Jurisprudence Czabaj et CEDH : une application immédiate du délai raisonnable contraire au droit d’accès à un tribunal

Jurisprudence Czabaj et CEDH : une application immédiate du délai raisonnable contraire au droit d’accès à un tribunal

Par David DEHARBE, avocat gérant (Green Law Avocats)

Dans un arrêt du 9 novembre 2023, la Cour Européenne des droits de l’Homme (CEDH) juge que si la création du prétorienne d’un nouveau délai de recours contentieux ne porte pas une atteinte excessive au droit d’accès à un tribunal, son application immédiate aux instances en cours viole l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme  (CESDH) (Legros et autres contre France, n° 72173/17).

Le projet ASAP : vers l’insécurité juridique du droit de l’environnement !

Par Maître Sébastien Bécue (Green Law Avocats) La solution qu’a trouvé le gouvernement pour accélérer le développement des projets susceptibles d’avoir des impacts sur l’environnement semble être de créer des dérogations au sein du code de l’environnement. Un peu étrange philosophiquement (cela voudrait-il que l’on pourrait se passer des règles que ce code prévoit, alors qu’elles ont pour objet la protection de l’environnement ?), cette idée néglige complètement le fait que les porteurs de projets, et leurs financeurs, ont besoin, avant de les lancer, d’être rassurés sur la solidité juridique du titre qu’il va leur être délivré. Ainsi, on peut désormais, depuis le décret n°2020-412 du 8 avril 2020, bénéficier d’une dérogation préfectorale, à condition que celle-ci : soit justifiée par un motif d’intérêt général et l’existence de circonstances locales (tout juriste sait que la notion d’intérêt général a des contours pour le moins flous) ait pour effet d’alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l’accès aux aides publiques soit compatible avec les engagements européens et internationaux de la France (donc dont, soit dit en passant, le droit de l’Union européenne qui irrigue la quasi-totalité des dispositions du code de l’environnement) ne porte pas atteinte aux intérêts de la défense ou à la sécurité des personnes et des biens, ni une atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé (peut-on faire plus large comme condition ?) Qui peut dire, sauf à faire preuve de témérité, qu’il est certain que la dérogation dont il bénéficie, à supposer qu’elle lui soit délivrée, ne sera pas annulée sur le fondement de l’un de ces nombreux motifs, si elle devait être attaquée devant le juge ? Et maintenant on soumet au Parlement un projet de loi « ASAP » (ne commentons pas l’acronyme, il parle de lui-même) qui prévoit en son article 25, entre autres, la possibilité : de se passer d’enquête publique, et d’y substituer une consultation du public « en fonction de ses impacts sur l’environnement ainsi que des enjeux socio‑économiques qui s’y attachent ou de ses impacts sur l’aménagement du territoire », en méconnaissance totale du principe d’information et de participation du public (art.25) d’exécuter les travaux sans avoir encore obtenu de l’autorisation environnementale (art.26), c’est-à-dire sans connaître l’avis de l’autorité environnementale (!) ou sans avoir recueilli les observations du public (!!), et pour le porteur de projet, sans aucune sécurité juridique ! de ne pas respecter, pour les installations existantes, des prescriptions ministérielles nouvelles « sauf motif tiré de la sécurité, de la santé ou de la salubrité publiques, de la protection de l’environnement ou du respect des engagements internationaux de la France, notamment du droit de l’Union européenne » (art. 21). Les prescriptions environnementales n’ont-elles pas pour objet la protection de l’environnement ? Même Outre qu’elles relèvent clairement de la paresse intellectuelle, ces tentatives sont parfaitement contreproductives au regard de l’objectif affiché de « simplification ». Nécessitant une interprétation complexe, qui peut être renversée par le juge, elles ne seront pas utilisées. Et seront au contraire sources d’insécurité juridique. La priorité du gouvernement, s’il veut accélérer la création de projets, devrait être de travailler à : la clarification des textes par des circulaires claires et détaillées – prenons l’exemple de la dérogation espèces protégées : à partir de quand doit-on la déposer (aujourd’hui selon le texte ce serait tout impact ?), qu’est-ce qu’une raison impérative d’intérêt public majeure ? une solution alternative raisonnable ? leur stabilisation (cf l’échec l’aller-retour sur la définition des zones humides, qui nécessite de refaire des études en cours d’instruction) la prise en compte de ses fameux engagements vis-à-vis de l’Union européenne (cf le ralentissement massif de l’instruction des projets lié à la non-transposition pourtant relevée depuis 2012 de l’exigence d’autonomie de l’autorité environnementale) le recrutement d’instructeurs et leur formation aux procédures qu’il crée Gageons qu’en supprimant, en particulier, la disposition (art. 25) qui permettait aux préfets de soumettre à simple consultation électronique, les projets relevant d’une autorisation environnementale mais ne nécessitant pas d’évaluation environnementale, les députés auteurs de l’amendement n° 785 adopté cette semaine à l’Assemblée Nationale, s’ils croient sauver le droit de l’environnement (cf. Actu-Environnement), rétablissent, sans doute malgré eux, la sécurité juridique…

