d’Etat estime que: “ […] qu’il résulte de la combinaison des dispositions qui précèdent que les antennes relais de téléphonie mobile dont la hauteur est supérieure à douze mètres et dont les installations techniques nécessaires à leur fonctionnement entraînent la création d’une surface hors oeuvre brute de plus de deux mètres carrés n’entrent pas, dès lors qu’elles constituent entre elles un ensemble fonctionnel indissociable, dans le champ des exceptions prévues au a) et au c) de l’article R. 421-9 du code de l’urbanisme et doivent faire l’objet d’un permis de construire en vertu des articles L. 421-1 et R. 421-1 du même code;” La défense de l’opérateur de téléphonie reposait sur une dissociation de l’antenne proprement dite, et des ouvrages techniques annexes. Pris isolément, chaque élément pouvait alors, selon l’opérateur (et le Tribunal administratif de Nîmes avant qu’il ne soit censuré) relever du régime de la déclaration préalable. Or, ce raisonnement est rejeté par le Conseil d’Etat qui estime qu’il aurait fallu rechercher s’ “il existait un lien fonctionnel entre les deux ouvrages leur conférant le caractère d’une seule construction“. Et c’est effectivement le cas selon l’arrêt du 20 juin 2012, qui qualifie les antennes relais et les installations techniques nécessaires à leur fonctionnement d’”ensemble fonctionnel indissociable”. Il faut noter tout d’abord que la soumission des antennes relais à permis de construire ne se justifiera qu’en fonction des circonstances de chaque espèce, selon que la surface créée par les ouvrages annexes à l’antenne proprement dite est supérieure à 2m². Il faudra à cet égard être vigilant car les dispositions relatives au calcul des surfaces de plancher ont été modifiées au sein du Code de l’urbanisme par décret du 28 février 2012. Ainsi, l’article R421-9 du Code de l’urbanisme prévoit dorénavant que peuvent être soumis à déclaration préalable: “c) Les constructions répondant aux critères cumulatifs suivants : – une hauteur au-dessus du sol supérieure à douze mètres ; – une emprise au sol inférieure ou égale à deux mètres carrés ; – une surface de plancher inférieure ou égale à deux mètres carrés” Ainsi, la jurisprudence du Conseil d’Etat demeure encore valable malgré la réforme apportée en début d’année, lorsque les ouvrages annexes ont une emprise au sol ou une surface de plancher supérieure à 2m². Ensuite, cette décision de la Haute juridiction (qui a les honneurs d’une publication au Recueil) s’inscrit dans un contexte où certains juges du fond avaient suivi le même raisonnement. Ainsi, les praticiens connaissaient déjà le jugement du Tribunal administratif de Dijon (TA Dijon, 07 octobre 2010, « M. Martini », n°0802863, non frappé d’appel), qui avait considéré: «  Considérant qu’aux termes de l’article R 421-1 du Code de l’urbanisme : ‘Les constructions nouvelles doivent être précédées de la délivrance d’un permis de construire, à l’exception : […] b) Des constructions mentionnées aux articles R. 421-9 à R. 421-12 qui doivent faire l’objet d’une déclaration préalable.’ ; qu’en application de l’article R 421-9 du Code de l’urbanisme : ‘En dehors des secteurs sauvegardés dont le périmètre a été délimité et des sites classés, les constructions nouvelles suivantes doivent être précédées d’une déclaration préalable, à l’exception des cas mentionnés à la sous-section 2 ci-dessus : a) Les constructions ayant pour effet de créer une surface hors œuvre brute supérieure à deux mètres carrés et inférieure ou égale à vingt mètres carrés ; […] c) Les constructions dont la hauteur au-dessus du sol est supérieure à douze mètres et qui n’ont pas pour effet de créer de surface hors œuvre brute ou qui ont pour effet de créer une surface hors œuvre brute inférieure ou égale à deux mètres carrés ; les dispositions du présent alinéa ne sont applicables ni aux éoliennes ni aux ouvrages de production d’électricité à partir de l’énergie solaire installés sur le sol ;’ Qu’il résulte de la combinaison de ces articles que la demande d’autorisation tendant à la construction d’un pylône d’une hauteur de douze mètres et dont la surface hors œuvre brute excède deux mètres carrés doit donner lieu à délivrance de permis de construire ». Mais surtout, la soumission des antennes relais à permis de construire s’inscrit dans un contexte jurisprudentiel mouvementé, restreignant la compétence du juge judiciaire et le pouvoir des Maires. En effet, plusieurs décisions capitales sont récemment intervenues, redistribuant les cartes contentieuses des opposants aux antennes relais. Chacun se souviendra des trois décisions du Conseil d’Etat du 26 octobre 2011, qui avaient jugé que seules les autorités de l’Etat désignées par…