Droit de propriété : la construction d’une clôture ne vaut pas reconnaissance de bornage amiable définitif (Cass, 19 mai 2015)

Par Aurélien Boudeweel Green Law Avocat Par un arrêt en date du 19 mai 2015 (C.cass, 3ème civ, 19 mai 2015, n° 14-11984), la Cour de cassation relève que l’accord des parties sur la délimitation des fonds n’impliquait pas, à lui seul, leur accord sur la propriété des terrains litigieux. Rappelons que le bornage est l’opération par laquelle est recherchée, déterminée et fixée par des marques extérieures apparentes appelées bornes, la ligne séparative, le plus souvent incertaine, entre deux fonds contigus, non déjà bornés et faisant l’objet d’un droit de propriété privée. Même si la loi n’envisage le bornage que sous l’angle d’une action en justice, il est incontestable que, lorsque les propriétaires sont d’accord et maîtres de leurs droits, ils peuvent procéder à l’amiable au bornage de leurs fonds respectif. Par principe, le bornage est d’abord amiable et ne devient contentieux que subsidiairement. L’assentiment des parties sur l’implantation des bornes n’est soumis par la loi à aucune forme particulière (Cass. 3e civ., 29 mars 2000, n° 97-18.273 : JurisData n° 2000-001406. – CA Besançon, 1re ch. civ., 27 mai 1997 : JurisData n°1997-044057). En application de ce principe, la jurisprudence a admis qu’un plan établi par un géomètre-expert et signé de tous les intéressés constitue un véritable procès-verbal de bornage valant titre définitif tant pour les contenances des parcelles que pour les limites qu’il leur assigne (Cass. 3e civ., 16 févr. 1968, n° 65-13.546 ). Il a de même été jugé que c’est par une appréciation souveraine que les juges du fond décident qu’un acte contenant l’accord des deux voisins pour limiter leur propriétés respectives, en vue d’éviter toutes difficultés ultérieures, et suivi avec l’accord des parties d’un plan dressé par leurs architectes traçant la ligne divisoire constitue une convention qui remplit les conditions de validité de l’article 1108 du Code civil et tient lieu de loi à ceux qui l’avaient faite (Cass. 3e civ., 5 déc. 1968, n° 67-10.717). En l’espèce, un propriétaire avait assigné son voisin en revendication de propriété une bande de terrain qui aurait été prélevée sur sa propriété lors de l’édification d’une clôture, laquelle avait été édifiée d’un commun accord. Saisie de l’affaire, la Cour d’appel avait rejeté la demande aux motifs que la construction de la clôture était le résultat d’un accord entre les propriétaires des fonds et devait être analysée comme valant bornage définitif. La Cour de cassation dans son arrêt du 19 mai 2015 casse l’arrêt de la Cour d’appel et rappelle : « […] selon l’arrêt attaqué (Toulouse, 15 octobre 2012), que Mme X…, propriétaire de parcelles jouxtant le fonds des consorts E… a assigné ces derniers en revendication d’une bande de terrain qui aurait été prélevée sur sa propriété lors de l’édification d’une clôture ; Attendu que pour rejeter sa demande l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que la construction en commun d’une clôture par les auteurs de Mme X… et les époux E… était le résultat concret d’un accord des deux propriétaires pour fixer les limites de leurs fonds respectifs, nonobstant la discordance entre la surface mesurée à l’intérieur de ces limites et la surface portée au cadastre et que cet accord liant les parties devait être considéré comme valant bornage amiable définitif; Qu’en statuant ainsi, alors que l’accord des parties sur la délimitation des fonds n’implique pas, à lui seul, leur accord sur la propriété des parcelles litigieuses, la cour d’appel a violé les textes susvisés ». L’arrêt de la Cour de cassation est intéressant puisque jusqu’à présent de nombreux praticiens considéraient que le bornage étant l’opération qui consiste à déterminer et à fixer par des signes extérieurs la ligne séparative de deux propriétés contiguës, les murs et clôtures séparatifs mis en place à frais communs par les voisins constituant la matérialisation de leur accord sur l’implantation de la ligne divisoire et faisaient donc échec au bornage, dès lors qu’ils sont réputés mitoyens, de sorte que l’action en bornage était irrecevable au fond, la matérialisation de la possession de chacun ayant été ainsi faite par accord des parties avant toute construction (CA Aix-en-Provence, 4e ch. B, 20 mai 1995 : Juris-Data n° 1995-043867. – CA Chambéry, 16 juin 2004 : Juris-Data n° 2004-252583). La position de la Cour de cassation en l’espèce est donc essentielle pour les propriétaires lésés lors de la mise en place des limites séparatives de leurs propriétés car elle ne lie pas l’accord de pose d’une clôture à l’accord sur la délimitation de la propriété. Rappelons en effet que le caractère définitif attribué au bornage amiable emporte l’impossibilité pour les parties de remettre en cause unilatéralement la ligne divisoire telle que définie lors des opérations contradictoires et approuvée dans le procès-verbal. Cette impossibilité découle directement des dispositions de l’article 1134, alinéa 1er du Code civil (CA Bourges, ch. civ., 8 févr. 2005, n° 04/00164 : JurisData n° 2005-265790). Les propriétaires ont donc avec cet arrêt toujours la possibilité de saisir le juge judiciaire s’ils s’estiment lésés et trompés même après l’édification d’une clôture.

