Le casino un bien de retour : le rouge perd !

Le casino un bien de retour : le rouge perd !

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Par Maître David DEHARBE, avocat gérant et Frank ZERDOUMI, juriste (Green Law Avocats)

À l’expiration d’une concession, les biens acquis par le concessionnaire en exécution du contrat et pour les besoins de celui-ci font retour à la personne publique, et ce quel que soit leur statut domanial (CE, 28 juin 1889, Compagnie des chemins de fer de l’Est, rec. 783 ).

Le Conseil d’État a d’ailleurs précisé la définition et le régime des biens de retour (CE, Assemblée, 21 décembre 2012, Commune de Douai, n° 342788 ) : dans le cadre d’une délégation de service public mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l’acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, dans le silence de la convention, ces biens appartiennent à la personne publique, et ce dès leur réalisation ou leur acquisition.

Le 28 juin 1999, la commune de Boulogne-sur-Mer a conclu avec la société Numa, filiale du groupe Partouche, un contrat de délégation de service public portant sur l’exploitation du casino de Boulogne-sur-Mer.

Le 19 décembre 2008 a été accordée à la société par actions simplifiée Partouche immobilier une convention d’occupation temporaire du domaine public.

Cette convention a été conclue avec la Chambre de commerce et d’industrie de Boulogne-sur-Mer-Côte d’Opale, alors concessionnaire du domaine public maritime de la Région Nord-Pas-de-Calais : elle a autorisé la société par actions simplifiée Partouche immobilier, société appartenant au même groupe que la société Numa, à occuper des parcelles d’une surface totale de 3082 m², situées place de la République, pour y réaliser un nouvel équipement de loisirs comprenant un casino, un restaurant et une salle d’animation, jusqu’au 25 octobre 2035, avec effet rétroactif au 15 janvier 2007.

En 2013, la propriété de ces parcelles a été cédée par la Région Nord-Pas-de-Calais à la commune de Boulogne-sur-Mer.

Cette commune s’est donc substituée aux droits et obligations de la Chambre de commerce et d’industrie dans l’exécution de la convention du 19 décembre 2008.

À la suite de la prolongation de la délégation de service public conclue avec la société Numa par avenant, cette délégation arrivait à échéance le 29 juin 2019 : la commune de Boulogne-sur-Mer a donc lancé une procédure visant à la renouveler, et la société Numa a présenté une offre.

Le 28 juin 2018, le conseil municipal de Boulogne-sur-Mer a pris une délibération portant résiliation de cette convention : la commune a donc rejeté l’offre présentée par la société Numa, a déclaré infructueuse la procédure de mise en concurrence, a autorisé le maire à résilier de manière anticipée avec effet au 29 juin 2019 la convention d’occupation du domaine public liant la commune à la société Partouche, et a relancé une nouvelle procédure.

Le 24 juillet 2018, le maire de cette commune a, par courrier, informé la société Partouche de la résiliation de cette convention à effet au 29 juin 2019.

Le 28 août 2018, la société Partouche a, par courrier, demandé au maire de retirer cette délibération du 28 juin 2018 ainsi que la décision du 24 juillet 2018.

Le 18 octobre 2018, le maire a rejeté cette demande.

Le 20 décembre 2018, la société Partouche a présenté une réclamation indemnitaire préalable : cette réclamation est restée sans réponse.

Le 21 décembre 2018, la société a saisi le Tribunal administratif de Lille afin d’obtenir l’annulation de la délibération du 28 juin 2018, de la décision du 24 juillet 2018 et de la décision de rejet du 18 octobre 2018, ainsi que la reprise des relations contractuelles. Elle a aussi demandé au Tribunal de condamner la commune à lui verser la somme de 595 577 euros par an, de la date de résiliation à la date de reprise des relations contractuelles.

À titre subsidiaire, la société a demandé au Tribunal de condamner la commune à lui verser la somme de 12 636 775 euros, au titre de son préjudice résultant de la résiliation de la convention d’occupation du domaine public ou, a minima, la somme de 9 123 441,35 euros, au titre de son préjudice économique résultant de cette résiliation.

Le 19 avril 2019, par une seconde requête, la société Partouche a demandé au même Tribunal de condamner la commune de Boulogne-sur-Mer à lui verser la somme de 12 446 775,40 euros, également au titre de son préjudice économique ou, a minima, la somme de 9 123 441,35 euros, au titre de son préjudice résultant de cette résiliation.

Le 6 juillet 2021, le Tribunal a rejeté comme tardives les conclusions de la société Partouche tendant à la contestation de la mesure de résiliation de la convention d’occupation temporaire du domaine public et à la reprise des relations contractuelles.

Cela étant, il a condamné la commune de Boulogne-sur-Mer a verser à la société Partouche la somme de 1 983 171 euros correspondant à la valeur non amortie de ses investissements à la date de la résiliation de la convention d’occupation du domaine public du 19 décembre 2008.

