Nouvelle modification du périmètre de l’évaluation environnementale (décret n°2018-435 du 4 juin 2018)

Par Maître Jérémy TAUPIN (Green Law Avocats) Le 2 mars dernier, la loi n° 2018-148 ratifiait les ordonnances n° 2016-1060 du 3 août 2016 portant réforme des procédures destinées à assurer l’information et la participation du public à l’élaboration de certaines décisions susceptibles d’avoir une incidence sur l’environnement et n° 2016-1058 du 3 août 2016 relative à la modification des règles applicables à l’évaluation environnementale des projets, plans et programmes. Cette dernière ainsi que son décret d’application n° 2016-1110 du 11 août 2016, avaient été édictés dans l’optique d’une meilleure transposition de la directive européenne 2011/92/UE du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, ainsi que dans le but d’assurer une meilleure sécurité juridique des projets. Le décret n° 2016-1110 avait notamment modifié la nomenclature des projets soumis à évaluation environnementale, nomenclature reproduite dans le tableau annexé à l’article R. 122-2 du code de l’environnement. Certains seuils avaient évolué, soumettant davantage de projets à l’examen au cas par cas de l’autorité environnementale sur le nécessité de procéder à une évaluation environnementale plutôt qu’à étude d’impact systématique. Le décret n° 2018-435 du 4 juin 2018 modifiant des catégories de projets, plans et programmes relevant de l’évaluation environnementale publié au Journal Officiel le 5 juin modifie une nouvelle fois certaines rubriques de la nomenclature, afin de tenir compte du retour d’expérience des services déconcentrés de l’Etat et des maîtres d’ouvrage, ainsi que de la décision n° 404391 du 8 décembre 2017, par laquelle le Conseil d’Etat avait supprimé, sur le fondement du principe de non-régression du droit de l’environnement, une partie du contenu de la rubrique n°44 « Equipements sportifs, culturels ou de loisirs et aménagements associés » de la nomenclature (Me Sébastien Becue analysait précédemment cette décision sur le blog) Ce décret a fait l’objet d’une consultation importante, ayant donné lieu à de nombreux commentaires, sans que l’on puisse noter de différences majeures entre la version du décret soumise à consultation et celle publiée. Comme cela n’a pas manqué d’être relevé par plusieurs commentateurs, ce nouveau projet de décret ne contient aucune « clause filet », tout comme c’était déjà le cas pour les textes de 2016. Or, dans son rapport de 2015 relatif à la réforme de l’évaluation environnementale, Jacques Vernier avait indiqué que l’introduction d’une telle « clause filet » pour « rattraper » certains projets en dessous des seuils paraissait indispensable pour assurer une bonne transposition de la directive 2011/92/UE et sécuriser les projets, à l’image de ce qui existait déjà dans le dispositif Natura 2000 et conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne selon laquelle tout projet dans le champ de la directive de ne peut être exclu a priori de l’examen au cas par cas (Moderniser l’évaluation environnementale, Rapport préalable à la réforme de l’évaluation environnementale, établi par Jacques Vernier, Président du groupe de travail, mars 2015). L’objectif de ce nouveau décret est de réduire une nouvelle fois le nombre de projets soumis à évaluation environnementale systématique, en visant notamment les établissements SEVESO, la géothermie, les canalisations de transport et les opérations d’aménagement. Concrètement, il modifie certaines rubriques relatives à l’évaluation environnementale des projets (I) et ajoute une catégorie de plans et programmes dans le champ de l’évaluation environnementale (II).   I/ LA MODIFICATION DE CERTAINES RUBRIQUES RELATIVES A L’EVALUATION ENVIRONNEMENTALE DES PROJETS Rubrique n°1 « Installation classées pour la protection de l’environnement » : Auparavant, toutes les installations classées SEVESO étaient soumises de manière systématique, à la réalisation d’une étude d’impact. Les projets de modification de telles installations rentraient alors implicitement dans cette catégorie. La nouvelle rédaction de la rubrique propose, pour plus de clarté, de ne maintenir cette étude systématique que pour les créations d’établissements et pour les modifications faisant entrer un établissement dans cette catégorie. Rubrique n°27 « Forages en profondeur, notamment les forages géothermiques, les forages pour approvisionnement en eau, à l’exception des forages pour étudier la stabilité des sols » : La nouvelle