POLLUTION DE L’AIR : CONDAMNATION DE LA FRANCE POUR MANQUEMENT

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) Par un arrêt du 24 octobre 2019 (CJUE, 24 oct. 2019, Commission européenne c/ République française, C-636-18, disponible ici) la Cour de justice européenne a condamné la France « pour manquement aux obligations issues de la directive qualité de l’air ». Pour comprendre cette décision, il convient de la contextualiser. L’arrêt commenté s’inscrit dans la continuité des démarches fermes engagées depuis 2018 par la Commission en matière de protection de la qualité de l’air. L’exécutif européen avait ainsi déjà sermonné plusieurs États membres en considération de manquements relatifs à la protection de l’air. Il s’agissait à titre d’exemple, notamment du Royaume-Uni, de l’Italie, de la Hongrie et de la Roumanie. La France, comme d’autres de ses voisins européens, avait déjà fait l’objet d’une mise en demeure pour manquement à la directive sur la qualité de l’air. Si la première mise en demeure de la France date de 2009, d’autres requêtes ont pu être déposées les années suivantes. Rappelons que le cadre juridique relatif à la qualité de l’air résulte de plusieurs directives. Plus particulièrement dans le cas contentieux étudié, il s’agit des directives n° 96/62/CE du 27 septembre 1996, concernant l’évaluation et la gestion de la qualité de l’air ambiant (JOCE, n° L 296, 21/11/1996, p. 55), n° 999/30/CE du Conseil, du 22 avril 1999, relative à la fixation de valeurs limites pour l’anhydride sulfureux, le dioxyde d’azote et les oxydes d’azote, les particules et le plomb dans l’air ambiant (JOCE, L 163, 29/06/1999, p. 41) ln° 2008/50/CE du 21/05/08 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe (JOUE, n° L 152, 11/06/2008). Si la directive 2008/50/CE remplace les directives susmentionnées, ces dernières ont participé à l’élaboration d’une normativité commune européenne en matière de protection de l’air. En l’espèce, la République française a, le 7 mars 2012, demandé le report du délai prévu pour le respect des valeurs limites de polluants atmosphériques. La demande initiale concernait 24 territoires français ainsi que les valeurs limites dans trois de ces zones. La commission avait émis des objections concernant cette demande de report le 22 février 2013 sur le fondement de la directive 2008/50. Les valeurs limites ayant été de nouveau dépassées en 2010, la Commission a lancé une procédure le 12 février 2014. A la suite de cette procédure, l’organe Bruxellois a adressé aux autorités françaises une lettre de mise en demeure le 19 juin 2015. La Commission y considère que l’État français a manqué aux obligations de la directive. Si les autorités françaises ont répondu à la mise en demeure en présentant des rapports annuels pour les années 2014 et 2015, la Commission considère que ces éléments sont insuffisants. La Commission a introduit un recours le 11 octobre 2018 à l’encontre de l’État français pour manquement aux obligations de la directive 2008/50. La Commission considère que la France a systématiquement violé les obligations de la directive 2008/50 sur les limites du NO2 dans plusieurs agglomérations. De plus, elle reproche encore le manquement de la France aux obligations de la directive du fait de la mise en place défaillante de plan relatif à la qualité de l’air. Le manquement reposerait selon elle dans l’insuffisance des mesures relatives à la marge d’appréciation accordée aux États pour porter à bien le respect des valeurs limites. L’État français argue, à l’inverse, arguait pris les mesures nécessaires pour faire face à la situation en considérant des difficultés structurelles qu’elle a pu rencontrer. La République française admet cependant que les seuils ont bien été dépassés. La CJUE s’interroge sur les manquements de la République française aux obligations prévues par la directive 2008/50/CE. La Cour relève, d’une part, qu’en application l’article 13 de la directive, en combinaison avec son annexe XI, le simple fait de dépasser les valeurs limites d’un polluant dans l’air ambiant suffit à constater un manquement de l’État membre (§ 38). Dès lors, le constat d’un dépassement à de multiples reprises sur une temporalité allant de 2010 à 2016 est avéré et il s’apprécie sans considération des difficultés structurelles rencontrées par l’État membre, en l’espèce, l’État français. D’autre part, la CJUE relève que le plan relatif à la qualité de l’air doit répondre à certaines exigences. Le plan relatif à la qualité de l’air, doit ainsi prévoir, « les mesures appropriées pour que la période de dépassement soit la