Schéma régional éolien : annulation du SRE de Basse Normandie pour défaut d’évaluation environnementale (TA Caen, 9 juillet 2015)

Par un jugement du 9 juillet 2015, le Tribunal administratif de CAEN a annulé la décision du Préfet en 2012 ayant approuvé le schéma régional éolien de Basse-Normandie et l’a mis en révision, au motif qu’il s’agissant d’un document devant être précédé d’une évaluation environnementale. Or, une telle évaluation n’ayant pas été faite, la décision méconnait, selon le Tribunal, la directive communautaire du 27 juin 2001 (dont l’effet direct a ici été reconnu) et a exercé une influence sur le sens de la décision. Ce jugement notable, dont on ignore s’il a donné lieu à un appel, soulève différentes interrogations. Rappelons que le schéma régional éolien est un document annexé au SRCAE (schéma régional climat air énergie), qui définit les zones favorables, à l’échelon régional, à l’implantation d’éoliennes. Depuis la loi Brottes du 15 avril 2013, il est prévu que les autorisations d’exploiter ICPE (article L 553-1 du code de l’environnement) doivent tenir compte des parties identifiées comme favorables aux éoliennes. Dans la région Basse-Normandie, la procédure d’élaboration du SRCAE n’a pas abouti à sa publication avant le 30 juin 2012, de sorte que le Préfet de région a poursuivi seul la procédure d’approbation du volet éolien, sous la forme du schéma régional éolien. En l’espèce, plusieurs requérants ont entendu contester la décision d’approbation du SRE. Il s’agissait de plusieurs personnes physiques et d’associations dont l’objet social est la protection de la nature et du patrimoine architectural dans la région. Intérêt à agir contre le SRE : Le Tribunal a ainsi tout d’abord considéré que ces associations présentaient un « intérêt à agir » contre la décision d’approbation du SRE, car ce type de décision tient compte des règles de protections des espaces naturels, des ensembles paysagers notamment (article R 222-2, IV du code de l’environnement). Elles sont donc recevables à contester ce type de décisions au regard de leur objet social. Décision faisant grief : Le Préfet soutenait encore que sa décision d’approbation ne pouvait « faire grief » (c’est-à-dire produire des effets juridiques) dans la mesure où la Loi Brottes du 15 avril 2013 avait supprimé les ZDE (zones de développement éolien) et donc privé les SRE de caractère d’acte faisant grief. Le Tribunal rejette cette analyse et considère de façon assez générale que les autorisations ICPE doivent tenir compte des zones identifiées comme favorables, la décision d’approbation du SRE fait partie des décisions ayant une incidences sur l’environnement Il semblerait que des particularités liées au SRE de Basse Normandie aient également conduit le Tribunal à retenir le caractère d’acte faisant grief : obligation de réaliser une étude de bruit, indication que les parcs doivent être les plus compacts possibles, réalisation d’études préalables obligatoires en forêt, interdiction d’implantation dans l’aire visuelle du Mont St Michel. Pas de transmission de la QPC : Les requérants souhaitaient la transmission au Conseil d’Etat d’une question prioritaire de constitutionnalité, mais le Tribunal considère que les dispositions contestées ne méconnaissent pas de disposition de la Constitution. Obligation de réaliser une évaluation environnementale : le Tribunal a décidé d’annuler la décision préfectorale d’approuver le SRE au motif qu’elle n’avait pas été précédée d’une évaluation environnementale. C’est là une question juridique pointue à laquelle le Tribunal réponds, après avoir visé la directive européenne du 27 juin 2001 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes et le code de l’environnement en considérant que : le schéma régional éolien constitue un « document de planification relatif à l’énergie » (remplissant ainsi la définition fixée par l’article L 122-4 du code de l’environnement pris pour la transposition de la directive européenne) ; le schéma a, selon le Tribunal, pour « objet de définir le cadre territorial de mise en œuvre de travaux d’installation d’éoliennes soumis à étude d’impact » en application de l’article L 122-1 du code de l’environnement. Il en déduit que le SRE devait donner lieu à une évaluation environnementale préalable, sur le fondement de l’article L 122-4 du code de l’environnement. Le Tribunal relève que si l’obligation d’évaluation préalable n’a été codifiée