Sanction disciplinaire fondée sur des témoignages anonymisés

anonyme

Par Mathieu DEHARBE, juriste (Green Law Avocats)

Par sa décision n° 463028 du 5 avril 2023, le Conseil d’État a jugé que l’autorité disciplinaire ne peut prononcer une sanction à l’encontre d’un agent public contractuel en se fondant uniquement sur des témoignages et une synthèse anonymisés (téléchargeable ci-dessous).

Dans cette affaire, une agente contractuelle de Pôle emploi, a animé une session de formation interne du 21 au 23 janvier 2019.

Le directeur général de l’établissement a prononcé à son encontre, par décision du 1er octobre 2019, la sanction du deuxième groupe d’exclusion temporaire de fonctions pour une durée de deux mois au motif qu’elle aurait, durant cette session, dénigré Pôle Emploi et certains de ses collègues, et tenu des propos sexistes et homophobes.

Par un jugement du 8 janvier 2021, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de l’agente sanctionnée tendant à l’annulation de cette décision et à ce qu’il soit enjoint à Pôle Emploi de retirer de son dossier l’intégralité des pièces liées à la procédure disciplinaire correspondante.

Cependant par un arrêt du 16 février 2022, la Cour administrative d’appel de Paris a, sur appel de l’agente, annulé ce jugement ainsi que la décision du directeur général de Pôle emploi du 1er octobre 2019 et enjoint à Pôle emploi de retirer du dossier administratif de de l’agente l’intégralité des pièces liées à la procédure disciplinaire relative à la sanction en litige.

Le Conseil d’État est saisi du pourvoi de Pôle emploi contre l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris en ce que cette dernière a relevé que :


A ce stade, rappelons que le juge administratif a déjà admis la recevabilité de témoignages anonymisés pour fonder une sanction, à propos du licenciement d’un salarié protégé fondé sur un motif disciplinaire que l’employeur et le salarié doivent pouvoir prendre connaissance de tous les éléments de nature à établir la matérialité des faits sauf « lorsque la communication de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui les ont communiqués », auquel cas « l’inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé et l’employeur, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur » (CE, 9 juillet 2007, S.., n° 288295, aux Tables pp. 651-1109).

Pour autant, il ressort de la jurisprudence administrative que la Haute juridiction n’a jamais eu l’occasion de valider une sanction fondée exclusivement sur des témoignages anonymisés (conclusion de Nicolas LABRUNE, CE, 5 avril 2023, n°463028).

En effet, le Conseil d’État a à chaque fois relevé que la teneur des témoignages anonymisés était « confortée par des éléments non anonymisés versés au dossier » (CE,9 octobre 2020, MO…, n° 425459, aux Tables pp. 770-922-939), ou encore que l’anonymisation était incomplète (CE, Section, 4 février 2015, Elections municipales de Vénissieux, n° 385555, 385604 385613, au Recueil p. 43).

Dans la lignée de cette jurisprudence, le Conseil d’État considère que « l’autorité investie du pouvoir disciplinaire peut légalement infliger à un agent une sanction sur le fondement de témoignages qu’elle a anonymisés à la demande des témoins, lorsque la communication de leur identité serait de nature à leur porter préjudice. Il lui appartient cependant, dans le cadre de l’instance contentieuse engagée par l’agent contre cette sanction et si ce dernier conteste l’authenticité des témoignages ou la véracité de leur contenu, de produire tous éléments permettant de démontrer que la qualité des témoins correspond à celle qu’elle allègue et tous éléments de nature à corroborer les faits relatés dans les témoignages. La conviction du juge se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu’il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d’instruction utile » (CE, 5 avril 2023, n°463028, § 3).

A la lumière de cette jurisprudence, la Haute juridiction en conclut que la Cour administrative d’appel de Paris pouvait annuler le jugement du Tribunal administratif de Montreuil confirmant la sanction litigieuse sans commettre d’erreur de droit et après avoir opéré une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation.