Urbanisme : Précisions sur l’application de l’article L. 300-2 du code de l’urbanisme relatif à la concertation du public : mieux vaut trop que pas assez (CE 25 nov. 2015, n°372659)

Par Me Marie-Coline Giorno Green Law Avocat L’article L. 300-2 du code de l’urbanisme exige que certains projets fassent l’objet d’une concertation publique pendant toute la durée de leur élaboration. Les modalités de la concertation sont, en principe, fixées dans une délibération. Cette formalité est substantielle (CE, 10 févr. 2010,  n° 327149, mentionné dans les tables du recueil Lebon ; CAA Lyon, 29 novembre 2011, n° 10LY01907 ou encore CAA Lyon, 11 octobre 2011, n°09LY02138). L’article L. 300-2 du code de l’urbanisme ajoute que les documents d’urbanisme ne sont pas illégaux du seul fait des vices susceptibles d’entacher la concertation, dès lors que les modalités définies par la délibération ont été respectées. Il s’infère de cette disposition que le juge administratif veille scrupuleusement au respect des modalités de la concertation. Une concertation est ainsi, en principe, irrégulière si les modalités de la concertation prévues dans la délibération les fixant n’ont pas toutes été mises en œuvre. En ce sens, un document d’urbanisme a déjà été censuré dans l’hypothèse où les modalités de concertation prévues par la délibération du conseil municipal n’avaient pas été respectées. Dans cette affaire, deux réunions publiques avaient été tenues et un numéro spécial du bulletin municipal avait été édité conformément aux modalités prévues de la concertation. Cependant, aucun registre n’avait été mis à disposition du public pour que ces derniers puissent y consigner leurs observations comme le prévoyait également cette délibération (CAA Marseille, 25 mars 2014, n° 11MA00409). De même, le fait qu’une boîte à idées, prévue parmi les modalités de la concertation, n’ait pas été mise en place a entaché d’illégalité le document d’urbanisme pris à son issue dès lors que les modalités de la concertation n’avaient pas été respectées (CAA Douai, 8 décembre 2011, n° 10DA01597). Néanmoins, un vice tiré du non-respect des modalités de la concertation peut, parfois, ne pas entacher d’illégalité la décision prise à l’issue de la procédure. Le juge applique alors le principe selon lequel, « si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie » (principe dégagé dans Conseil d’État, Assemblée, 23 décembre 2011, n°335033, Publié au recueil Lebon et appliqué récemment en matière de concertation dans CAA Bordeaux, 11 février 2014, n°12BX02488). Par ailleurs, dans des affaires où il était soutenu que les modalités de la concertation méconnaissaient l’article L. 300-2 du code de l’urbanisme, le Conseil d’Etat a considéré que la légalité d’une délibération approuvant un plan local d’urbanisme ne saurait être contestée au regard des modalités de la procédure de concertation qui l’a précédée dès lors que celles-ci ont respecté les modalités définies par la délibération prescrivant l’élaboration de ce document d’urbanisme (Conseil d’Etat, 8 octobre 2012, n° 338760, mentionné aux tables du recueil Lebon ou, également en ce sens, CAA Bordeaux, 11 février 2014, n° 12BX02488). Le moyen est donc inopérant. Récemment, le Conseil d’Etat a encore eu l’occasion de préciser sa position sur l’interprétation des dispositions de l’article L. 300-2 du code de l’urbanisme (Conseil d’État, 1ère / 6ème SSR, 25 novembre 2015, n°372659, mentionné dans les tables du recueil Lebon). En l’espèce, un conseil municipal avait défini les modalités de la concertation devant précéder la révision du plan d’occupation des sols de la commune et sa transformation en plan local d’urbanisme, en prévoyant la mise à disposition d’un registre, l’information du public par bulletin et par voie de presse, l’organisation d’une réunion publique, d’une journée d’information et la mise en place d’une permanence des élus. Cependant, le maire avait également organisé, de sa propre initiative, une concertation supplémentaire auprès des viticulteurs et des artisans, qui ont été reçus individuellement après qu’un questionnaire leur avait été envoyé, et dont il a été fait état dans le bilan de la concertation. La Cour administrative avait jugé que cette