que le 1er janvier 2013 (soit après la décision du Préfet), il fallait considérer que la directive européenne pouvait s’appliquer immédiatement. Il lui a ainsi reconnu un effet direct, en jugeant au passage que l’article R 122-17 (alors applicable) méconnaissant la directive. Les autres arguments n’ont pas été tranchés, ce qu’on peut regretter car ils auraient permis de tirer un certain nombre d’enseignements pour le prochain schéma que le Préfet sevra donc approuver. L’analyse de la décision peut laisser un peu circonspect dans la mesure où le raisonnement fondé sur le postulat que le schéma a, selon le Tribunal, pour « objet de définir le cadre territorial de mise en œuvre de travaux d’installation d’éoliennes soumis à étude d’impact » est loin d’être évident. En effet, la construction des éoliennes donne lieu à permis de construire (ou à autorisation unique) mais ce n’est pas à cette occasion que les zones favorables identifiées par le SRE trouvent un écho quelconque. Nul doute qu’un recours contre un permis, fondé sur la « méconnaissance » du schéma régional éolien serait rejeté, l’argument étant inopérant. Ce n’est donc pas la construction d’éoliennes qui est même indirectement conditionnée par le SRE. A la rigueur, le code de l’environnement prévoit que les autorisations d’exploiter ICPE doivent « tenir compte » des zones favorables. Et c’est au titre des ICPE qu’une étude d’impact des parcs éoliens doit être réalisée, et non au titre de la construction. Cette approximation dans le jugement laisse donc subsister un doute quant à la validation du jugement par les éventuels juges d’appel. Reste encore la question de savoir si le lien entre l’autorisation ICPE (précédée d’une étude d’impact) et le SRE dont les zones doivent être simplement « prises en compte » suffit à soumettre l’entier document à une évaluation environnementale. Dorénavant, le SRCAE (comportant le SRE) doit réglementairement être précédé d’une évaluation environnementale et on pourrait croire que le débat est déjà sans objet. Cela ne nous semble pas être le cas puisque nombre de SRE sont encore en cours d’élaboration et ont même été approuvés avant la réforme du code. Les incidences de…

Mise au point du Conseil d’Etat sur les recours des associations

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Face à des recours associatifs de plus en plus nombreux en matière d’environnement, le Conseil d’Etat a rappelé que les recours des associations étaient admis mais sous certaines conditions (Conseil d’État, 1ère et 6ème sous-sect. réunies, 30 mars 2015, n°375144, mentionné dans les tables du recueil Lebon). Les faits de l’espèce ayant justifié ce rappel méritent d’être rappelés. En 2008, le préfet de la Haute-Marne a pris deux arrêtés pour fixer, d’une part, la liste des animaux classés nuisibles dans ce département au titre de la saison 2008-2009 et, d’autre part, les conditions de leur destruction. En 2009, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé pour excès de pouvoir ces arrêtés en tant qu’ils concernent la corneille noire, la martre, le putois, la pie bavarde, l’étourneau sansonnet, le pigeon ramier et le corbeau freux. Par un jugement du 27 septembre 2012 contre lequel l’association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel (ASPAS) se pourvoit en cassation, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à la réparation des préjudices causés par l’exécution de ces arrêtés. Notons qu’aux termes de son jugement, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne avait aussi admis l’intervention en défense de la Fédération interdépartementale des chasseurs de la Haute-Marne. Précisons que c’est la Cour administrative d’appel, initialement saisie en appel, qui a transmis l’affaire au Conseil d’Etat s’agissant d’un jugement litigieux rendu sur une action indemnitaire, dont le montant global demandé était inférieur à 10 000 euros (CAA Nancy, 19.12.2013, n° 12NC01899, Inédit au recueil Lebon). En cassation, le Conseil d’Etat censure, tout d’abord, l’admission par les juges du fond de l’intervention en défense de la fédération de chasseurs. La fédération faisait valoir que le but poursuivi par l’ASPAS dans le cadre de sa demande tendant à la réparation du préjudice causé par la destruction d’espèces classées nuisibles était contraire à son intérêt statutaire. Le tribunal administratif avait suivi cette interprétation. Le Conseil d’Etat considère, au