Antenne relais : un régime dérogatoire pendant la crise sanitaire

Par Maître Thomas Richet (Green Law Avocats) En adoptant la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 relative à l’urgence pour faire face à l’épidémie de COVID-19 le Parlement a habilité le gouvernement à légiférer par voie d’ordonnances notamment pour prendre, dans un délai de trois mois, toute mesure adaptant les délais et procédures applicables au dépôt et traitement des déclarations et demandes présentées aux autorités administratives (cf. a du 2° de l’article 11 de cette loi). Sur le fondement de cette habilitation, et considérant qu’il existait « un contexte de mise sous tension des réseaux de communications électroniques résultant d’un accroissement massif des usages numériques du fait de la mise en œuvre des mesures de confinement de la population » (cf. Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-320 du 25 mars 2020), le Président de la République a adopté l’ordonnance n° 2020-320 du 25 mars 2020 relative à l’adaptation des délais et des procédures applicables à l’implantation ou la modification d’une installation de communications électroniques afin d’assurer le fonctionnement des services et des réseaux de communications électroniques. Alors que prévoit cette nouvelle ordonnance « COVID-19 » ? Et comment s’assurer que les opérateurs de radiotéléphonie n’en abusent pas ? Décryptage… D’emblée, relevons que l’ordonnance aménage quatre procédures administratives préalables en vue de l’implantation ou de la modification d’une installation de communications électroniques. Chacune de ces adaptations suit par ailleurs un schéma similaire, qu’il s’agisse des conditions d’applicabilité comme des conditions d’application : Suspension partielle de l’obligation de transmission du dossier d’information aux Maires et Président d’EPCI (Art. 1er de l’ordonnance commentée).: L’obligation de transmission du dossier d’information au Maire ou au Président de l’intercommunalité en vue de l’exploitation ou de la modification d’une installation radioélectrique prévue à L. 34-9-1 du Code des Postes et Communications Electroniques (CPCE) est suspendue pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire. Précision importante, la suspension de cette obligation ne vaut, d’une part, que durant l’état d’urgence sanitaire, et d’autre part, qu’à l’égard d’une exploitation ou modification « strictement nécessaire pour assurer la continuité du fonctionnement des services et des réseaux de communications électroniques ». L’adaptation consentie aux opérateurs est donc nettement circonscrite temporellement et matériellement. Si la première condition est facilement appréciable, la seconde fera certainement l’objet de beaucoup plus de débat et il reviendra en principe à l’opérateur d’en apporter la preuve dans une hypothétique configuration contentieuse. En outre, même dans l’hypothèse d’une telle suspension, l’opérateur reste tenu d’informer préalablement et par tous moyens le Maire ou le Président de l’intercommunalité du territoire concerné de l’exploitation ou de la modification projetée et de lui transmettre le dossier d’information à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire. Suspension partielle de l’accord préalable de l’Agence Nationale des Fréquences (ANFR) (Art. 2 de l’ordonnance) : Pendant la période de l’état d’urgence sanitaire, la décision d’implantation d’une station radioélectrique sur le territoire national peut être prise sans accord préalable de l’Agence nationale des fréquences (ANFR). Dérogation consentie au cinquième alinéa du I de l’article L. 43 du CPCE, cette dernière est également conditionnée par le caractère « strictement nécessaire pour assurer la continuité du fonctionnement des services et des réseaux de communications électroniques ». De la même manière, subsiste une obligation d’information de l’ANFR par l’exploitant préalablement et par tous moyens de l’implantation projetée. Surtout, l’accord de cette autorité devra tout de même être sollicité dans un délai de trois mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire. Simplification de l’utilisation du domaine public routier (Art. 3 de l’ordonnance) : Toujours durant l’état d’urgence sanitaire, et par dérogation à l’article L. 47 du CPCE, les délais d’instruction des demandes de permission de voiries relatives aux installations de communications électroniques implantées à titre temporaire ou dans le cadre d’interventions urgentes sont réduits, et passent de deux mois à un délai de quarante-huit heures. Outre