consultation supplémentaire, en sus des modalités des modalités définies par la délibération organisant la concertation, entachait d’illégalité la délibération approuvant le plan local d’urbanisme. Le Conseil d’Etat a censuré cette analyse. Il a considéré que « s’il résulte de ces dispositions que la légalité d’une délibération approuvant un plan local d’urbanisme ne saurait être contestée au regard des modalités de la procédure de concertation qui l’a précédée dès lors que celles-ci ont respecté les modalités définies par la délibération prescrivant l’élaboration de ce document d’urbanisme, il ne s’en déduit pas en revanche que l’organisation d’autres formes de concertation en sus des modalités définies par cette dernière délibération aurait, par elle-même, pour effet d’entacher d’illégalité la délibération approuvant le plan local d’urbanisme »  Il en a alors déduit que la Cour administrative d’appel avait commis une erreur de droit en ne recherchant eu égard aux conditions dans lesquelles elle s’était déroulée, cette consultation supplémentaire avait eu pour effet d’entacher d’irrégularité la procédure de concertation prescrite par l’article L. 300-2 du code de l’urbanisme. En conséquence, il résulte de tout ce qui précède que lorsqu’une concertation publique est nécessaire dans le cadre de l’élaboration d’un projet, en application de l’article L. 300-2 du code de l’urbanisme, il est impératif que ses modalités soient préalablement définies. Cette formalité est substantielle. Lors de la concertation, les modalités prévues doivent être respectées. Une concertation est ainsi en principe irrégulière si les modalités prévues n’ont pas toutes été mises en œuvre, sauf à considérer que les intéressés n’ont pas été privés d’une garantie ou que l’irrégularité n’a pas été susceptible d’avoir une influence sur la décision finale approuvant le document d’urbanisme soumis à concertation préalable. En outre, lorsque des modalités ont été mises en œuvre en plus de celles définies dans la délibération, il convient de constater que cette circonstance n’entache pas, par elle-même, d’illégalité la décision approuvant in fine le document d’urbanisme. Ainsi, lorsqu’une…

Les SRCE ne pourront ignorer les activités humaines… (CE, 30 juillet 2014)

Dans un arrêt du 30 juillet 2014 (N° 369148), le Conseil d’Etat valide partiellement le décret n° 2012-1492 du 27 décembre 2012 relatif à la trame verte et bleue en considérant que les articles R. 371-25 et R. 371-26 qu’il crée au sein du code de l’environnement et qui précisent le contenu des schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE), ne méconnaissent pas les principes de développement durable. Aux termes de l’article R. 371-26 du code de l’environnement issu du décret attaqué le diagnostic du territoire régional que comprend, en vertu de l’article R. 371-25 du même code, le schéma régional de cohérence écologique, « porte notamment sur les interactions entre la biodiversité et les activités humaines ». Mais comme le faisait justement valoir la fédération départementale des chasseurs du Pas-de-Calais, il n’en demeure pas moins que le parti pris écologique du SRCE est avéré à la lecture de la même disposition : « Les enjeux relatifs à la préservation et à la remise en bon état des continuités écologiques traduisent les atouts du territoire régional en termes de continuités écologiques, les menaces pesant sur celles-ci, ainsi que les avantages procurés par ces continuités pour le territoire et les activités qu’il abrite » Afin de lier le contentieux, la fédération départementale des chasseurs du Pas-de-Calais avait demandé au Premier ministre et au ministre chargé de l’écologie de modifier les articles R. 371-25 et 371-26 relatifs au contenu des schémas régionaux de cohérence écologique « afin d’y voir figurer nommément et précisément la nécessité de tenir compte des activités humaines au moyen, notamment, de volets socio-économiques et culturels intégrés à part entière dans le diagnostic du territoire régional ». Ce sont les choix faits ou à faire dans les SRCE qui concrétiseront un primat de l’écologie redouté par certains. Et si l’activité humaine singulière que constitue la chasse a tout à craindre d’un dispositif