Gaz de schiste: la loi interdisant la technique de fracturation est jugée conforme à la Constitution

Le Conseil constitutionnel a rejeté l’ensemble des griefs d’une société spécialisée dans l’exploration de gaz de schiste à l’encontre des articles 1er et 3 de la loi n° 2011-835 du 13 juillet 2011 (Décision n°2013-346 du 11 octobre 2013) Rappelons que cette loi vise à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique. La société avait soulevé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à l’encontre de cette loi, et le Conseil d’Etat avait transmis le 12 juillet dernier la QPC au Conseil constitutionnel. Différents arguments étaient soulevés: la violation du principe d’égalité devant la loi (la technique de fracturation n’était pas interdite pour la géothermie); la violation du principe de la liberté d’entreprendre la violation du principe de précaution consacré par l’article 5 de la Charte de l’environnement ; la violation du droit de propriété ; la violation du principe de conciliation des politiques publiques avec la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social consacré par l’article 6 de la Charte de l’environnement. Dans sa décision du 11 octobre 2013, le Conseil constitutionnel rejette la question prioritaire en considérant que Premièrement, “que la différence de traitement entre les deux procédés de fracturation hydraulique de la roche qui résulte de l’article 1er est en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ;”, et que par conséquent, le principe d’égalité n’était pas méconnu. Deuxièmement, s’agissant de la liberté d’entreprise, le Conseil considère “que l’interdiction de recourir à des forages suivis de la fracturation hydraulique de la roche pour rechercher ou exploiter des hydrocarbures sur le territoire national est générale et absolue ; qu’elle a pour effet de faire obstacle non seulement au développement de la recherche d’hydrocarbures « non conventionnels » mais également à la poursuite de l’exploitation d’hydrocarbures « conventionnels » au moyen de ce procédé ; qu’en interdisant le recours à des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche pour l’ensemble des recherches et exploitations d’hydrocarbures, lesquelles sont soumises à un régime d’autorisation administrative, le législateur a poursuivi un but d’intérêt général de protection de l’environnement ; que la restriction ainsi apportée tant à la recherche qu’à l’exploitation des hydrocarbures, qui résulte de l’article 1er de la loi du 13 juillet 2011, ne revêt pas, en l’état des connaissances et des techniques, un caractère disproportionné au regard de l’objectif poursuivi.” Troisièmement, s’agissant du droit de propriété, il est jugé que l’article 3 de la loi ne porte pas atteinte à une situation légalement acquise et que “les autorisations de recherche minière accordées dans des périmètres définis et pour une durée limitée par l’autorité administrative ne sauraient être assimilées à des biens objets pour leurs titulaires d’un droit de propriété ; que, par suite, les dispositions contestées n’entraînent ni une privation de propriété au sens de l’article 17 de la Déclaration de 1789 ni une atteinte contraire à l’article 2 de la Déclaration de 1789.” Quatrièmement, au sujet de l’article 6 de la Charte de l’environnement qui prévoit que « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social », le Conseil considère que “cette disposition n’institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit ; que sa méconnaissance ne peut, en elle-même, être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution ;” Enfin, que le grief tiré de la violation du principe de précaution est “en tout état de cause inopérant” car le législateur s’est fondé sur le principe de prévention.

A quelles conditions un chemin peut il être qualifié de “rural” par prescription acquisitive?