Eolien : l’autorité de la chose jugée ne doit pas être ignorée

Par Maître Lucas DERMENGHEM (Green Law Avocats)   Par un arrêt rendu le 12 octobre dernier mentionné aux Tables du Recueil Lebon (CE, 12 octobre 2018, n°412104), le Conseil d’Etat a apporté des précisions sur la portée de l’autorité de la chose jugée et sur les circonstances dans lesquelles celle-ci est susceptible d’être remise en cause. Cette décision doit également être remarquée en ce qu’elle contribue à la sécurisation des projets éoliens, lesquels font souvent l’objet de recours contentieux « à rallonge ». A cet égard, elle constitue un complément à l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme qui prévoit que dans l’hypothèse où un refus de permis de construire est annulé, sous réserve que la demande soit confirmée dans les six mois suivant l’annulation définitive, le service instructeur devra ré-instruire la demande, et ne pourra la refuser qu’au regard de l’état du droit au jour de la demande initiale. Les faits sont relativement simples : le 8 juin 2007, une société avait déposé une demande de permis de construire un parc éolien sur le territoire de la commune de Vesly (Eure). Estimant que le projet portait une atteinte au paysage environnant au sens l’article R. 111-21 du code de l’urbanisme dans sa version alors en vigueur, le préfet de département avait refusé de délivrer le permis. Son refus avait cependant été annulé par le Tribunal administratif de Rouen par jugement du 4 novembre 2010, qui a estimé que le projet n’était pas de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants. Ce jugement est devenu définitif. A la suite de ce jugement, le préfet de l’Eure était donc contraint de ré-instruire la demande de permis de construire et a cette fois-ci décidé de le délivrer à la société pétitionnaire. Mais l’autorisation d’urbanisme a alors fait l’objet d’un recours par la commune de Vesly, devant accueillir le projet. Le Tribunal administratif de Rouen a cette fois prononcé l’annulation du permis de construire au motif qu’il avait été pris à l’issue d’une procédure irrégulière. En appel, la Cour administrative d’appel de Douai a infirmé ce motif unique d’annulation retenu par les premiers juges. La Cour a décidé néanmoins de rejeter l’appel en considérant que le projet portait atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants au sens de l’article R. 111-21 du code de l’urbanisme, sur la base de nouveaux documents qui n’avaient pas été produits lors de l’instance antérieure (en l’occurrence de nouveaux photomontages). Saisi du pourvoi en cassation de la société pétitionnaire, le Conseil d’Etat va considérer que l’autorité de la chose jugée, qui s’attache tant au dispositif du jugement d’annulation du Tribunal administratif de Rouen qu’à ses motifs, faisait obstacle à ce que, en l’absence de modification de la situation de droit ou de fait, le permis de construire sollicité soit à nouveau refusé par l’autorité administrative ou qu’il soit annulé par le juge administratif pour un motif identique à celui qui avait été censuré par le Tribunal administratif de Rouen le 4 novembre 2010, en l’occurrence l’atteinte paysagère. « Considérant que l’autorité de chose jugée s’attachant au dispositif de ce jugement d’annulation devenu définitif ainsi qu’aux motifs qui en sont le support nécessaire faisait obstacle à ce que, en l’absence de modification de la situation de droit ou de fait, le permis de construire sollicité soit à nouveau refusé par l’autorité administrative ou que le permis accordé soit annulé par le juge administratif, pour un motif identique à celui qui avait été censuré par le tribunal administratif » Puisque le Tribunal avait jugé que le projet n’était pas de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, seul un changement du projet ou des caractéristiques des lieux avoisinants aurait permis à l’administration ou au juge de porter une appréciation s’écartant de l’autorité de chose jugée. Or, le Conseil d’Etat constate qu’il n’en est rien. La seule circonstance que de nouveaux photomontages produits faisaient notamment apparaître une forte covisibilité entre les éoliennes et un monument historique ne constitue pas une modification de la situation de fait susceptible de remettre en cause l’autorité de chose jugée. Comme l’indique M. le Rapporteur public Guillaume Odinet dans ses conclusions rendues sous cette affaire, « s’il suffisait de produire des pièces complémentaires pour faire obstacle à l’autorité de chose jugée, il ne servirait plus à rien de juger ».

