Immobilier: Contrat de vente immobilière / contrat de crédit affecté : une interdépendance parfois bien utile ! (Cass, 18 déc.2014)

Par Aurélien BOUDEWEEL – Green Law Avocat   Par un arrêt en date du 18 décembre 2014 (C.cass, 18 décembre 2014, 1ère chambre civile, n° de pourvoi 13-24385), la Cour de cassation confirme donc un courant jurisprudentiel dont nous nous étions fait l’écho dans un précédent article (Article du 14 avril 2014, C. d’appel de LIMOGES, 24 janvier 2014, RG n°12/01358), sur l’interdépendance d’un contrat de crédit affecté et du contrat de vente principal. En l’espèce, un immeuble a été acheté par des particuliers. Pour financer cette acquisition, un contrat de prêt a été contracté (on parle de « contrat de crédit affecté »). Un litige est intervenu entre les parties sur la livraison du bien immobilier. Dans ce contexte, les acheteurs ont porté l’affaire devant la juridiction civile et ont sollicité la suspension du contrat de prêt. Saisie du litige, la Cour d’appel a débouté les particuliers de leurs demandes de suspension du contrat de prêt au motif qu’aucun élément de contestation du contrat de prêt ne justifiait sa suspension. La Cour de cassation censure cette appréciation en jugeant :  « Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, par acte notarié du 26 octobre 2006, la société civile de construction Y (la société) a vendu en l’état futur d’achèvement à M. X… un immeuble financé à l’aide d’un prêt souscrit auprès de la banque Z (…), que M. X… a assigné la société Y et la banque Z aux fins de voir ordonner la suspension de l’exécution du contrat de prêt immobilier jusqu’à la solution du litige l’opposant à la société relativement à la livraison du bien vendu ; Attendu que, pour rejeter cette demande, l’arrêt retient que le seul fait d’avoir à rembourser les échéances du contrat de prêt ne caractérise pas un accident affectant son exécution alors, d’une part, que M. X… a obtenu un différé d’amortissement du prêt et que, d’autre part, il ne fournit aucun élément d’ordre économique relativement à sa situation de nature à fonder la suspension du contrat de prêt ; Qu’en statuant ainsi, alors que seuls les accidents ou la contestation affectant l’exécution du contrat principal déterminent la suspension du contrat de prêt destiné à le financer, la cour d’appel a violé, par fausse application, le texte susvisé».   Rappelons que le crédit affecté est celui qui est consenti par un organisme de crédit à un consommateur lors de la conclusion d’un contrat de vente ou prestation de services afin de financer cette opération commerciale. Dans ce contrat, une double relation contractuelle se noue entre le professionnel, l’établissement de crédit et le consommateur : Un premier contrat, dit contrat principal, est conclu entre le professionnel et le consommateur, Une autre relation contractuelle se noue entre le consommateur et l’établissement de crédit. Ces deux relations contractuelles sont interdépendantes aux termes des articles L. 311-20 à L. 311-28 du Code de la consommation. Il est utile de préciser que le lien d’interdépendance est une règle d’ordre public à laquelle le consommateur ne saurait renoncer d’une manière ou d’une autre (Cass, 1ère civ., 17 mars 1993 : Bull. civ. 1993, I, n° 116 ; D. 1993). Plus encore, l’obligation de l’emprunteur de rembourser le prêt d’argent ne commence qu’avec la livraison de la marchandise ou l’exécution de la prestation (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997 : Contrats, conc. consom. 1997, comm. 86. – Cass. 1re civ., 7 févr. 1995 : Contrats, conc. consom. 1995, comm. 166. – CA Douai, 8 sept. 1994 : Rev. huissiers 1995, p. 116). De fait, en cas de contestation sur l’exécution du contrat principal, le tribunal pourra, jusqu’à la solution du litige, suspendre l’exécution du contrat de crédit (C. consom., art. L. 312-19). L’arrêt de la Cour de cassation en date du 18 décembre 2014 met en pratique la disposition du Code de la consommation susvisée et sanctionne la Cour d’appel qui avait méconnu ces dispositions. Cet arrêt est intéressant puisqu’il permet de rappeler aux particuliers qu’en cas de conclusion de contrat de crédit (contrat de crédit affecté) destiné à financer un achat immobilier, ces derniers ont la possibilité de solliciter la suspension des échéances de leur contrat de crédit dès lors que des contestations s’élèvent autour du contrat principal d’achat. Si l’arrêt ici commenté concerne un bien immobilier, rappelons que la solution dégagée tendant à obtenir la suspension du contrat de crédit est identique lorsque des particuliers contestent des contrats de vente d’installation photovoltaïque ou toutes autres installations de production d’énergie. C’est d’ailleurs parfois le seul moyen pour bon nombre de particulier de limiter leurs préjudices au regard des entreprises placées en procédure collective dans ce secteur et contre qui les actions judiciaires sont limitées.    