plus courte possible et peut comporter des mesures additionnelles spécifiques pour protéger les catégories de population sensibles » (§ 75). Ces exigences ici de l’article 23 de la directive permettent une application de portée générale qui s’applique à tous types de polluants aériens. Ainsi, les jurisprudences précédentes en matière de qualité de l’air trouvent tout leur sens aux yeux de la Cour (CJUE, 5 avril 2017, Commission/Bulgarie, C‑488/15 ; CJUE, 22 février 2018, Commission/Pologne, C‑336/16). Si ces plans ne peuvent être établis que sur la recherche d’un équilibre entre « l’objectif de réduction du risque de pollution et les différents intérêts publics et privés en présence », pour autant le dépassement des seuils ne permet pas de justifier un manquement de l’État aux objectifs de la directive. Mais la Cour rappelle qu’à cet égard, « les États membres disposent d’une certaine marge de manœuvre pour la détermination des mesures à adopter, celles-ci doivent, en tout état de cause, permettre que la période de dépassement des valeurs limites soit la plus courte possible » (§81). La Cour constate que la République française n’a pas adopté les mesures appropriées qui auraient permis d’assurer un délai de dépassement le plus court possible. Cette constatation de la Cour repose sur une analyse négative des prétentions de l’État français sur les difficultés structurelles et socio-économiques à mettre en place un tel plan, et cela en vertu de sa jurisprudence précédente en matière de protection de l’air (CJUE, 22 février 2018, Commission/Pologne, C‑336/16), d’autant plus que les seuils limites avaient déjà été dépassés depuis le 11 juin 2010 (§ 88). La simple considération d’un problème structurelle ne suffit pas à exonérer un État membre (cette position avait déjà été exprimé par l’avocate générale…

Le juge administratif, la Pollution de l’air et le risque sanitaire

  Par David DEHARBE (Green Law Avocats) Plusieurs juridictions administratives (les Tribunaux administratifs de Montreuil, Paris , Grenoble , Lyon et Lille) ont été saisies par des victimes de la pollution de l’air ambiant d’actions en responsabilité contre l’Etat et ses services déconcentrés. Deux d’entre elles se sont déjà prononcées (TA Paris, 4 juillet 2019, n° 17093334 ; TA Montreuil_25 juin 2019 n°1802202). L’on peut déjà tirer un certain nombre d’enseignements de ces recours au juge. Les fondements de la responsabilité : Sur le principe d’un comportement fautif, trois fondements ont été avancés : la méconnaissance du droit à un air sain, d’une part, celui du respect du domicile entendu par la Cour Européenne des Droits de l’Homme comme conférant un droit de l’homme à l’environnement d’autre part, et enfin, l’échec de la planification réglementaire et des mesures d’urgence dans le domaine de l’air transposée du droit communautaire. Les requérants arguaient d’abord d’une carence fautive du pouvoir réglementaire, qui aurait mal encadré la persistance des dépassements observés depuis plusieurs années en Ile-de-France des valeurs limites de concentrations en particules fines et en dioxyde d’azote. Sur cette base, le Tribunal de Paris comme de Montreuil ont accueilli le moyen. Ainsi pour le juge parisien (TA Paris), « Il résulte de l’instruction que les valeurs limites de concentration et notamment en particules fines, en dioxyde d’azote, ont été dépassées de manière récurrente en Ile-de-France au cours des années 2012, 2013, 2014, 2015 et 2016. L’année 2016 a été marquée par un épisode de pic de pollution entre les mois de novembre et décembre. Des procédures en manquement ont été engagées par la Commission européenne contre la France, les mises en demeure des 20 novembre 2009 et 18 juin 2015 ont donné lieu à la saisine de la Cour de justice de l’Union européenne ». Mais comme le souligne fort pertinemment le Tribunal administratif de Montreuil, « Si le dépassement des valeurs limites ne peut constituer, à lui seul, une carence fautive de l’Etat en matière de lutte contre la pollution atmosphérique au sens des dispositions précitées du code de l’environnement, l’insuffisance des mesures prises pour y remédier est en revanche constitutive d’une telle carence ». En fait le juge administratif mobilise le bloc de légalité de transposition du droit communautaire sur le sujet qui combine des seuils de pollution à ne pas dépasser et des instruments de planification réglementaires pour parvenir à ce résultat. En effet, transposant l’article 23 de la directive 2008/50/CE du 21 mai 2008, « Le plan de protection de l’atmosphère et les mesures mentionnées au deuxième alinéa du I