Le 7 septembre 2021, la société Partouche a interjeté appel devant la Cour administrative d’appel de Douai, afin d’obtenir la réformation de ce jugement en tant qu’il n’a pas fait droit à l’intégralité de ses conclusions indemnitaires. Les demandes indemnitaires étaient les suivantes :

D’abord, la société Partouche a demandé à la Cour de condamner la commune de Boulogne-sur-Mer à lui verser la somme de 2 916 775,35 euros au titre de l’indemnisation de la valeur non amortie des ouvrages. Ensuite, elle a demandé la condamnation de la commune à lui verser la somme de 9 727 757 euros au titre de l’indemnisation de son manque à gagner. Enfin, elle a demandé la mise à la charge de la commune de la somme de 12 816 euros au titre de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Aussi et surtout, la société Partouche soutenait que le moyen soulevé en défense tiré de la requalification du casino en bien de retour était irrecevable, dans la mesure où il ne venait au soutien d’aucune demande. En tout état de cause, il n’était pas fondé.

La commune de Boulogne-sur-Mer a également interjeté appel devant la même Cour, afin d’obtenir l’annulation du jugement en tant qu’il a partiellement fait droit à la demande indemnitaire de la société Partouche, et le rejet de l’ensemble des conclusions présentées par la société à ce titre.

D’après la commune, le nouveau casino a été réalisé dans le cadre d’une délégation de service public, de telle sorte que celui-ci constituait un bien de retour.

En conséquence, seul le délégataire, et non la société Partouche, pouvait prétendre à l’indemnisation de la valeur nette comptable de l’équipement.

Le casino est-il un bien de retour ?

La Cour administrative d’appel de Douai a répondu à cette question par l’affirmative, empêchant ainsi le délégataire de s’opposer au retour des biens à la collectivité délégante en fin de contrat, et ce malgré un montage contractuel qui a séparé l’exploitation du service et la construction des biens nécessaires à son exploitation par un tiers. Pour le juge administratif, ces contrats formaient un ensemble indissociable (décision commentée : CAA Douai, 2 avril 2025, n° 21DA02161).

D’une part, l’article L. 3132-4 du Code de la commande publique dispose que :

« Lorsqu’une autorité concédante de droit public a conclu un contrat de concession de travaux ou a concédé la gestion d’un service public :

1° Les biens, meubles ou immeubles, qui résultent d’investissements du concessionnaire et sont nécessaires au fonctionnement du service public sont les biens de retour. Dans le silence du contrat, ils sont et demeurent la propriété de la personne publique dès leur réalisation ou leur acquisition ;

2° Les biens, meubles ou immeubles, qui ne sont pas remis au concessionnaire par l’autorité concédante de droit public et qui ne sont pas indispensables au fonctionnement du service public sont les biens de reprise. Ils sont la propriété du concessionnaire, sauf stipulation contraire prévue par le contrat de concession ;

3° Les biens qui ne sont ni des biens de retour, ni des biens de reprise, sont des biens propres. Ils sont et demeurent la propriété du concessionnaire. ».

« Le titulaire d’une autorisation d’occupation temporaire du domaine public de l’État a, sauf prescription contraire de son titre, un droit réel sur les ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier qu’il réalise pour l’exercice d’une activité autorisée par ce titre. ».

Afin de rejeter la requête de la société Partouche, la Cour administrative d’appel de Douai a jugé que la convention d’occupation du domaine public n’est pas divisible :

« (…) la commune de Boulogne-sur-Mer, dans le cadre de la convention de délégation de service public conclue avec la société Numa, a mis à la charge de cette dernière les investissements correspondants à la création des nouveaux locaux du casino. À ce titre, la société Numa s’est vue octroyer le 8 février 2007 une autorisation d’occupation constitutive de droits réels, valable jusqu’au 25 octobre 2035, pour occuper des parcelles d’une surface totale de 3082 mètres carrés, situées place de la République, en vue de la réalisation et l’exploitation d’un équipement de loisirs comprenant un casino, un restaurant et une salle d’animation. Les modalités de réalisation de cet équipement ont été définies par un protocole d’accord conclu le 27 février 2007 entre la société Numa et la société d’économie mixte SAIEM agissant alors en qualité d’aménageur de la commune de Boulogne. Si ces nouveaux locaux, mis en service le 28 mars 2008 et exploités par la société Numa jusqu’au terme du contrat de délégation de service public, ont finalement été construits par une société sœur du délégataire, la SAS Partouche immobilier, bénéficiaire, après transfert à son bénéfice des droits et obligations de la société Numa résultant de la convention du 8 février 2007 et du protocole d’accord du 27 février 2007, d’une autorisation d’occupation temporaire constitutive de droits réels conclue le 19 décembre 2008 avec effet rétroactif au 15 janvier 2007, cette convention consentie à l’appelante pour permettre la réalisation de l’investissement à la charge du délégataire n’est pas divisible du contrat de délégation de service public et ne saurait faire obstacle, au regard des principes rappelés aux points 8 et 9, à ce que ces biens immobiliers, nécessaires dans leur ensemble au fonctionnement du service public, soient regardés, dans les circonstances particulières de l’espèce, comme des biens de retour, et en conséquence à ce qu’ils reviennent gratuitement à la commune de Boulogne-sur-Mer à la fin de la concession intervenue le 29 juin 2019 » (décision commentée : CAA Douai, 2 avril 2025, n° 21DA02161, point 11 ).

Quant au droit à indemnité, l’analyse de la Cour l’a amenée à confirmer le montant décidé par le Tribunal administratif de Lille.

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