Installations photovoltaïques/ contrat de crédit affecté : une interdépendance confirmée et non sans conséquences.

Par Maître Aurélien BOUDEWEEL (Green Law Avocat) Par un arrêt en date du 12 mars 2015 (Cour d’appel de LIMOGES, 12 mars 2015, RG n°14/00068), la Cour d’appel de LIMOGES censure un jugement de première instance et prononce l’annulation du contrat de crédit signé par les particuliers pour financer leur installation photovoltaïque dès lors que l’annulation du contrat principal est constatée. Cet arrêt de la Cour d’appel confirme donc un courant jurisprudentiel dont nous nous étions fait l’écho dans un précédent article (cf. notre article du 14 avril 2014 sur l’arrêt de la Cour d’appel de LIMOGES du 24 janvier 2014 : RG n°12/01358), En l’espèce, des particuliers avaient contracté auprès d’une société se revendiquant spécialisée dans la fourniture et la pose d’un système solaire photovoltaïque. L’acquisition s’est opérée au moyen d’un contrat de crédit affecté. Sur le plan juridique, les particuliers ont fait valoir que l’ensemble des travaux n’avaient pas été exécutés et qu’il existait des irrégularités du bon de commande au visa des dispositions du code de la consommation. Saisi du litige, la juridiction de premier degré avait débouté les particuliers de leurs demandes d’annulation et les avait condamnés à rembourser le contrat de crédit auprès de l’établissement bancaire. La Cour d’appel de LIMOGES censure cette appréciation en jugeant : « Il est produit un bon de commande aux noms de ERG, M. X… et Mme A…, une ” attestation de mandat ” X…- ERG (apparaissant signée aussi A…) et un contrat de prêt SA Z-M. X… et Mme A…. Ces documents sont en date du 25 août 2010. Le bon de commande mentionne : fait à Eyburie, le contrat de prêt indique : date d’acceptation 25/ 08/ 2010 à Eyburie. Eyburie est la commune du domicile de M. X…. Le bon de commande se réfère expressément aux articles L 121-23/ 24/ 25/ 26 du code de la consommation. Il s’en déduit que M. X… a fait l’objet d’un démarchage à domicile. Si le mandat conclu en l’occurrence accessoirement au contrat principal n’est pas lui-même soumis directement aux règles des articles L 121-23 à 26 du code de la consommation, celles-ci s’appliquent en revanche au bon de commande constituant le contrat principal. Il est produit uniquement (par l’appelant comme par la SA Z) le recto du bon de commande. Ce recto fait état d’un verso. Il est certes pré-imprimé que le signataire reconnait avoir pris connaissance des dispositions des articles L 121-23, L121-24, L 121-25, L 121-26 du code de la consommation et des conditions générales de vente figurant au verso, mais l’absence de production du verso ne permet pas à la juridiction de vérifier elle-même comme il lui appartient de le faire si le contrat mentionne bien, de façon apparente, le texte intégral de ces dispositions. Et cette mention ne justifie pas non plus elle-même suffisamment de la reproduction desdits articles. Il y a donc là une cause de nullité, vu le début de l’article L 121-23 du code de la consommation. Le prêt était un crédit affecté à la prestation objet du bon de commande précité. En application de l’article L 311-32 du code de la consommation, ce crédit est donc lui-même de plein droit annulé. En raison de la faute du prêteur de n’avoir pas vérifié la conformité du contrat principal de son partenaire, M. Y…, à la législation sur le démarchage à domicile puisqu’il apparaît qu’il n’a eu à sa disposition que le recto du bon de commande et donc un document incomplet, la SA Z sera déboutée de sa demande en paiement et il ne sera pas ordonné de restitution à la charge de M. X… consécutivement à l’annulation du prêt». Cet arrêt de la Cour d’appel de LIMOGES rappelle l’interdépendance du contrat principal et du contrat de crédit affecté et l’annulation automatique du contrat de crédit lorsque l’annulation du contrat principal est prononcée. A noter que la loi n°2014-344 du 17 mars 2014 a réformé plusieurs dispositions du code de la consommation intéressant les opérations de démarchage. On retiendra que le nouvel article L111-1 