l’exigence d’un caractère temporaire ou relatif à une intervention urgente, à nouveau, ne pourront bénéficier d’une telle réduction du délai d’instruction que les demandes de permission de voiries relatives aux installations de communications électroniques « strictement nécessaire pour assurer la continuité du fonctionnement des services et des réseaux de communications électroniques ». L’ordonnance précise encore qu’en cas de silence gardé par l’autorité compétente, ce dernier vaut acceptation. Dérogation à la soumission du régime de la déclaration préalable au titre du Code de l’urbanisme : Les constructions, installations et aménagements ayant un caractère temporaire et « strictement nécessaire pour assurer la continuité du fonctionnement des services et des réseaux de communications électroniques » sont considérées comme relevant des réalisations énoncées au b de l’article L. 421-5 du Code de l’urbanisme, et par conséquent dispensées de toute formalité, de toute demande d’autorisation d’urbanisme. Ces dernières sont en fait exemptées du respect de toutes règles de procédure comme de fond d’occupation des sols. En effet aux termes de l’article L421-8 du code de l’urbanisme « A l’exception des constructions mentionnées aux b et e de l’article L. 421-5, les constructions, aménagements, installations et travaux dispensés de toute formalité au titre du présent code doivent être conformes aux dispositions mentionnées à l’article L. 421-6., puisque soumises au régime juridique applicable à de telles constructions, installations et aménagements ». Or justement l’ordonnance qualifie les travaux d’implantation des antennes comme relevant du b). Pour le dire très simplement : ce sont tant les règles de procédures que les règles  de fond du droit de l’urbanisme mais qui sont ainsi mises entre parenthèses pendant la période d’urgence. De plus, l’accent est porté sur leur seule nécessité temporaire durant cette période exceptionnelle, puisque ces dernières ne pourront perdurer au-delà de deux mois à compter de l’expiration de l’état d’urgence sanitaire, et ce, « afin de permettre leur démantèlement » (cf. Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-320 du 25 mars 2020). Il conviendra donc de s’assurer en pratique que la dérogation exceptionnelle et temporaire accordée aux opérations de téléphonie ne devienne pas permanente. Les « adaptations » consenties aux opérateurs constituent donc des dérogations exceptionnelles destinées uniquement à répondre à un contexte lui-même exceptionnel et afin d’assurer la continuité…

ANTENNE RELAIS : LE PAYSAGE DERNIER REMPART CONTRE LES ONDES ?

Par Maître Thomas RICHET (GREEN LAW AVOCATS) A l’heure de l’ultra-connexion et de l’avènement de la 5G, le gouvernement français s’attache à mettre fin aux « zones blanches » d’ici 2020. Les opérateurs de téléphonie mobile sont les partenaires privilégiés de ce développement et bénéficie, à ce titre, d’un régime juridique favorable pour implanter les pylônes de radiotéléphonie ou « antenne relais » nécessaires à la transmission des ondes. La multiplication de ces « tours de métal » suscite une vive résistance des habitants qui vivent à proximité et qui sont particulièrement inquiets pour leur cadre de vie notamment d’un point de vue sanitaire et paysager. C’est dans ce contexte anxiogène que de nombreux riverains multiplient les actions : mobilisation de la presse locale, pétitions, formation de collectifs, manifestations et pour un nombre croissant d’entre eux, recours au juge administratif en vue de contester l’autorisation d’urbanisme. Il convient d’ailleurs de rappeler que cette autorisation prend désormais la forme d’une simple décision de non-opposition à déclaration préalable en lieu et place d’un permis de construire (sur ce point voir notre article Loi ELAN et décret du 10 décembre 2018 : un nouvel assouplissement des contraintes applicables aux antennes relais). Ces décisions peuvent, à l’occasion d’un recours en excès de pouvoir devant le juge administratif, faire l’objet de plusieurs griefs. En premier lieu, les risques sanitaires sont régulièrement invoqués devant le juge au travers d’une part, de la violation des dispositions de l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme (sécurité publique) et, d’autre part, de la méconnaissance de l’article 5 de la Charte de l’environnement (principe de précaution). Actuellement, le juge administratif rejette de manière constante ces moyens considérant qu’il n’existe, en l’état des connaissances scientifiques, aucun risque lié à l’exposition