L’agent rattrapé par ses publications

L’agent rattrapé par ses publications

obligation de neutralité interdiction tweet

Par Frank ZERDOUMI, juriste (Green Law Avocats)

Dans le cadre de leurs fonctions,  les agents sont liés par une obligation de neutralité et d’impartialité et par une obligation de secret et de discrétion professionnelle, dans la limite de leur obligation d’information (articles L. 121-1, L. 121-2, L. 121-6 du code général de la fonction publique ).

Dans l’exercice des fonctions mais aussi dans la vie privée, l’obligation de réserve leur est imposée et constitue une limite à la liberté d’expression (voir notamment le cas d’un sous-préfet publiant un article polémique en dehors de son activité professionnelle : CE, 23 avril 2009, n° 316862 ).

Récemment, la Cour administrative d’appel Toulouse a du traiter le cas de la révocation d’un agent pour des publications sur les réseaux sociaux antérieures à son affectation (décision commentée : CAA Toulouse, 17 juin 2025, n° 23TL02197 ).

Le 15 février 2019, le sieur A publia un tweet faisant état de sa réussite au concours d’inspecteur des finances publiques, de sorte que ses interlocuteurs ont pu associer l’Administration à ses écrits.

À compter du 1er septembre 2019, Monsieur A fut scolarisé en qualité d’inspecteur stagiaire à l’école nationale des finances publiques, dans l’établissement de Noisiel en Seine-et-Marne.

Jusqu’au 30 septembre 2019, Monsieur A publia des tweets contenant des termes de nature raciste ou antisémites ou hostiles à certaines communautés de personnes.

Certaines publications étaient antérieures au début de la scolarité de Monsieur A, mais le ministre a décidé d’en tenir compte dans la mesure où elles ont été portées à la connaissance de l’Administration après son entrée dans l’école.

Au demeurant, ces publications étaient encore visibles en ligne à la date du début de la scolarité.

Aussi et surtout, trois publications étaient postérieures à l’entrée de l’agent à l’école nationale des finances publiques. Ces publications comportaient des injures à caractère raciste ou relayaient des propos d’autres comptes glorifiant le Maréchal Pétain ou faisant référence à Hitler, à l’occasion de la date anniversaire de sa naissance, comme le « Napoléon allemand qui a marqué le XXème siècle ».

Le 19 novembre 2019, Monsieur A fut auditionné dans le bureau de la directrice de l’école nationale des finances publiques, et a ensuite été amené dans la salle Audiffret, située au même étage, où il est resté le temps de la rédaction du procès-verbal de l’audition, avant de retourner dans le bureau de la directrice pour signer ce procès-verbal.

Le 25 février 2020, la réunion d’un conseil de discipline aurait dû avoir lieu mais, faute de quorum, elle a été reportée au 24 mars 2020.

Le 27 février 2020, Monsieur A fut informé de ce report par courrier.

L’Administration a décidé d’un nouveau report de la séance au 15 septembre 2020, à cause des perturbations causées par le contexte sanitaire lié à l’épidémie de Covid 19.

Le 3 mars 2020, Monsieur A déposa plainte pour avoir été séquestré, au sens de l’article L. 224-1 du Code pénal, dans la salle Audiffret.

À compter du 28 août 2020, il a été affecté comme inspecteur à la Direction régionale des finances publiques de l’Occitanie et du Département de la Haute-Garonne.

Le 30 septembre 2020, le ministre de l’Économie, des finances et de la relance a pris un arrêté de révocation à son encontre.

Monsieur A saisit le Tribunal administratif de Toulouse afin d’obtenir l’annulation de cet arrêté et sa réintégration dans ses fonctions d’inspecteur au sein de la Direction régionale des finances publiques d’Occitanie et du Département de la Haute-Garonne à Toulouse.

Le 11 juillet 2023, le Tribunal a rejeté ses demandes.

Le 29 août 2023, Monsieur A interjeta appel de ce jugement devant la Cour administrative d’appel de Toulouse, afin d’obtenir l’annulation du jugement du 11 juillet 2023 ainsi que celle de l’arrêté de révocation du 30 septembre 2020, et sa réintégration dans ses fonctions.

La décision de révoquer Monsieur A est-elle légale ?

La Cour administrative d’appel de Toulouse a répondu à cette question par l’affirmative, rappelant ainsi qu’en matière de liberté d’expression, tout n’est pas permis, surtout pour un fonctionnaire.

D’une part, l’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dispose que :

« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

D’autre part, l’article 10 de cette Convention dispose que :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisation.

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. ».

Dans un premier temps, la Cour a mis en exergue le bien-fondé de la procédure disciplinaire engagée à l’encontre de l’agent :

« (…) lorsque l’administration estime que des faits, antérieurs à la nomination d’un fonctionnaire mais portés ultérieurement à sa connaissance, révèlent, par leur nature et en dépit de leur ancienneté, une incompatibilité avec le maintien de l’intéressé dans la fonction publique, il lui revient, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, d’en tirer les conséquences en engageant une procédure disciplinaire en vue de procéder, à raison de cette incompatibilité, à la révocation de ce fonctionnaire » (décision commentée : CAA Toulouse, 17 juin 2025, n° 23TL02197, point 11 ).

En somme, la Cour a rappelé que l’administration peut révoquer un fonctionnaire en se fondant sur des faits antérieurs à sa nomination et dont elles auraient connaissance ultérieurement (CE, 3 mai 2023, n° 438248, point 2 ).

Rappelons que pour éviter de commettre une erreur de droit, le juge d’appel se doit de caractériser les faits à l’origine des condamnations de l’agent et apprécier si ces faits, compte tenu de leur nature et de leur ancienneté, sont de nature à conduire à la révocation de l’intéressé (CE, 3 mai 2023, n° 438248, point 4 ).

Dans un second temps, le juge administratif a confirmé les manquements reprochés au fonctionnaire :

« Eu égard aux motifs de la sanction litigieuse, rappelés au point 3, qui tiennent à la publication de propos, dans des conditions qui, ainsi que cela résulte de ce qui a été dit au point précédent, ne les cantonnaient pas à la sphère privée ni à l’anonymat, l’appelant n’est pas fondé à invoquer l’atteinte à sa liberté d’opinion et de conscience. Dès lors, les manquements de M. A à son obligation de dignité, de neutralité et de réserve sont constitutifs d’une faute, et de nature à justifier une sanction disciplinaire  » (décision commentée : CAA Toulouse, 17 juin 2025, n° 23TL02197, point 14 ).

La Cour a pu constater que le lien entre l’auteur des publications et son administration pouvait être publiquement établi compte tenu du numéro du département d’origine de l’intéressé, des premières lettres de son prénom et de la photographie associée au pseudonyme,  (décision commentée : CAA Toulouse, 17 juin 2025, n° 23TL02197, point 13 ).

Nonobstant l’absence de poursuite pénale à son encontre, elle a relevé que l’agent ne pouvait tenir ou relier des propos des termes racistes, antisémites ou xénophobes sans excéder la simple liberté d’expression dont jouissent les fonctionnaires, laquelle doit s’exercer dans la limite de leur devoir de neutralité et de réserve (décision commentée : CAA Toulouse, 17 juin 2025, n° 23TL02197, points 12 et 14 ).

Ainsi dans l’exercice de leurs fonctions comme en dehors de celles-ci, les fonctionnaires se doivent d’être exemplaires : cette exemplarité implique des limites à la liberté d’expression, surtout lorsque cette liberté donne lieu à des écrits nauséabonds.

Besoin d’un avocat sur le sujet, contactez :

Laissez un commentaire

Votre adresse mail ne sera pas publiée