Revirement de jurisprudence : le cachet de la poste fait foi

poste tampon

Par Frank ZERDOUMI, juriste et docteur en droit public (Green Law Avocats)

Madame B, médecin de la clinique de Papeete, a porté plainte contre Madame CT, sage-femme, devant la juridiction disciplinaire de son ordre professionnel, qui lui a infligé un blâme, le 31 mai 2022.

Le 7 novembre 2022, Madame CT a saisi le Conseil d’État en cassation.

La requérante soutenait notamment que la décision attaquée était entachée d’irrégularité en ce qu’elle a fait droit à une requête tardive, donc irrecevable, l’appel ayant été enregistré au greffe de la juridiction après l’expiration du délai de recours contentieux.

Madame B réside en Polynésie française : elle a reçu notification de la décision rendue en première instance le 5 février 2021.

Or, l’article R. 4126-44 du Code de la santé publique dispose que :

«Le délai d’appel est de trente jours à compter de la notification de la décision.

Les délais supplémentaires de distance s’ajoutent au délai prévu à l’alinéa précédent, conformément aux dispositions des articles 643 et 644 du code de procédure civile.

Le défaut de mention, dans la notification de la décision de la chambre disciplinaire de première instance, du délai d’appel de trente jours emporte application du délai de deux mois.

Si la notification est revenue au greffe avec la mention «pli avisé et non réclamé» ou «pli refusé et non réclamé», l’appel est recevable dans le délai de trente jours qui suit la date de présentation de la lettre recommandée.

Si la notification est revenue au greffe avec la mention «destinataire inconnu à l’adresse», l’appel est recevable dans le délai de trente jours qui suit la date du cachet de la poste.»

Conformément à cet article, et compte tenu du délai de distance, c’est-à-dire un mois supplémentaire pour les recours en provenance de la Polynésie française, le délai d’appel expirait donc le 8 avril 2021.

En l’occurrence, la requête d’appel est parvenue à la juridiction le 16 avril 2021. Madame B a cependant fait valoir qu’elle l’avait remise à La Poste de Papeete le 31 mars : cette date n’a pas été contestée.

Le Conseil d’État devait-il appliquer sa règle traditionnelle dite de la date de réception ou celle de la date d’envoi et ainsi opérer un important revirement de jurisprudence ?

Comme son nom l’indique, la règle dite de la date de réception est la suivante : l’éventuelle tardiveté d’un recours adressé par la voie postale à une juridiction de l’ordre administratif s’apprécie à la date à laquelle le pli a été remis au secrétariat de la juridiction.

Quant à la règle de la date d’envoi, elle fait prévaloir la date à laquelle le pli a été remis par le requérant au bureau de poste d’expédition : c’est alors le cachet de la poste qui fait foi.

Le Conseil d’État a choisi la deuxième solution, opérant ainsi un important revirement de jurisprudence, directement applicable, et qui risque de modifier beaucoup de choses, à commencer par l’appréciation par les magistrats de la recevabilité d’une requête :

« Le délai d’appel est de trente jours à compter de la notification de la décision.
Les délais supplémentaires de distance s’ajoutent au délai prévu à l’alinéa précédent, conformément aux dispositions des articles 643 et 644 du code de procédure civile.

Le défaut de mention, dans la notification de la décision de la chambre disciplinaire de première instance, du délai d’appel de trente jours emporte application du délai de deux mois.

Si la notification est revenue au greffe avec la mention « pli avisé et non réclamé » ou « pli refusé et non réclamé », l’appel est recevable dans le délai de trente jours qui suit la date de présentation de la lettre recommandée.

Si la notification est revenue au greffe avec la mention « destinataire inconnu à l’adresse », l’appel est recevable dans le délai de trente jours qui suit la date du cachet de la poste. » (CE, 13 mai 2024, n°466541, point 2, téléchargeable ici).

enveloppes

Comme l’a brillamment rappelé le rapporteur public Jean-François de MONTGOLFIER dans ses conclusions sur cet arrêt, faisant référence au Traité de contentieux administratif de Laferrière, le délai de recours était à l’origine fixé à trois mois par l’article 11 du décret du 22 juillet 1806, et il a toujours été considéré comme une condition de recevabilité. Le Conseil d’État a d’ailleurs jugé que la tardiveté de la saisine du juge était une question d’ordre public (Conseil d’État 21 octobre 1959, K, Lebon p. 533).

Lorsque l’appel est irrecevable, le juge d’appel doit le relever d’office, afin de ne pas méconnaître son office et ainsi entacher sa décision d’irrégularité (Conseil d’État 13 juillet 2011, SARL Love Beach, n° 320448).

Quant à l’appréciation de la tardiveté d’un recours contentieux par voie postale devant la juridiction administrative, la Haute Juridiction avait pour habitude de prendre en compte le jour de la présentation du pli au greffe de la juridiction (Conseil d’État 30 juillet 2003, Mme C, n° 240756).

Le Conseil d’État abandonne donc sa jurisprudence ancienne et sa règle dite de la date de réception. C’est désormais la date à laquelle le pli est remis, et donc le cachet de la poste, qui fera foi.

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