L’exception d’illégalité d’un vice de forme ou de procédure n’est plus perpétuelle (CE, 18 mai 2018, n°414583)

Par Maître Sébastien BECUE (GREEN LAW AVOCATS) Le principe de sécurité juridique (des actes administratifs) prend de plus en plus de place au sein du contentieux administratif. Rappelons-le, le Conseil d’Etat a récemment jugé, par un arrêt Czabazj (13 juil. 2016, n°387763) que le principe de sécurité juridique « fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance », alors même que l’article R. 421-5 du CJA « semblait » indiquer précisément le contraire… C’est encore en considération de la sécurité juridique – même si plus implicitement – que les possibilités de régularisation dans le cadre de l’instance se multiplient dans les différents pans du contentieux administratif (voir pour un excellent article de portée générale sur ce point : « La régularisation d’un acte administratif après annulation conditionnelle : une technique en gestation », H. Bouillon, AJDA 2018, 142 ou encore, en matière d’installations classées, le récent avis du Conseil d’Etat dans l’affaire dite des « Mille vaches » : 22 mars 2018, n°415852 et notre commentaire). Aux termes d’une récente décision (CE, 18 mai 2018, n°414583), le Conseil d’Etat a rejeté le recours introduit par la CFDT à l’encontre d’un refus d’abroger un décret du 29 mars 2017 fixant la liste des emplois et types d’emplois des établissements publics administratifs de l’Etat prévue au 2° de l’article 3 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat en tant qu’il détermine la liste des emplois pour lesquels l’Institut national de la propriété industrielle (INPI). Deux moyens de légalité externe étaient invoqués par le syndicat contre le décret : l’un tenant à une possible irrégularité de la consultation du Conseil supérieur de la fonction publique de l’Etat, et l’autre tenant à ce que le décret finalement adopté différerait de celui soumis le gouvernement au Conseil d’Etat et de celui adopté par le Conseil d’Etat. Ces deux moyens sont purement et simplement écartés par le Conseil d’Etat après formulation d’un nouveau principe selon lequel les vices de forme et de procédure ne peuvent être invoqués contre un acte règlementaire après l’expiration du délai de recours contentieux ; implicitement mais nécessairement au nom là encore de la sécurité juridique. En conséquence, ces types de vice ne peuvent plus être invoqués : dans le cadre d’une action par voie d’exception dans le cadre d’un recours contre une décision administrative ultérieure prise pour l’application de l’acte règlementaire (« l’exception d’illégalité »), ni dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision refusant d’abroger l’acte règlementaire (comme c’était le cas dans l’espèce). Restent cependant invocables les moyens de légalité interne, c’est-à-dire ceux relatifs à « la légalité des règles fixées par l’acte règlementaire », ainsi que les moyens relatifs à la compétence de l’auteur ou à l’existence d’un détournement de pouvoir. Notons que cette décision présente également un intérêt pour le mode d’emploi très clair qu’elle propose des modalités de recours à l’encontre d’un acte règlementaire. Pour le praticien du contentieux de l’urbanisme, le nouveau principe fait immédiatement écho aux dispositions de l’article L. 600-1 du code de l’urbanisme selon lesquelles l’illégalité pour vice de forme ou de procédure d’un document d’urbanisme ne peut être invoquée par voie d’exception après l’expiration d’un délai de six mois à compter de la prise d’effet du document en cause. Comme dans le cas de la jurisprudence Czabazj, le nouveau principe apparaît encore contra legem au contentieux de l’urbanisme, une lecture a contrario de cet article L. 600-1 semblant explicitement permettre la contestation d’un document d’urbanisme, acte qui présente à n’en pas douter un caractère réglementaire, pendant un délai de six mois… On verra quelles seront les conséquences de ce revirement de jurisprudence sur la substance du droit au recours : certaines obligations de forme et de procédure sont d’une telle importance qu’elles impactent le fond de la règle fixée par l’acte règlementaire (ainsi par exemple de certaines consultations obligatoires dans les matières techniques…)…raison pour laquelle aux termes de sa décision Danthony, le Conseil d’Etat avait à l’époque (peut-être plus subtilement que dans cette nouvelle décision) fait la différence entre ceux des vices qui doivent être considérés comme substantiels de ceux qui ne le sont pas, en considération de l’effet réel du vice sur le sens de la règle finalement adoptée.  