contraire, « qu’il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’issue du contentieux indemnitaire opposant l’association et l’Etat léserait de façon suffisamment directe les intérêts de la fédération au vu de son objet social ». Il en déduit alors que le « tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a donné aux faits ainsi énoncés une inexacte qualification juridique ». Néanmoins, il précise « qu’eu égard à la portée de l’argumentation de la fédération intervenante en défense, cette erreur de qualification juridique a été sans incidence sur l’issue du litige ; qu’il résulte de ce qui précède que l’inexacte qualification juridique en cause n’est de nature à entraîner l’annulation que de l’article 1er du jugement attaqué, par lequel le tribunal administratif a admis l’intervention de la Fédération interdépartementale des chasseurs de la Haute-Marne, ainsi que la non admission de cette intervention en défense ». Cette position du Conseil d’Etat nous apprend plusieurs choses : – L’intervention d’une association dans un contentieux indemnitaire n’est recevable que si l’issue du contentieux lèse de façon suffisamment directe les intérêts de l’intervenant au vu de son objet social. – Le Conseil d’Etat exerce un contrôle de qualification juridique sur l’intérêt à intervenir devant les juges du fond. – Quand bien même une intervention aurait à tort été admise devant les juges du fond, cette erreur de qualification juridique n’entraînera pas automatiquement l’annulation de l’entier jugement. Tout dépendra de la portée de l’argumentation de l’intervention. Elle pourra seulement entraîner l’annulation de l’article du jugement ayant admis cette intervention. Après avoir refusé d’admettre l’intervention en défense de la Fédération interdépartementale des chasseurs de la Haute-Marne devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, le Conseil d’Etat se prononce sur les autres moyens du pourvoi. Il écarte rapidement un moyen tiré d’une prétendue dénaturation des écritures de la requérante. Puis, il examine la réalité du préjudice moral invoqué par l’association. Pour ce faire, il rappelle les dispositions de l’article L. 142-1 du code de l’environnement et l’objet statutaire de l’association de protection de l’environnement. Ainsi, « aux termes de l’article L. 142-1 du code de l’environnement : ” Toute association ayant pour objet la protection de la nature et de l’environnement peut engager des instances devant les juridictions administratives pour tout grief se rapportant à celle-ci. / Toute association de protection de l’environnement agréée au titre de l’article L. 141-1 justifie d’un intérêt pour agir contre toute décision administrative ayant un rapport direct avec son objet et ses activités statutaires et produisant des effets dommageables pour l’environnement sur tout ou partie du territoire pour lequel elle bénéficie de l’agrément dès lors que cette décision est intervenue après la date de son agrément ” ; qu’aux termes de l’article 2 de ses statuts, l’ASPAS, association agréée pour la protection de l’environnement en vertu de l’article L. 141-1 du code de l’environnement, a pour objet ” d’agir pour la protection de la faune, de la flore, la réhabilitation des animaux sauvages et la conservation du patrimoine naturel en général ” ». Le Conseil d’Etat précise alors « que ces dispositions ne dispensent pas l’association qui sollicite la réparation d’un préjudice, notamment moral, causé par les conséquences dommageables d’une illégalité fautive, de démontrer l’existence d’un préjudice direct et certain résultant, pour elle, de la faute commise par l’Etat ». En l’espèce, il considère qu’ « en jugeant que l’association n’établissait pas, par la circonstance qu’un certain nombre de martres, putois, corneilles noires et corbeaux freux, pies bavardes, étourneaux sansonnets et pigeons ramiers auraient été détruits sur le fondement de l’arrêté préfectoral annulé, l’existence d’un préjudice moral résultant de l’atteinte portée aux intérêts qu’elle s’est donnée pour mission de défendre, le tribunal administratif n’a pas, en l’absence de démonstration du caractère personnel d’un tel préjudice, commis d’erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier ». Enfin, il considère que le motif par lequel le tribunal administratif s’est prononcé sur l’absence de lien de causalité entre le préjudice moral allégué et l’illégalité fautive était surabondant dans la mesure où…