I du code de la consommation impose même des obligations plus étendues à la charge du professionnel puisque ce dernier doit informer le consommateur les informations suivantes : • Les caractéristiques essentielles du bien ou du service. Il est précisé que cette information doit être faite en fonction du support de communication utilisé : on ne donne pas autant de détail sur les caractéristiques du bien si celui-ci est exposé en vitrine ou si la commande se fait par téléphone ; • Le prix du bien ou du service selon les modalités de l’article L. 113-3 qui n’a pas été modifié ; • La date ou le délai dans lequel le professionnel livrera le bien ou exécutera le service ; • L’identification du professionnel, un décret en Conseil d’État fixe les éléments de cette identification. Ces informations doivent être données au consommateur avant la conclusion du contrat. On rappellera qu’aux termes de l’article L212-21 du Code de la consommation le consommateur dispose dorénavant d’un délai de quatorze jours pour exercer son droit de rétractation d’un contrat conclu à distance, à la suite d’un démarchage téléphonique ou hors établissement, sans avoir à motiver sa décision. L’arrêt de la Cour d’appel de LIMOGES confirme une jurisprudence de plus en plus ferme et tendant à sanctionner les organismes de crédit (professionnels) peu scrupuleux dans la vérification, pourtant obligatoire, de la régularité et conformité du contrat principal (contrat de vente) duquel il dépend. Le consommateur qui est confronté à la disparition de la société auprès de laquelle il a contracté (liquidation ou redressement judiciaire) ne doit donc pas oublier qu’une porte de sortie existe dans le règlement de son litige en cas de conclusion d’un contrat de crédit affecté.

Mise au point du Conseil d’Etat sur les recours des associations

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Face à des recours associatifs de plus en plus nombreux en matière d’environnement, le Conseil d’Etat a rappelé que les recours des associations étaient admis mais sous certaines conditions (Conseil d’État, 1ère et 6ème sous-sect. réunies, 30 mars 2015, n°375144, mentionné dans les tables du recueil Lebon). Les faits de l’espèce ayant justifié ce rappel méritent d’être rappelés. En 2008, le préfet de la Haute-Marne a pris deux arrêtés pour fixer, d’une part, la liste des animaux classés nuisibles dans ce département au titre de la saison 2008-2009 et, d’autre part, les conditions de leur destruction. En 2009, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé pour excès de pouvoir ces arrêtés en tant qu’ils concernent la corneille noire, la martre, le putois, la pie bavarde, l’étourneau sansonnet, le pigeon ramier et le corbeau freux. Par un jugement du 27 septembre 2012 contre lequel l’association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel (ASPAS) se pourvoit en cassation, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à la réparation des préjudices causés par l’exécution de ces arrêtés. Notons qu’aux termes de son jugement, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne avait aussi admis l’intervention en défense de la Fédération interdépartementale des chasseurs de la Haute-Marne. Précisons que c’est la Cour administrative d’appel, initialement saisie en appel, qui a transmis l’affaire au Conseil d’Etat s’agissant d’un jugement litigieux rendu sur une action indemnitaire, dont le montant global demandé était inférieur à 10 000 euros (CAA Nancy, 19.12.2013, n° 12NC01899, Inédit au recueil Lebon). En cassation, le Conseil d’Etat censure, tout d’abord, l’admission par les juges du fond de l’intervention en défense de la fédération de chasseurs. La fédération faisait valoir que le but poursuivi par l’ASPAS dans le cadre de sa demande tendant à la réparation du préjudice causé par la destruction d’espèces classées nuisibles était contraire à son intérêt statutaire. Le tribunal administratif avait suivi cette interprétation. Le Conseil d’Etat considère, au contraire, « qu’il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’issue du contentieux indemnitaire