aux champs électromagnétiques (voir par exemple Conseil d’Etat, 30 janvier 2012, req. n° 344992). Bien que les moyens tenant à la contestation du risque sanitaire aient été « neutralisés » devant le juge administratif, le débat ne semble pas totalement arrêté d’un point de vue scientifique. Ainsi le rapport international BioInitiative réalisé en 2007 met en évidence l’existence de risques pour la santé humaine (les conclusions sont consultables ici). Dès lors, et malgré la jurisprudence actuelle, il nous semble donc tout à fait pertinent de continuer à soulever les moyens tenant à dénoncer les risques sanitaires qu’impliquent les antennes relais. En deuxième lieu, les riverains des projets de pylônes de radiotéléphonie peuvent également contester la légalité de la décision de non-opposition à déclaration préalable au regard du document d’urbanisme en vigueur qui sera, le plus souvent, un Plan Local d’Urbanisme (PLU). Le projet d’antenne relais doit en effet respecter le règlement du PLU et sa méconnaissance est susceptible d’être sanctionnée par le juge administratif. Cependant, là encore, ce moyen jouit d’une efficacité relative dès lors que les antennes sont qualifiables de « constructions et installations nécessaires à des équipements collectifs ou à des services publics » et peuvent ainsi déroger à certaines règles du règlement précité (exemples : hauteur des constructions, implantation au sein d’une zone « naturelle » ou encore « agricole », etc.). Le moyen s’il reste pertinent nécessitera en tout état de cause une instruction approfondie du PLU et du dossier de déclaration préalable de l’opérateur de téléphonie mobile. En troisième et dernier lieu, le moyen qui nous semble être le plus à même d’emporter l’annulation de la décision de non-opposition à déclaration préalable concerne la méconnaissance des dispositions de l’article R. 111-27 du Code de l’urbanisme, à savoir l’atteinte « au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales ». Il apparaît en effet incontestable que ces installations, qui peuvent atteindre une quarantaine de mètres de hauteur et qui prennent la forme d’une structure métallique dite en « treillis » ou d’un monotube, sont particulièrement disgracieuses et peuvent donc porter atteinte à la beauté des paysages locaux. Saisi d’un tel moyen le juge procèdera en deux temps : il appréciera d’abord la qualité paysagère du site puis l’impact qui lui est porté par le projet de construction. Ce moyen a d’ores et déjà fait ses preuves, notamment, en vue d’obtenir la suspension de la construction dans le cadre d’un référé suspension formé sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative (voir par exemple, Tribunal administratif de Lille, ord. du 11 février 2019, req. n° 1900166, jurisprudence cabinet). Une récente décision a également attiré notre attention : par une ordonnance du 3 octobre 2019, le juge des référés du Tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de suspension formulée par un opérateur de téléphonie contre une décision d’opposition à déclaration préalable en considérant que : « La commune fait valoir que le terrain d’assiette du projet, bien que séparé par plusieurs parcelles du marais d’Olonne dont certaines sont bâties, se situe, d’une part, dans une zone de co-visibilité majeure, identifiée par le schéma de cohérence territoriale et qualifiée de « très sensible aux évolutions de plantations et construction, infrastructures et clôtures » et, d’autre part, au sein d’un corridor écologique où les équipements d’intérêt général ne peuvent être implantés que sous réserve de l’impossibilité de les implanter en d’autres lieux. (…) En conséquence les moyens tirés de ce que le projet litigieux ne méconnaîtraient pas l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme (…) ne sont pas de propres, en l’état de l’instruction à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté contesté ». (Tribunal administratif de Nantes, ord. du 3 octobre 2019, req. n° 1909388). Pour conclure, même si les moyens tirés du risque sanitaire et de la méconnaissance du PLU restent pertinents, le moyen tiré de l’atteinte portée au paysage semble être, en l’état de la jurisprudence, le plus efficace pour obtenir l’annulation de la décision de non-opposition à déclaration préalable. Précisons encore que certains PLU peuvent prévoir au sein de leur règlement des dispositions en vue de limiter l’impact paysager des antennes et qu’il conviendra alors d’invoquer ces dispositions en lieu et place de l’article R. 111-27 du Code de l’urbanisme.