rédaction de la rubrique exclut tous les projets de géothermie de minime importance (GMI), définis par l’article L. 112-3 du code minier, de l’obligation de produire une étude d’impact ou de procéder à un examen au cas par cas, qu’elle que soit leur profondeur. Auparavant, la rédaction du d) de la colonne « cas par cas » permettait une interprétation rendant possible l’examen au cas par cas de projets de GMI dont la profondeur du forage était supérieure à 100 mètres. Rubriques n°35 « Canalisations de transport d’eau chaude » et 36 « Canalisations de transport de vapeur d’eau ou d’eau surchauffée » Concernant les canalisations de transport d’eau chaude (rubrique n°35) et celles de transport de vapeur d’eau ou d’eau surchauffée (rubrique n°36), la nomenclature prévoyait, respectivement, de soumettre à évaluation environnementale systématique les projets de « canalisations dont le produit du diamètre extérieur avant revêtement par la longueur est supérieur ou égal à 5000 m² » et ceux de « canalisations dont le produit du diamètre extérieur avant revêtement par la longueur est supérieur ou égal à 2000 m² ». Cependant, le Ministère estime que ces installations ont un faible impact environnemental puisqu’elles sont réalisées principalement en milieu urbain et qu’elles n’entrainent ni consommation d’eau, ni émissions, ni rejets. De plus, la directive 2011/92/UE ne les évoque que dans son annexe II (projets à soumettre à évaluation environnementale sur la base d’un examen au cas par cas) et non dans son annexe I (projets à soumettre à évaluation environnementale de façon systématique). Conformément à ce constat, le décret modifie la rédaction de ces deux rubriques en prenant notamment en compte la longueur du réseau « aller » mais aussi « retour », et en élevant les seuils du produit du diamètre par la longueur des canalisations. Ainsi la nouvelle rédaction sera la suivante : Sont soumises à l’examen au cas par cas : Les « canalisations dont le produit du diamètre extérieur avant revêtement par la longueur du réseau de transport aller et retour est supérieur ou égal à 10 000 m² » (Rubrique n°35 : canalisations de transport d’eau chaude) Les « canalisations dont le produit du diamètre…

Chantiers de la simplification du droit de l’environnement : régresser ou ne pas régresser, telle est la question… ! (CE, 8 déc.2017- annulation partielle rubrique nomenclature étude d’impact)

Par Me Sébastien BECUE (GREEN LAW AVOCATS) Aux termes d’une décision du 8 décembre 2017 (n°404391) destinée à être mentionnée aux Tables, le Conseil d’Etat supprime, sur le fondement du principe de non-régression du droit de l’environnement, une partie du contenu de la rubrique n°44 « Equipements sportifs, culturels ou de loisirs et aménagements associés » de la nomenclature déterminant les projets soumis à étude d’impact figurant en annexe à l’article R. 122-2 du code de l’environnement. Analyse. Une apparente double régression Une association de protection de l’environnement introduit un recours en annulation à l’encontre des paragraphes (a) et (d) de cette rubrique, dans leur rédaction issue de la dernière révision d’ampleur du régime de l’évaluation environnementale par le décret n°2016-1110 du 11 août 2016.Ces dispositions prévoient la soumission à étude d’impact au cas par cas, c’est-à-dire après avis de l’autorité environnementale statuant sur l’opportunité de la réalisation d’une étude d’impact au regard des caractéristiques d’un projet donné : pour l’aménagement de pistes permanentes de courses et d’essais pour véhicules motorisés d’une emprise supérieure ou égale à 4 hectares (a), et  la construction d’équipements sportifs et de loisirs, ne figurant dans aucune autre rubrique du tableau, susceptibles d’accueillir plus de 5 000 personnes (d). Auparavant : l’ancienne rubrique n°44 disposait qu’étaient soumis à évaluation environnementale systématique les aménagement de terrains pour la pratique de sports ou loisirs motorisés d’une emprise totale supérieure à 4 hectares ; et au cas par cas les aménagement de moins de 4 hectares, et l’ancienne rubrique n°38 prévoyait qu’étaient soumis au régime systématique les équipements culturels, sportifs ou de loisirs susceptibles d’accueillir plus de 5 000 personnes ; et au cas par cas ceux susceptibles d’accueillir plus de 1 000 personnes et moins de 5 000 personnes.  