opposant l’association et l’Etat léserait de façon suffisamment directe les intérêts de la fédération au vu de son objet social ». Il en déduit alors que le « tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a donné aux faits ainsi énoncés une inexacte qualification juridique ». Néanmoins, il précise « qu’eu égard à la portée de l’argumentation de la fédération intervenante en défense, cette erreur de qualification juridique a été sans incidence sur l’issue du litige ; qu’il résulte de ce qui précède que l’inexacte qualification juridique en cause n’est de nature à entraîner l’annulation que de l’article 1er du jugement attaqué, par lequel le tribunal administratif a admis l’intervention de la Fédération interdépartementale des chasseurs de la Haute-Marne, ainsi que la non admission de cette intervention en défense ». Cette position du Conseil d’Etat nous apprend plusieurs choses : – L’intervention d’une association dans un contentieux indemnitaire n’est recevable que si l’issue du contentieux lèse de façon suffisamment directe les intérêts de l’intervenant au vu de son objet social. – Le Conseil d’Etat exerce un contrôle de qualification juridique sur l’intérêt à intervenir devant les juges du fond. – Quand bien même une intervention aurait à tort été admise devant les juges du fond, cette erreur de qualification juridique n’entraînera pas automatiquement l’annulation de l’entier jugement. Tout dépendra de la portée de l’argumentation de l’intervention. Elle pourra seulement entraîner l’annulation de l’article du jugement ayant admis cette intervention. Après avoir refusé d’admettre l’intervention en défense de la Fédération interdépartementale des chasseurs de la Haute-Marne devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, le Conseil d’Etat se prononce sur les autres moyens du pourvoi. Il écarte rapidement un moyen tiré d’une prétendue dénaturation des écritures de la requérante. Puis, il examine la réalité du préjudice moral invoqué par l’association. Pour ce faire, il rappelle les dispositions de l’article L. 142-1 du code de l’environnement et l’objet statutaire de l’association de protection de l’environnement. Ainsi, « aux termes de l’article L. 142-1 du code de l’environnement : ” Toute association ayant pour objet la protection de la nature et de l’environnement peut engager des instances devant les juridictions administratives pour tout grief se rapportant à celle-ci. / Toute association de protection de l’environnement agréée au titre de l’article L. 141-1 justifie d’un intérêt pour agir contre toute décision administrative ayant un rapport direct avec son objet et ses activités statutaires et produisant des effets dommageables pour l’environnement sur tout ou partie du territoire pour lequel elle bénéficie de l’agrément dès lors que cette décision est intervenue après la date de son agrément ” ; qu’aux termes de l’article 2 de ses statuts, l’ASPAS, association agréée pour la protection de l’environnement en vertu de l’article L. 141-1 du code de l’environnement, a pour objet ” d’agir pour la protection de la faune, de la flore, la réhabilitation des animaux sauvages et la conservation du patrimoine naturel en général ” ». Le Conseil d’Etat précise alors « que ces dispositions ne dispensent pas l’association qui sollicite la réparation d’un préjudice, notamment moral, causé par les conséquences dommageables d’une illégalité fautive, de démontrer l’existence d’un préjudice direct et certain résultant, pour elle, de la faute commise par l’Etat ». En l’espèce, il considère qu’ « en jugeant que l’association n’établissait pas, par la circonstance qu’un certain nombre de martres, putois, corneilles noires et corbeaux freux, pies bavardes, étourneaux sansonnets et pigeons ramiers auraient été détruits sur le fondement de l’arrêté préfectoral annulé, l’existence d’un préjudice moral résultant de l’atteinte portée aux intérêts qu’elle s’est donnée pour mission de défendre, le tribunal administratif n’a pas, en l’absence de démonstration du caractère personnel d’un tel préjudice, commis d’erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier ». Enfin, il considère que le motif par lequel le tribunal administratif s’est prononcé sur l’absence de lien de causalité entre le préjudice moral allégué et l’illégalité fautive était surabondant dans la mesure où…