de l’article L. 222-4 ont pour objet, dans un délai qu’ils fixent, de ramener à l’intérieur de la zone la concentration en polluants dans l’atmosphère à un niveau conforme aux normes de qualité de l’air mentionnées à l’article L. 221-1 ou, le cas échéant, les normes spécifiques mentionnées au 2° du I de l’article L. 222-1. (…) ». Et les deux tribunaux administratifs sanctionnent l’échec de la planification réglementaire, du fait de son inefficacité avérée, pour ne pas dire son renoncement à assumer sa vocation préventive : « Eu égard à la persistance des dépassements observés au cours de cette période 2012-2016, le plan de protection de l’atmosphère pour l’Ile-de-France adopté le 7 juillet 2006 et révisé le 24 mars 2013, qui tient lieu de plan relatif à la qualité de l’air prévu par l’article 23 de la directive du 21 mai 2008, ainsi que ses conditions de mise en œuvre, doivent être regardés comme insuffisants au regard des obligations rappelées aux points 3 et 4, dès lors qu’il n’a pas permis que la période de dépassement des valeurs limites soit la plus courte possible » (espèce n° 1802202). De façon plus sévère encore, le Tribunal administratif de Paris relève que « le plan révisé prévoit, d’ici 2020, une diminution des seuils de pollution et, à seulement l’horizon 2025, un passage en dessous des valeurs limites européennes ». En revanche, le Tribunal administratif de Montreuil refuse d’engager la responsabilité des services déconcentrés de l’Etat et plus particulièrement dans leur gestion de l’épisode de pollution de décembre 2016. Pour le Tribunal, les mesures d’urgence ne sont ni tardives ni insuffisantes en termes de règlementation comme de contrôle. Les requérants se prévalaient encore d’une violation de la loi. Mais le Tribunal administratif de Montreuil dénie à l’article L. 220-1 du code de l’environnement toute portée normative. Certes aux termes de cet article, « L’Etat et ses établissements publics, les collectivités territoriales et leurs établissements publics ainsi que les personnes privées concourent, chacun dans le domaine de sa compétence et dans les limites de sa responsabilité, à une politique dont l’objectif est la mise en œuvre du droit reconnu à chacun à respirer un air qui ne nuise pas à sa santé. Cette action d’intérêt général consiste à prévenir, à surveiller, à réduire ou à supprimer les pollutions atmosphériques, à préserver la qualité de l’air et, à ces fins, à économiser et à utiliser rationnellement l’énergie. La protection de l’atmosphère intègre la prévention de la pollution de l’air et la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre ». Mais pour le juge, « ces dispositions, qui se bornent à fixer des objectifs généraux à l’action de l’Etat, sont par elles-mêmes dépourvues de portée normative et ne sont pas susceptibles d’engager la responsabilité de l’Etat en cas de pollution atmosphérique ». Enfin le TA de Montreuil rejette en ces termes le moyen se réclamant de la CEDH : si pour la juridiction, « Les Etats doivent également s’acquitter d’une obligation positive de garantir le respect du domicile et de la vie privée et familiale, en prenant, avec la diligence requise, les mesures appropriées adaptées à la nature des affaires posant des questions environnementales, en présence d’un risque grave, réel et immédiat pour la vie, la santé ou l’intégrité physique ou encore de nuisances de nature à empêcher de jouir de son domicile », non seulement « les efforts fournis ont toutefois permis une amélioration constante de la qualité de l’air en Ile-de-France depuis une dizaine d’années », mais…

Qualité de l’air : après les ZAPA, les ZCR, place aux ZFE

Par Maître Lucas DERMENGHEM (Green Law Avocats) Sous la pression des instances européennes, le gouvernement semble vouloir intensifier ses efforts en matière de qualité de l’air, avec la décision d’accompagner quinze collectivités territoriales dans la création de zones à faibles émissions (ZFE) d’ici deux ans. Le 8 octobre dernier, quinze collectivités territoriales affectées par des problèmes de pollution de l’air (Paris et sa Métropole du Grand Paris, l’agglomération de Grenoble, d’Aix-Marseille, du grand Lyon, Nice, Toulouse, Strasbourg, Clermont-Ferrand, Saint-Etienne, Reims, Rouen, Montpellier et Toulon, Fort-de-France) ont annoncé leur souhait de mettre en œuvre ces zonages sur leur territoire d’ici 2020. Cet engagement se fait avec le soutien du gouvernement, dont l’objectif est de mettre un terme, d’ici 2022, aux dépassements des normes, en particulier s’agissant des émissions de dioxyde d’azote (NO2), gaz toxique émis principalement par les