Par Frank ZERDOUMI, Juriste et Docteur en droit public (Green Law Avocats)
Depuis le 1er janvier 2022, l’Institut national du service public a remplacé l’École nationale d’Administration. Les élèves de la dernière promotion sont donc rentrés à l’ENA et sont sortis de l’INSP.
Le 30 août 2022, la directrice de l’école a arrêté le classement de sortie de la promotion 2021-2022 «Germaine Tillion».
Le 30 octobre 2022, le Comité de défense des derniers et dernières élèves de l’ENA a déposé un recours devant le Conseil d’État, lui demandant d’annuler la décision du 30 août.
Le Comité contestait les critères d’évaluation utilisés afin de déterminer le classement final des élèves.
D’après les requérants, le processus d’évaluation n’avait pas respecté le principe d’égalité de traitement des candidats, et a ainsi compromis l’égal accès aux emplois publics.
Le classement de sortie de la promotion 2022 de l’Institut national du service public, assimilable à un concours, a-t-il ou non respecté le principe de l’égalité de traitement des candidats ?
Le Conseil d’État a répondu à cette question par la négative, et a donc annulé ce classement, sans pour autant remettre en cause l’affectation des élèves, leurs nominations étant déjà devenues définitives : il a cependant considéré que l’examen de fin de scolarité ne respectait pas le principe d’égalité de traitement des candidats.
L’article 40 du décret n° 2015-1449 du 9 novembre 2015 relatif aux conditions d’accès et aux formations à l’École nationale d’administration (JORF n°0262 du 11 novembre 2015) prévoit que :
«Un classement général des élèves est établi d’après le total des points obtenus par chacun d’eux. Ce total est calculé à partir des notes de stages, des notes de contrôle continu et des notes des épreuves, selon les coefficients fixés par le règlement intérieur. La somme des coefficients affectés aux notes de stages ne peut être inférieure à 30 % de l’ensemble.»
Ce classement provient donc de l’addition des notes de stage, de contrôle continu et d’épreuves obtenues par chaque élève, affectées d’un coefficient de pondération.
Pour le Conseil d’État, c’est la méthode des épreuves de mise en situation individuelle et collective, évaluées par des binômes d’examinateurs différents pour chaque groupe d’élèves, qui a été jugée non conforme aux règles du concours :
«En l’espèce, il ressort des pièces du dossier qu’à l’occasion des trois épreuves de mise en situation, qui se déroulaient simultanément pour tous les groupes d’élèves, chacun des 9 groupes a été évalué par un binôme d’examinateurs différent constitué au sein du jury, de sorte qu’à l’exception du président du jury, qui n’est au demeurant passé que très brièvement assister aux travaux de chaque groupe, les membres du jury, qui n’ont chacun assisté à la prestation que d’un seul groupe, n’étaient pas en mesure, durant ces épreuves, de comparer entre elles les prestations orales des différents groupes, qui n’ont pas été enregistrées.» (CE, 12 avril 2024, n° 468571, point 5, téléchargeable ici).
Cet arrêt s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence du Conseil d’État, qui a déjà accepté de connaître, depuis 2001, en premier et dernier ressort, de la décision d’arrêter le classement de sortie révélée par la communication à chaque élève de son propre classement.
En effet, s’agissant de la contestation du classement de sortie, les élèves de l’ENA-INSP n’en sont pas à leur coup d’essai.
Ainsi, dans un arrêt du 28 décembre 2001 (CE, 28 décembre 2001, Brunel et autres, n° 222681), des élèves de la promotion 1998-2000 avaient demandé au juge administratif d’annuler la délibération du jury arrêtant le classement de cette promotion.
La Haute Juridiction a rejeté leur requête car aucune irrégularité substantielle susceptible d’influencer l’appréciation des mérites des élèves par le jury de classement n’a été relevée.
Cela étant, elle a quand même accepté d’examiner la décision.
Également, dans un arrêt du 2 avril 2003 (CE, 2 avril 2003, Marc-Antoine, n° 240557), le requérant souhaitait obtenir l’annulation du classement de sortie de la promotion 2000-2002.
Encore une fois, le Conseil d’État a rejeté la requête mais a accepté d’examiner la décision.
Quelques années plus tard, dans un arrêt du 10 janvier 2007 (CE, 10 janvier 2007, Grass, n° 297864), 76 élèves de la promotion 2002-2004 «Léopold Sédar Senghor» avaient saisi le tribunal administratif de Strasbourg afin d’obtenir l’annulation de la décision du directeur du 12 mars 2004 arrêtant le classement des élèves.
Le tribunal ayant transmis la requête au Conseil d’État en application de l’article R. 311-1 du Code de justice administrative, cette fois, la Haute Juridiction a annulé la décision du directeur.
Plus récemment, dans un arrêt du 3 juin 2020 (CE, 3 juin 2020, Association partage et ambition, n° 437638), l’association requérante contestait la décision de classement des élèves de la promotion «Molière» 2018-2019. Cette fois-ci, c’était l’impartialité du Président du jury de l’épreuve classante de conduite des politiques publiques dans les territoires qui était mise en doute.
Mais les arguments de l’association n’ont pas convaincu le Conseil d’État, qui a jugé qu’aucune rupture d’égalité n’était avérée.
Avant d’être de hauts fonctionnaires, nombre d’élèves de l’ENA-INSP ont donc été des contestataires !
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