Régularisation de construction : réalisme jurisprudentiel

Par Maître Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Un arrêt récent du Conseil d’Etat (CE, 1ère et 6ème sous-sect., 16 mars 2015, n°369553) clarifie le régime des constructions ayant subi des travaux non autorisés qui ont changé leur destination par rapport à ce qui avait initialement été autorisé. Les faits de l’espèce sont d’une grande banalité. Les époux B… ont acquis en 1997 un chalet sur le territoire de la commune de Saint-Gervais-les-Bains. Ce chalet a été édifié en vertu de permis de construire délivrés en 1988 et en 1989 en vue de la construction d’un restaurant d’altitude. Toutefois, il a fait l’objet avant son acquisition par les époux B…d’un changement de destination pour être utilisé pour l’habitation, sans que les travaux ayant permis ce changement ne soient autorisés. Les époux B…ont déposé le 22 août 2008 une demande de permis de construire portant sur une extension de leur chalet. Le 16 octobre 2008, le maire de Saint-Gervais-les-Bains leur a opposé une décision de refus. Ils ont alors saisi le tribunal administratif de Grenoble d’un recours en excès de pouvoir dirigé contre cette décision de refus. Le Tribunal a rejeté leur requête. Ils ont alors interjeté appel mais la Cour administrative d’appel de Lyon a confirmé le jugement de première instance. Ils se sont alors pourvus en cassation. Le Conseil d’Etat s’est prononcé par la décision du 16 mars 2015 (CE, 1ère et 6ème sous-sect., 16 mars 2015, n°369553),  présentement commentée. Deux moyens étaient invoqués devant le Conseil d’Etat dont un attire particulièrement notre attention : l’erreur de droit. Les requérants soutenaient que leur demande de permis de construire concernant les travaux d’extension n’avait pas à porter sur la régularisation des travaux ayant antérieurement changé la destination du chalet. La Cour aurait alors commis une erreur de droit en estimant le contraire. Afin de répondre à ce moyen, le Conseil d’Etat a adopté un raisonnement en trois temps. Dans un premier temps, il a indiqué que : « lorsqu’une construction a fait l’objet de transformations sans les autorisations d’urbanisme requises, il appartient au propriétaire qui envisage d’y faire de nouveaux travaux de déposer une déclaration ou de présenter une demande de permis portant sur l’ensemble des éléments de la construction qui ont eu ou auront pour effet de modifier le bâtiment tel qu’il avait été initialement approuvé ou de changer sa destination ; qu’il en va ainsi même dans le cas où les éléments de construction résultant de ces travaux ne prennent pas directement appui sur une partie de l’édifice réalisée sans autorisation». Ce principe avait déjà été posé par le Conseil d’Etat le 13 décembre 2013 dans des termes presque similaires (CE, 1ère et 6ème sous-sect.,13 décembre 2013, n°349081) : « Considérant que, lorsqu’une construction a fait l’objet de transformations sans les autorisations d’urbanisme requises, il appartient au propriétaire qui envisage d’y faire de nouveaux travaux de déposer une déclaration ou de présenter une demande de permis portant sur l’ensemble des éléments de la construction qui ont eu ou auront pour effet de modifier le bâtiment tel qu’il avait été initialement approuvé ; qu’il en va ainsi même dans le cas où les éléments de construction résultant de ces travaux ne prennent pas directement appui sur une partie de l’édifice réalisée sans autorisation ». Néanmoins, nous pouvons relever qu’aux termes de sa décision du 16 mars 2015, le Conseil d’Etat étend ce principe aux éléments de la construction qui ont eu ou auront pour effet « de changer sa destination ». Cette hypothèse n’était pas envisagée dans sa décision du 13 décembre 2013. Cet ajout permet d’adapter le considérant de principe posé en 2013 aux circonstances de l’espèce. Il est également utile