qui présente les continuités écologiques comme des avantages pour le territoire, il était vain d’invoquer la lettre de la loi pour obtenir la censure du décret. Le législateur ne semblait pas pour sa part avoir exclu les activités humaines des corridors écologiques dès lors que l’article L. 371-1 du code de l’environnement dispose  « La trame verte et la trame bleue ont pour objectif d’enrayer la perte de biodiversité en participant à la préservation, à la gestion et à la remise en bon état des milieux nécessaires aux continuités écologiques, tout en prenant en compte les activités humaines, et notamment agricoles, en milieu rural». C’est évidemment ce que ne manque pas de souligner le Conseil d’Etat en considérant « l’article R. 371-26 du code de l’environnement issu du décret attaqué, qui prévoit que le diagnostic du territoire régional que comprend, en vertu de l’article R. 371-25 du même code, le schéma régional de cohérence écologique, porte notamment sur les interactions entre la biodiversité et les activités humaines, ne méconnaît pas les dispositions du premier alinéa de l’article L. 371-1 du code de l’environnement ». Au surplus la Haute juridiction rappelle que « la fédération requérante n’est pas recevable à contester ces dispositions législatives, en dehors de la procédure prévue par l’article 61-1 de la Constitution ». Gageons que le contentieux des SRCE permettra de vérifier si le planificateur régional de la cohérence écologique est capable de ne pas sacrifier certaines activités humaines sur l’autel des fonctionnalités d’une nature pauvre. D’ailleurs le rapporteur public M. Xavier de LESQUEN se demandant si les articles R. 371-25 et R. 371-26 devaient ou non rappeler les objectifs inscrits dans la loi, considère que si «cela n’est pas nécessaire […] il n’est pas douteux que les objectifs légaux s’imposent aux auteurs de ces documents ». L’enjeu n’est pas neutre : non seulement si l’on considère l’obligation juridique de « prise en compte » des schémas régionaux de cohérence écologique par les SCOT ou les PLU mais aussi et surtout le fait que la réforme du Grenelle les études d’impact doivent intégrer les continuités écologiques et que le SRCE pourrait plus largement servir de source scientifique, à l’instar d’une “super Znieff”, pour étayer la qualification juridique du fait écologique au contentieux. Ainsi le SRCE sera sans doute tout autant objet de recours que moyen dans le contentieux de la légalité des projets d’aménagement. Mais l’arrêt du 30 juillet 2014 doit encore retenir l’attention de ceux qui depuis 2006 et l’espèce « Association Eau et rivières de Bretagne » (CE 19 juin 2006, req. n° 282456) suivent les soubresauts de la réception de la Charte de l’environnement par le juge administratif. En effet le Conseil d’Etat juge à propos du SRCE : « Considérant qu’aux termes de l’article 6 de la Charte de l’environnement : ” Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social ” ; que lorsque des dispositions législatives ont été prises pour assurer la mise en œuvre de ces principes, il n’appartient au juge administratif, au vu de l’argumentation dont il est saisi, de vérifier si les mesures prises pour leur application ne les ont pas méconnus, que dans la mesure où ces mesures d’application ne se bornent pas à tirer les conséquences nécessaires de la loi qu’elles ont pour objet de mettre en œuvre ; qu’en l’espèce, les dispositions réglementaires critiquées se bornent à mettre en œuvre les articles L. 371-1 et suivants du code de l’environnement ; que, par suite, la fédération requérante ne peut utilement soutenir que les articles R. 371-25 et R. 371-26 du code de l’environnement, tels qu’ils résultent du décret attaqué, méconnaissent l’article 6 de la Charte de l’environnement ». Ce faisant la Haute juridiction confirme le contrôle qu’elle entend opérer sur les dispositions réglementaires qui débordent la mise en œuvre législative de la Charte au point de la méconnaître ; ce faisant le Conseil d’Etat semble renoncer à l’application dogmatique et en tout cas plus radicale de la théorie de la loi-écran à la base de la jurisprudence Association Eau et rivières de Bretagne (CE 19 juin 2006, Association Eau et rivières de Bretagne, req. n°…