Pouvoirs conservatoires en cas de faute grave de l’agent

Pouvoirs conservatoires en cas de faute grave de l’agent

suspension d'agent public

Par Frank ZERDOUMI, juriste (Green Law Avocats)

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la suspension n’est pas, juridiquement, une mesure d’ordre disciplinaire : elle doit s’analyser comme une mesure d’urgence conservatoire, en ce sens que l’Administration écarte, dans l’intérêt du service et temporairement, un agent soupçonné d’avoir commis une faute grave, dans l’attente d’une décision à son encontre (article L. 531-1 du code général de la fonction publique ).

Conformément à l’article L. 531-1 du code général de la fonction publique, le fonctionnaire conserve donc sa rémunération et bénéficie de garanties qui s’inspirent de la présomption d’innocence : c’est une exception à la règle du service fait (article L. 712-1 du code général de la fonction publique ).

Même si l’autorité ayant le pouvoir disciplinaire peut prononcer cette mesure conservatoire, encore faut-il démontrer la vraisemblance et la gravité des faits imputés à l’agent comme en témoigne l’affaire portée devant le Tribunal administratif de Melun (décision commentée : TA de Melun, 22 mai 2025, n° 2203080 ).

En l’occurrence à compter du 1er mai 2008, la dame B, titulaire du grade de rédactrice principale de 1ère classe et affectée à la direction départementale de l’équipement de Seine-et-Marne, a été détachée au sein de la commune de Voulx pour occuper le poste de secrétaire de mairie.

Au mois de novembre 2021, un nouveau maire a été élu à la tête de cette commune.

Très vite, il a reproché à cette agente d’avoir refusé de lui transmettre les informations nécessaires à la bonne marche des services, dans un contexte de transition entre les élus sortants et les nouveaux élus de la municipalité.

En effet, le 1er décembre 2021, le maire nouvellement élu a demandé par courrier à Madame B, alors placée en congé de maladie ordinaire, de lui transmettre des documents et informations permettant aux nouveaux élus d’accéder aux archives et au système d’information de la commune.

Le 3 décembre 2021, l’intéressée a répondu également par un courrier contenant différentes informations relatives au système d’archivage de la collectivité, aux modalités d’accès au système d’information et à l’identité des prestataires informatiques de la commune.

Le 17 décembre 2021, le maire de Voulx a adressé un second courrier à l’agente.

Le 21 décembre 2021, elle y a répondu et a de nouveau transmis des informations par courrier.

Le 22 décembre 2021, un huissier a constaté, à la demande de la commune, qu’un dossier sauvegardé sur le serveur de la collectivité, utilisé notamment par Madame B pour enregistrer les documents afférents à la gestion des affaires de la collectivité, contenait un dossier intitulé « corbeille » comportant tous les fichiers ayant fait l’objet d’une suppression.

Ce dossier comportait 5 222 fichiers répartis en 326 dossiers, le tout représentant 37,6 % du dossier principal. La quasi-totalité des fichiers supprimés, dont certains étaient récents et concernaient des sujets sensibles tels que l’urbanisme, ont été déposés dans la corbeille entre le 8 octobre 2021 et le 25 novembre 2021, soit quelques semaines avant les élections municipales, étant précisé que le 25 novembre est le jour du placement en congé de maladie ordinaire de Madame B.

Le 7 janvier 2022, le maire de Voulx a pris un arrêté par lequel il a suspendu la dame B de ses fonctions.

Cette décision de suspension est fondée sur la faute commise par Madame B en procédant à la suppression de plusieurs comptes de messagerie électroniques utilisés par des élus sortants de la municipalité. Le maire de Voulx a également reproché à Madame B d’avoir supprimé de nombreux fichiers électroniques d’archives de la commune concernant la gestion de la collectivité.

Le 19 janvier 2022, Madame B a, par courrier, adressé au maire une demande de recours gracieux contre cet arrêté, ainsi qu’une demande de protection fonctionnelle.

Ce courrier a été reçu le 21 janvier 2022 : il n’a donné lieu à aucune réponse.

Le 21 mars 2022 est donc née une décision implicite de rejet de la demande.

Le 28 mars 2022, Madame B a saisi le Tribunal administratif de Melun, afin d’obtenir l’annulation de cet arrêté et de la décision implicite de rejet, ainsi que la mise en œuvre de la protection fonctionnelle demandée.

Elle estimait n’avoir commis aucune faute.

La décision de suspendre la dame B pour faute grave est-elle légale ?

Le Tribunal administratif de Melun a répondu à cette question par l’affirmative, mais il a condamné la commune de Voulx à verser 500 euros de dommages et intérêts à la requérante, car, même si la faute grave est avérée, la demande de protection fonctionnelle de l’agente apparaît, pour le juge administratif, légitime (décision commentée : TA de Melun, 22 mai 2025, n° 2203080 ).

L’article 30 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, à laquelle fait référence le jugement, dispose que :

« En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu’il s’agisse d’un manquement à ses obligations professionnelles ou d’une infraction de droit commun, l’auteur de cette faute peut être suspendu par l’autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. ».

Au regard de ses dispositions, le Tribunal rappelle que la suspension de l’agent à un caractère conservatoire et qu’elle ne peut être prise selon la nature des faits imputés à l’intéressé :

« La suspension d’un agent prise sur le fondement de ces dispositions est une mesure conservatoire destinée à l’écarter temporairement du service en attendant qu’il soit statué disciplinairement ou pénalement sur sa situation. Elle peut être légalement prononcée dès lors que les faits imputés à l’intéressé présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité. » (décision commentée : TA Melun, 22 mai 2025, n° 2203080, point 3 ).

En somme, si l’administration peut écarter temporairement du service l’agent en attendant qu’il soit statué disciplinairement ou pénalement sur sa situation, elle doit s’assurer que les faits aient un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité (CAA de Bordeaux, 28 juin 2019, n° 17BX03774 et 17BX03777, point 3 ; CAA de PARIS, 15 décembre 2021, n° 20PA02387, point 5 ).

Pour apprécier la gravité et la vraisemblance des faits, les juges du fonds ont relevé que l’agent occupée ses fonctions durant la période d’octobre à novembre 2021 et qu’il a procédé à la suppression des fichiers alors qu’il utilisait quotidiennement le dossier dans un contexte de changement d’équipe municipale (décision commentée : TA Melun, 22 mai 2025, n° 2203080, point 5 ).

Compte tenu des circonstances, le Tribunal a estimé que la décision de suspension est légale :

« Il résulte de l’instruction que le maire de Voulx aurait décidé de suspendre Mme B de ses fonctions en se fondant sur le seul fait, présentant un caractère suffisant de gravité, tiré de ce qu’elle avait vraisemblablement procédé à la suppression de plusieurs milliers de fichiers d’archives électroniques de la commune entre le début du mois d’octobre et son placement en congé de maladie ordinaire le 25 novembre 2021. » (décision commentée : TA Melun, 22 mai 2025, n° 2203080, point 6).

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