pour préciser le régime des constructions ayant subi des travaux non autorisés qui ont changé leur destination par rapport à ce qui avait initialement été autorisé. Dans un deuxième temps, le Conseil d’Etat précise dans sa décision du 16 mars 2015 : « qu’il appartient à l’autorité administrative, saisie d’une telle déclaration ou demande de permis, de statuer au vu de l’ensemble des pièces du dossier d’après les règles d’urbanisme en vigueur à la date de sa décision ; qu’elle doit tenir compte, le cas échéant, de l’application des dispositions de l’article L. 111-12 du code de l’urbanisme issues de la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, qui prévoient la régularisation des travaux réalisés depuis plus de dix ans à l’occasion de la construction primitive ou des modifications apportées à celle-ci, sous réserve, notamment, que les travaux n’aient pas été réalisés sans permis de construire en méconnaissance des prescriptions légales alors applicables ». Une fois encore, cette formulation est très proche de celle qui avait été adoptée en 2013. Le Conseil d’Etat avait alors estimé : « qu’il appartient à l’administration de statuer au vu de l’ensemble des pièces du dossier, en tenant compte, le cas échéant, de l’application des dispositions de l’article L. 111-12 du code de l’urbanisme issues de la loi du 13 juillet 2006 emportant régularisation des travaux réalisés depuis plus de dix ans ». Notons cependant que la formulation n’est pas identique : – D’une part, dans sa dernière décision, le Conseil d’Etat précise qu’il appartient à l’autorité administrative de statuer au vu de l’ensemble des pièces du dossier « d’après les règles d’urbanisme en vigueur à la date de sa décision ». – D’autre part, le Conseil d’Etat indique dans sa nouvelle décision que la régularisation autorisée en vertu de l’application des dispositions de l’article L. 111-12 du code de l’urbanisme pour les travaux réalisés depuis plus de dix ans n’est autorisée que « sous réserve, notamment, que les travaux n’aient pas été réalisés sans permis de construire en méconnaissance des prescriptions légales alors applicables ». La réserve apportée par le Conseil d’Etat dans sa décision du 16 mars 2015 ne figurait nullement dans sa décision du 13 décembre 2013. Relevons toutefois qu’il ne s’agit pas d’une création prétorienne. En effet, aux termes de l’article L. 111-12…

Installation photovoltaïque / crédit affecté: le bon, la brute et le truand (Cass, 10 déc.2014)

  Par Maître Aurélien BOUDEWEEL (Green Law Avocat) Par un arrêt en date du 10 décembre 2014 (Cass. 1ère civ. 10 décembre 2014, pourvoi n°13-22679), la Cour de cassation confirme la résolution du contrat principal relativement à la pose de l’installation photovoltaïque et du contrat de crédit signé par les particuliers destiné à financer leur installation photovoltaïque, en dépit de la signature par ces derniers de la signature d’un certificat de livraison du bien. Cette décision renforce donc un courant jurisprudentiel dont nous nous étions fait l’écho dans un précédent article (Article du 14 avril 2014, C. d’appel de LIMOGES, 24 janvier 2014, RG n°12/01358), Rappelons que le contrat de crédit affecté (on parle aussi de crédit lié) est celui qui est consenti par un organisme de crédit à un consommateur lors de la conclusion d’un contrat de vente ou prestation de services afin de financer cette opération commerciale. Dans ce contrat, une double relation contractuelle se noue entre le professionnel, l’établissement de crédit et le consommateur : Un premier contrat, dit contrat principal, est conclu entre le professionnel et le consommateur, Une autre relation contractuelle se noue entre le consommateur et l’établissement de crédit. Ces deux relations contractuelles sont interdépendantes aux termes des articles L. 311-20 à L. 311-28 anciens du Code de la consommation. Le lien d’interdépendance est d’ailleurs une règle d’ordre public à laquelle le consommateur ne saurait renoncer d’une manière ou d’une autre (Cass 1ère civ., 17 mars 1993 : Bull. civ. 1993, I, n° 116). L’article L. 311-32 du Code de la consommation dans sa version actuellement en vigueur prévoit que le contrat de crédit est résolu de plein droit lorsque le contrat, en vue duquel le prêt avait été conclu, est lui-même résolu (Cass. 1re civ., 2 juill. 