Dans un arrêt en date du 26 mars 2013 (Cour de cass., 3ème chambre civile, 26 mars 2013, pourvoi n°2012-16558), la Cour de cassation souligne que le caractère « rural » d’un chemin peut s’affirmer par la prescription acquisitive au bénéfice d’une commune. Les faits de l’espèce soumis à la Haute juridiction étaient simples : un particulier avait assigné une commune en revendication de propriété d’un chemin traversant les parcelles de terre dont il est propriétaire. Confirmant la décision de Cour d’appel, la Cour de cassation valide l’appréciation des éléments de fait par les juges du fond qui ont permis de conclure à la prescription acquisitive au profit de la commune : « Mais attendu, qu’ayant constaté, d’une part, que la commune par délibérations du 11 juin 1959 et du 10 avril 1961, avait classé le chemin litigieux comme chemin rural, après un affichage en mairie n’ayant suscité aucune opposition et que, depuis, ce chemin figurait dans la liste des chemins ruraux reconnus et apparaissait comme tel au cadastre et, d’autre part, que plusieurs permis de construire délivrés à l’auteur de M. X…, entre 1964 et 1982, signalaient expressément ce chemin rural, l’un d’eux prévoyant la cession « d’une bande de terre nécessaire à l’élargissement du chemin », et relevé que ces actes marquaient la volonté de la commune de Signes de posséder le chemin litigieux, par incorporation à la voirie communale, et que la famille X… avait accepté pendant plus de trente ans cette possession continue et non interrompue, publique, non équivoque et à titre de propriétaire, la rendant ainsi paisible, la cour d’appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision ». Le pourvoi du requérant a par conséquent été rejeté. Cet arrêt de la Cour de cassation confirme la jurisprudence administrative qui considère que, les chemins ruraux, appartenant au domaine privé, peuvent faire l’objet de la prescription acquisitive trentenaire (CE, 19 mai 1976, n° 93629, Sté coopérative ” La Léonarde ” : Dr. adm. 1976, comm. 184. – CE, 11 mai 1984, n° 24755, Épx Arribey : Rec. CE 1984, p. 782). Une vigilance particulière doit donc être portée par les propriétaires terriens de chemins sur le risque d’acquisition, par le jeu de la prescription acquisitive au profit des communes, de « chemins » dans le cadre notamment des diverses actes administratifs et autorisations d’urbanisme délivrées par la personne publique. Aurélien BOUDEWEEL Green Law Avocat