véhicules diesel, et de particules fines PM10. Les ZFE ont vocation à se substituer aux dispositifs existants des zones à circulation restreinte (ZCR), eux-mêmes institués en remplacement des zones d’actions prioritaires pour l’air (ZAPA), qui n’auront pas rencontré le succès escompté puisqu’à ce jour seuls Paris et Grenoble se sont engagés sur cette voie. Ce mécanisme fait ainsi figure d’exception à l’échelle française, alors que l’on dénombre environ 220 villes européennes ayant mis en œuvre un cadre d’actions similaire. Un dispositif souple, bientôt rendu obligatoire pour certaines agglomérations Le fonctionnement des ZFE repose sur le système aujourd’hui opérationnel des vignettes Crit’air et sa mise en œuvre se distingue par une certaine souplesse. Ainsi, les collectivités concernées sont libres de déterminer le périmètre géographique de la zone (centre-ville ou agglomération), mais également les types de véhicules concernés, les heures d’application des restrictions prévues ou encore les dérogations possibles. A titre d’exemple, à Paris, qui a déjà mis en place un plan d’actions, les voitures classées Crit’Air 4 (de type diesel, immatriculés entre 2001 et 2005) ne pourront plus circuler dans les rues à partir du mois de juillet 2019. A Lyon, la ZFE sera opérationnelle à compter du 1er janvier 2020 et n’engendrera de restrictions que pour les poids lourds et les véhicules utilitaires. La souplesse des ZFE permettra donc des actions aux ambitions variables selon les collectivités. D’après les annonces du gouvernement, les ZFE seront officiellement instituées dans le cadre de la future loi d’orientation des mobilités (dite « LOM »), dont le projet est actuellement examiné par le Conseil d’Etat. Aux termes de ce projet de loi, il est prévu que les agglomérations de plus de 100 000 habitants et celles concernées par un Plan de protection de l’atmosphère (PPA) devront mettre en œuvre un plan d’action de réduction des émissions de polluants atmosphériques, lequel devra comprendre une étude portant sur la mise en place d’une ou plusieurs ZFE. En outre, les agglomérations précitées devront obligatoirement mettre en place une ZFE avant le 31 décembre 2020 dans le cas où les normes de qualité de l’air mentionnés à l’article L. 221-1 du code de l’environnement ne sont pas respectées de manière régulière sur leur territoire. En revanche, en l’état, le projet de loi LOM ne prévoit pas de dispositions relatives au contrôle des interdictions fixées par les ZFE. Ce contrôle pourrait être effectué à l’aide de dispositifs de verbalisation automatique par lecture des plaques d’immatriculation. Le respect des obligations européennes en ligne de mire Le déploiement des ZFE vise à rattraper un certain retard français en matière de pollution de l’air, phénomène qui serait responsable d’environ 48000 morts prématurées chaque année dans l’Hexagone. Il s’agit aussi pour le gouvernement de mettre en œuvre les moyens d’action adéquats devant la pression exercée à l’encontre de la France pour son inaction en la matière. Ainsi, par un arrêt du 12 juillet 2017 (CE, 12 juillet 2017, n°394254), le Conseil d’Etat avait enjoint l’Etat de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en œuvre, pour certaines zones du territoire national, un plan relatif à la qualité de l’air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d’azote (NO2) et en particules fines (PM10) sous les valeurs limites fixées par la directive du 21 mai 2018 relative à la qualité de l’air (directive n°2008/50/CE du Parlement et du Conseil du 21 mai 2018). Ce plan devait être transmis à la Commission européenne avant le 31 mars 2018. En février 2018, la France avait soumis à la Commission européenne un plan d’actions destinées à respecter ses obligations en la matière mais aucune mesure concrète n’avait été mise en œuvre. Estimant ces propositions insuffisantes, la Commission européenne a donc saisi le 17 mai dernier la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) d’un recours contre la France, à l’instar de cinq autres Etats membres, pour non-respect des valeurs limites fixées pour le dioxyde d’azote (NO2) issues de la directive du 21 mai 2018 précitée et pour manquement à l’obligation de prendre des mesures appropriées pour écourter le plus possible les périodes de dépassement. S’il s’avère efficace, le dispositif des ZDE pourrait donc permettre à la France d’échapper à une condamnation financière, aboutissement normal de la procédure en cas de manquement répété de la part d’un Etat membre à ses obligations européennes.

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