Antennes relais : une compétence judiciaire résiduelle

Par deux décisions en date du 17 octobre 2012 (pourvois n° 10-26.854 et n° 11-19.259), la Première chambre civile de la Cour de cassation confirme l’incompétence du juge judiciaire pour connaître du contentieux relatif à l’implantation des antennes relais. Elle se reconnaît néanmoins compétente en matière d’indemnisation des dommages causés par une antenne relais. Les décisions de la Cour de cassation confirment la position adoptée par le Tribunal des conflits dans ses décisions du 14 mai 2012 sur la compétence juridictionnelle (n° C-3844, C-3846, C-3848, C-3850, C-3854 reproduits in CPEN – cf. B. Steinmetz, « Antenne relais de téléphonie mobile et pluralité de compétences juridictionnelles », Environnement n° 8, Août 2012, comm. 72 ; cf. également la décision TC, 15 oct. 2012, n° 3875). Suivant le même raisonnement, la Cour de cassation dans ses deux décisions concède qu’existe une police de la communication dans laquelle le juge judiciaire ne saurait s’immiscer et reconnaît ainsi par principe l’incompétence de l’ordre judiciaire dans le cas d’une « action portée devant le juge judiciaire, quel qu’en soit le fondement, aux fins d’obtenir l’interruption de l’émission, l’interdiction de l’implantation, l’enlèvement ou le déplacement d’une station radioélectrique ». Mais la Cour de cassation se reconnaît toutefois compétente pour les actions en dommages et intérêts stricto sensu qui concernent une antenne relais n’ayant pas la qualité d’ouvrage public et engagées sur le fondement des troubles anormaux de voisinage. Dans l’espèce n° 10-26.854 le tiers exposés aux antennes avait fait assigner, sur le fondement du trouble anormal de voisinage, les sociétés SFR et Orange France devant le tribunal de grande instance de Paris afin d’obtenir leur condamnation à lui payer diverses sommes d’argent en réparation de son trouble de jouissance et de son préjudice physique et moral et à procéder au blindage de son appartement, en alléguant des troubles d’électro hypersensibilité qu’il attribuait à l’installation d’antennes relais de téléphonie mobile dans son quartier. On remarquera que la réparation en nature impliquerait d’engager des travaux qui certes ne remettent pas en cause le droit d’émettre et l’implantation mais grèvent l’activité de l’opérateur. Il faut saluer la volonté de la Cour de cassation de conserver ce chef de compétence, tant il est évident que le juge judiciaire demeure bien plus enclin ces dernières années à protéger l’individu des risques sanitaires controversés que le juge administratif : le Conseil d’Etat, pour sa part, demeure subjugué par la perception étatique du risque géré par ses élites qu’il tend à faire primer, sous le prisme de l’intérêt général, sur les contestations individuelles. C’est dire que l’indemnisation ou la réparation en nature (à l’exclusion du démantèlement) du risque sanitaire mais également de la perte de valeur des immeubles du fait de l’implantation d’une antenne relai demeurent toujours indemnisables devant le juge judiciaire ; sauf, pour l’opérateur, à démontrer que l’antenne constitue un ouvrage public. Mais comme le remarque B. Steinmetz – art. cit. – le juge judiciaire étant très exigeant pour retenir cette qualification, cela demeure une hypothèse résiduelle : CA Montpellier, 15 sept. 2011, RG n° 10/04612.    Les décisions rendues par la Cour de cassation devraient donc régler de manière définitive la question de la compétence juridictionnelle dans le contentieux des antennes relais. Une vigilance particulière doit donc être portée sur la nature exacte des demandes aux fins de déterminer la juridiction (administrative ou judiciaire) compétente. Et on l’aura compris, si le riverain de l’antenne relai entend saisir le juge judiciaire, il faudra pour son conseil se convaincre que la demande indemnitaire ne met pas en cause un ouvrage public et ne constitue pas non plus une immixtion dans la police spéciale des télécommunications. Dans le cas contraire, saisir le juge administratif s’imposera mais n’aura d’intérêt que pour faire cesser un trouble du fait de l’ouvrage dont l’anormalité sera bien périlleuse à démontrer, tant du moins que la jurisprudence du Conseil d’Etat refusera de déceler un risque pour la santé humaine dans le fonctionnement réglementaire des antennes relais (CE, 19 juill. 2010, n° 328687, Ass. du quartier Les Hauts de Choiseul). Aurélien BOUDEWEEL, Green law avocat

  • 1
  • 2