A première vue, et c’était là l’argumentation de l’association, il semble bien que ces « déclassements » puissent être qualifiés de « régression » de la protection de l’environnement, à tout le moins dans le sens courant du terme, à savoir une évolution en sens inverse d’un phénomène qui cesse de progresser. En effet, d’une part, certains projets soumis systématiquement à évaluation environnementale bénéficient désormais du régime plus favorable de l’examen au cas par cas, ce qui peut permettre à certains d’entre eux de ne pas faire l’objet d’une évaluation, en considération de leurs caractéristiques et de leurs impacts supposés sur l’environnement et la santé humaine. D’autre part, certains projets qui faisaient l’objet d’un examen au cas par cas ne sont plus, en aucun cas, soumis à évaluation, sans même d’examen au cas par cas.    L’invocation d’un principe aux contours et à la portée normative encore flous L’association requérante fonde son argumentation sur le principe législatif de non-régression, qui figure à l’article L. 110-1 du code de l’environnement depuis l’intervention de la loi 2016-1087 du 8 août 2016 dite « pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysage ». Ce nouveau principe directeur du droit de l’environnement, « selon lequel la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ». Lors de son contrôle de la conformité du principe à la Constitution, le Conseil constitutionnel lui a reconnu une portée normative en ce qu’il« s’impose, dans le cadre des dispositions législatives propres à chaque matière, au pouvoir réglementaire » (décision n°2016-737 DC du 4 août 2016). Restait donc à savoir comment le Conseil d’Etat allait contrôler concrètement le respect de cette injonction faite à l’exécutif, légitimement saluée par les associations de protection de l’environnement mais également source de crainte pour les porteurs de projets qui réclament de longue date une véritable simplification du droit de l’environnement. Une application pragmatique du principe de non-régression La décision du Conseil d’Etat ne propose pas directement de guide général de mise en œuvre du principe. Saisi d’une question relative à son application au régime juridique de l’évaluation environnementale, l’appréciation du Conseil d’Etat est bornée à ce domaine du droit de l’environnement. Confronté à deux types possibles de régression, le Conseil d’Etat différencie. Il n’y pas régression quand une règlementation « déclasse » un type de projet de la soumission systématique vers la soumission au cas par cas. En effet, les projets compris dans la catégorie déclassée resteront soumis à évaluation environnementale si l’autorité environnementale estime, après une analyse concrète des caractéristiques de l’espèce, que les risques pour l’environnement méritent d’être étudiés. C’est un témoignage important de confiance dans la capacité des administrations assurant le rôle d’autorité environnementale à déterminer quels sont les projets. Il est clair que cette confiance s’explique notamment par l’exigence dont a récemment fait preuve le Conseil d’Etat vis-à-vis de cette institution, dont il a été confirmé dans la douleur qu’elle doit être fonctionnellement indépendante de l’autorité qui délivre l’autorisation (voir notre article L’autorité environnementale est morte, vive l’autorité environnementale !). Il y a présomption de régression lorsqu’une catégorie de projets ne peut plus faire l’objet d’une évaluation environnementale alors que les projets y étaient soumis auparavant. La forme négative choisie pour la rédaction de la phrase est révélatrice : dans ce cas, il y a bien, dans ce cas, régression « en principe ». Cette présomption est néanmoins réfragable : il est possible de démontrer la légitimité d’une telle soustraction. Pour cela, le type de projet devenu insusceptible d’être évalué doit également être insusceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine. Le Conseil d’Etat liste les indices permettant de justifier ce choix : la nature, les dimensions, la localisation, du type de projet, et rappelle que cette appréciation se fait au regard des connaissances scientifiques, comme le prévoit l’article L. 110-1 précité. En l’espèce, il estime que le bilan est négatif : l’association requérante a démontré, sans être efficacement contredite par l’exécutif, que ces types de projets peuvent avoir des incidences notable sur l’environnement « lorsqu’ils sont localisés dans ou à proximité de lieux où les sols, la faune ou la flore sont particulièrement vulnérables ». Le Conseil d’Etat tranche ainsi in concreto, au regard du dossier qui lui est soumis, constitué en toute logique des argumentations respectives…