1991 : JCP G1991, IV, p. 345. – CA Riom, 25 sept. 2002 : JurisData n° 2002-194658). En l’espèce, des particuliers avaient contracté auprès d’une société spécialisée dans la fourniture et la pose d’un système solaire photovoltaïque. A la suite d’une non-exécution et/ou une mauvaise exécution de ce contrat, les particuliers ont assigné la société installatrice et la banque, avec laquelle ils avaient contracté un contrat de crédit affecté au financement des travaux, pour obtenir la résolution des contrats passés. La Cour d’appel avait confirmé le bien fondé de l’action des particuliers et avait notamment prononcé la résolution du contrat de crédit affecté au motif que si, une attestation de livraison avait bien été signée par les particuliers justifiant le déblocage des fonds par la banque, cette attestation n’était pas suffisamment précise. Saisi du litige, la Cour de cassation valide le raisonnement du juge d’appel en jugeant : « Attendu que la banque fait grief à l’arrêt, qui prononce la résolution des contrats litigieux, de rejeter sa demande en paiement, alors, selon le moyen : 1°/ qu’en imputant à faute à la banque le fait d’avoir débloqué les fonds au vu d’une attestation de livraison qui aurait manqué de précision et de crédibilité s’agissant d’un contrat « destiné à financer la fourniture et l’installation d’un toit photovoltaïque », cependant que l’objet du prêt, tel que précisé dans l’offre préalable de crédit, portait exclusivement sur le financement d’un toit photovoltaïque moyennant le prix de 17 300 euros correspondant au montant dudit prêt, la cour d’appel a dénaturé l’offre préalable en violation de l’article 1134 du code civil ; 2°/ que l’emprunteur qui détermine l’établissement de crédit à verser les fonds au vendeur au vu de la signature par lui du certificat de livraison du bien n’est pas recevable à soutenir ensuite, au détriment du prêteur, que le bien ne lui a pas été livré ou que la prestation accessoire n’a pas été exécutée, de sorte qu’en statuant comme elle a fait bien qu’elle eût constaté que le prêteur avait débloqué les fonds au vu de l’attestation de livraison signée par les emprunteurs, la cour d’appel a violé l’article L. 311-20 ancien du code de la consommation, ensemble l’article 1147 du code civil ; Mais attendu qu’ayant relevé que l’attestation de “livraison-demande de financement” signée par M. Y… le 26 février 2009 n’était pas suffisamment précise pour rendre compte de la complexité de l’opération financée et ainsi permettre au prêteur de s’assurer de l’exécution complète du contrat principal, la cour d’appel a pu en déduire, sans encourir le grief de dénaturation, qu’en libérant la totalité des fonds au seul vu de cette attestation, la banque avait commis une faute excluant le remboursement du capital emprunté ». Cet arrêt de la Cour de cassation décline ici une jurisprudence constante qui veut que l’obligation de l’emprunteur de rembourser le prêt d’argent (dans le cadre d’un crédit affecté) ne commence qu’avec la livraison de la marchandise ou l’exécution de la prestation issue du contrat principal (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997 : Contrats, conc. consom. 1997, comm. 86. – Cass. 1re civ., 7 févr. 1995 : Contrats, conc. consom. 1995, comm. 166. – CA Douai, 8 sept. 1994 : Rev. huissiers 1995, p. 116). Surtout, la Haute juridiction semble décider d’aller plus loin face à des organismes de crédit peu scrupuleux qui tentent d’arguer de la signature d’une attestation de livraison pour s’opposer à la résolution du contrat de crédit affecté. En effet la signature d’une attestation ne suffit pas à empêcher la résolution du contrat de crédit affecté dès lors que cette attestation est insuffisamment précise ou rédigée en des termes trop généraux ne permettant pas, malgré lui, à l’organisme de crédit d’apprécier la consistance des prestations, objet du financement.