Garantie de performance énergétique: publication d’un premier rapport d’étape

Le groupe de travail du plan Bâtiment Grenelle dirigé par Madame Caroline Costa (directrice juridique du groupe EGIS-HBI) et Michel Jouvent (association Apogee) a publié le 16 avril 2012 son rapport relatif à la « garantie de performance énergétique »: rapport Plan Bâtiment Grenelle 16.04.12. La mission confiée était notamment de définir la garantie de performance énergétique, d’en tracer les contours et d’examiner les solutions d’assurance envisageables. A titre liminaire, il convient de souligner que les membres du groupe de travail ont pris soin de préciser que ledit rapport n’était qu’un « rapport d’étape », tant la question est effectivement vaste et mouvante et ne peut être abordée exhaustivement en quelques quarante pages de rapport. Quoiqu’il en soit, ce rapport présente le mérite de synthétiser le cadre actuel de la performance énergétique, de soulever les incertitudes y afférentes, plus particulièrement s’agissant du régime juridique applicable, et de proposer des pistes de réflexion.     La  présentation de la performance énergétique Un véritable souhait de garantie Après s’être attaché à rappeler la situation actuelle de la performance énergétique, tant factuelle que règlementaire, le rapport dresse un premier bilan des besoins et des attentes des intervenants au processus de performance énergétique. Il en ressort une volonté de s’assurer de l’efficacité des travaux, souvent coûteux, engagés à ce titre et donc un véritable souhait de garantie de performance énergétique à la fois au niveau des maîtres d’ouvrage que des entrepreneurs soucieux de présenter une compétence reconnue en la matière. Les textes n’apportent cependant aujourd’hui pas de réponse complète dans la mesure où  la notion de performance énergétique couvre à cet égard une diversité de situations et ne procède pas d’une définition unique.   Une grande diversité d’engagements Ainsi, l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments existants relève essentiellement de la contractualisation. Dans le cadre d’un recours à un éco-prêt, certains engagements ressortiront notamment du dossier de l’obtention dudit prêt. Dans d’autres cas, l’entrepreneur pourra s’engager sur la base d’un diagnostic de performance énergétique, pour un changement de classe …Il apparaît donc fondamental de bien définir les modalités contractuelles avant le début des travaux. Au regard de la construction de bâtiments neufs, s’impose a minima la nouvelle réglementation RT 2012 applicable pour l’ensemble des permis de construire déposés à compter du 1er janvier 2013 et par anticipation depuis le 28 octobre 2011 pour les bâtiments de bureau et d’enseignement ainsi que pour les bâtiments publics. Celle-ci prévoit désormais que la consommation d’énergie primaire de ces nouveaux bâtiments soit inférieure à un seuil de 50 kilowattheures par mètre carré et par an en moyenne (article 4 de la loi Grenelle 1 du 3 août 2009) Il s’agit cependant d’un seuil de consommation conventionnel théorique (arrêté du 11 octobre 2011) qui peut présenter des écarts avec la consommation réelle en fonction de l’utilisation du bâtiment par l’usager. La RT 2012 ne constitue néanmoins que des normes minimales et les maîtres d’ouvrages, entrepreneurs, acquéreurs… peuvent s’entendre  sur un engagement contractuellement plus contraignant (bâtiment passif voire à énergie positive). A l’aune de ce constat, le groupe de travail s’est penché sur les réponses susceptibles d’être apportées sur ces garanties, ce qui présuppose de pouvoir identifier le régime juridique applicable à la garantie de performance énergétique.   Les incertitudes du régime juridique de la performance énergétique Le débat La principale question qui suscite aujourd’hui la plus grande interrogation est la suivante : le défaut de performance énergétique est-il susceptible de caractériser l’impropriété à la destination d’un ouvrage au sens de l’article 1792 du Code civil ? Tel est assurément le cas lorsque ce défaut de performance énergétique est à l’origine de l’apparition d’un désordre de nature décennale à proprement parler. Mais qu’en est-il du défaut de performance énergétique en lui-même, c’est-à-dire lorsque les objectifs d’efficacité énergétique voulus par les parties ne sont pas atteints ? Il est aujourd’hui impossible d’apporter une réponse tranchée à cette question, tant la jurisprudence en matière d’impropriété à destination n’est pas fixée de manière intangible. Cependant, le rapport du Plan Bâtiment Grenelle s’attache à en discerner les  grandes lignes.   Quelques pistes de réflexion : –          un arrêt remarqué et contesté A cet égard, le groupe de travail relève notamment un décision rendue par la 3ème chambre civile de la Cour de cassation qui a fait application de la responsabilité décennale en présence d’un déficit de fonctionnement d’un équipement de production d’eau chaude sanitaire d’appoint, en l’espèce des capteurs solaires, entrainant une consommation d’énergie supérieure à celle attendue (Cass. 3ème civ., 27 septembre 2000, n°98-11986). Il est intéressant de reproduire l’attendu de la Haute juridiction : « l’immeuble était rendu impropre à sa destination par le non fonctionnement de l’élément d’équipement constitué par les capteurs solaires, compte tenu des risque de surchauffe de l’eau chaude sanitaire collective, et parce que les objectifs d’économies d’énergie, consécutifs à la fourniture d’énergie mixte, promis aux utilisateurs par le promoteur, qui s’était prévalu de la qualification « Solaire trois étoiles », n’étaient pas atteints ». Est-ce pour autant dire que tout défaut de performance énergétique donnera lieu à l’application de la garantie décennale ? Rien n’est moins sûr. En effet, les commentateurs de cet arrêt ont à l’époque, tout comme aujourd’hui le rapport susvisé, mis en exergue la référence par le Cour de cassation à l’absence d’atteinte des objectifs d’économie d’énergie, ce qui a pu donner lieu à de vives critiques quant à la déformation de la notion d’impropriété à destination entendue de manière très extensive et subjective. Cependant, il convient de souligner que les juges motivent également leur décision par « les risques de surchauffe de l’eau chaude sanitaire collective » et donc par un risque d’atteinte à la sécurité des personnes. Or l’on sait qu’en présence de tels risques, la Cour de cassation, de même que les juges du fond, n’hésitent pas à retenir l’impropriété à destination d’un immeuble à usage d’habitation et n’exige pas que le risque se soit déjà réalisé. Par ailleurs, la Haute juridiction précise également que les économies d’énergie attendues par les utilisateurs étaient entrées dans le champ contractuel. Cet élément est d’importance dès lors que la…