Par Frank ZERDOUMI, Juriste et Docteur en droit public (Green Law Avocats)
Le 1er mars 2024, le Conseil constitutionnel a été saisi, sur renvoi de la Cour de cassation, de trois questions prioritaires de constitutionnalité relatives à la conformité du deuxième alinéa de l’article 3 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique (JORF n°0162 du 13 juillet 1991), dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, aux principes d’égalité devant la loi, d’égalité devant la justice et au droit à un procès équitable, garantis par la Constitution (JORF n°0057 du 8 mars 2016).
D’après les requérants, le deuxième alinéa de l’article 3 de la loi, qui disposait que : «Les personnes de nationalité étrangère résidant habituellement et régulièrement en France sont également admises au bénéfice de l’aide juridictionnelle», excluant par principe les étrangers en situation irrégulière, n’était pas conforme à la Constitution.
C’est l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 qui garantit le principe d’égalité devant la justice :
«Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution.».
«Or, en privant dans tous les autres cas les étrangers ne résidant pas régulièrement en France du bénéfice de l’aide juridictionnelle pour faire valoir en justice les droits que la loi leur reconnaît, les dispositions contestées n’assurent pas à ces derniers des garanties égales à celles dont disposent les autres justiciables».
À l’instar de la solution de principe posée par le juge administratif à l’adresse de l’administration dans sa jurisprudence sieurs Denoyez et Chorques (CE, Section, 10 mai 1974, n° 88032, Lebon p. 274), le législateur peut prévoir des règles différentes pour des situations différentes. Cela étant, ces règles ont des limites :
«Ces dispositions instaurent ainsi une différence de traitement entre les étrangers selon qu’ils se trouvent ou non en situation régulière en France.» (CC, 28 mai 2024, n° 2024-1091 QPC, point 11).
La conclusion du Conseil constitutionnel est sans appel, l’exclusion des étrangers en situation irrégulière du bénéfice de l’aide juridictionnelle est contraire au principe d’égalité devant la justice, garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 :
«Dès lors, ces dispositions méconnaissent le principe d’égalité devant la justice.» (CC, 28 mai 2024, n° 2024-1091 QPC, point 15).
«En l’espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision. Elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à la date de publication de la présente décision.» (CC, 28 mai 2024, n° 2024-1091 QPC, point 18).
Désormais, le deuxième alinéa de l’article 3 de la loi du 10 juillet 1991 (JORF n°0162 du 13 juillet 1991) dispose donc que :
«Les personnes de nationalité étrangère résidant habituellement en France sont également admises au bénéfice de l’aide juridictionnelle.»
Cette décision nous offre l’opportunité de rappeler que la dimension politique de la séparation des pouvoirs et du constitutionnalisme a pris tout son sens à la lecture de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.
Ce mouvement d’idées, issu de l’École du droit naturel et de la philosophie des Lumières, a conduit à la rédaction de constitutions écrites et a considérablement contribué aux théories de l’État de droit.
Nul doute que cette décision du 28 mai 2024 provoquera des réactions contrastées, certains la considérant comme une très belle décision en matière de droit des étrangers, méritant d’être saluée dans le contexte actuel, les autres s’interrogeant sur la propension du Conseil constitutionnel à favoriser l’immigration et à empêcher le contrôle des frontières.
Au-delà de ces lectures politiques, juridiquement la censure du Conseil paraissait inévitable du moins dans un Etat de droit où l’effectivité de la défense est encore une exigence…
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