Retrait de permis de construire: le Conseil d’Etat précise enfin le délai de notification

La décision de retrait d’une autorisation d’urbanisme doit être notifiée dans le délai de trois mois prévu par l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme: c’est ce qui vient d’être jugé par la Huate juridiction. Il faut saluer une décision récente du Conseil d’Etat statuant (enfin !) sur le délai de notification des décisions de retrait des autorisations d’urbanisme. Dans une décision du 13 février 2012 n°351617 Association société protectrice des animaux de Vannes (CE_13_02_2012_351617_Publié_au_recueil_Lebon), le Conseil d’Etat vient de juger que la légalité d’une décision de retrait d’une autorisation d’urbanisme est conditionnée notamment par sa notification dans le délai de trois mois imparti l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme : « Considérant, d’autre part, qu’aux termes du second alinéa de l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme : Le permis de construire, d’aménager ou de démolir, tacite ou explicite, ne peut être retiré que s’il est illégal et dans le délai de trois mois suivant la date de cette décision ; que, compte tenu de l’objectif de sécurité juridique poursuivi par le législateur, qui ressort des travaux préparatoires de la loi du 13 juillet 2006 dont ces dispositions sont issues, l’autorité compétente ne peut rapporter un permis de construire, d’aménager ou de démolir, tacite ou explicite, que si la décision de retrait est notifiée au bénéficiaire du permis avant l’expiration du délai de trois mois suivant la date à laquelle ce permis a été accordé ; » (Conseil d’État, 1ère et 6ème sous-sections réunies, 13/02/2012, 351617, Publié au recueil Lebon)   Cette décision “SPA de Vannes” constitue un heureux revirement de la jurisprudence antérieure (Conseil d’Etat, Section du contentieux, 21 décembre 2007, “Société BRETIM”, n° 285515),  applicable, nous semble t-il, qu’en matière d’urbanisme. La jurisprudence “Sté BRETIM”, qui prévoit que la date de notification de la décision de retrait n’emportait aucune conséquence sur la légalité de celle-ci, demeure donc applicable dans les autres domaines du droit, lorsqu’une décision créatrice de droit est retirée.   Jusqu’alors, le bénéficiaire pouvait, en toute insécurité, se voir légalement notifier une décision de retrait plusieurs mois après le retrait opéré. L’absence d’obligation de notifier le retrait dans le délai de trois mois permettait indirectement l’administration, et nous avons pu souvent le craindre, à dater le retrait du permis dans le délai légal sans que cela puisse être vérifié ni sanctionné, et à le notifier bien après le délai de trois mois. Concrètement, il faut donc aujourd’hui, pour que le retrait d’un permis de construire soit légal, que le pétitionnaire se le voit notifier dans le délai de trois mois à compter de l’intervention du permis. I l serait souhaitable que le Conseil d’Etat généralise cette obligation à l’ensemble des décisions individuelles créatrices de droit.  

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