Par Frank ZERDOUMI, Juriste et Docteur en droit public (Green Law Avocats)
Dans un arrêt datant d’une soixantaine d’années (CE, 26 avril 1963, CHR de Besançon, n°42783, rec. 243), le Conseil d’État a décidé de consacrer un nouveau principe général du droit : un agent public ne peut pas être condamné pécuniairement pour une faute de service.
En l’espèce, ce principe avait été appliqué à un chirurgien d’un centre hospitalier à l’encontre duquel des condamnations civiles avaient été prononcées.
Ce principe, déjà consacré dans les textes pour les fonctionnaires de l’État et les fonctionnaires communaux, était ainsi énoncé dans l’arrêt :
«Considérant que, lorsqu’un agent public a été poursuivi par un tiers pour faute de service, la collectivité publique doit, dans la mesure où une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions n’est pas imputable à cet agent, le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui ; que ce principe général du droit a d’ailleurs été consacré expressément en ce qui concerne les fonctionnaires de l’État par l’article 14 de la loi du 19 octobre 1946 repris par l’article 11 de l’ordonnance du 4 février 1959 et, en faveur des agents des communes et des établissements publics communaux et intercommunaux par l’article 9 de la loi du 28 avril 1952 dont les dispositions ont été reprises par l’article 428 du Code de l’administration communale».
«Il résulte d’un principe général du droit que, lorsqu’un agent public est mis en cause par un tiers à raison de ses fonctions, il incombe à la collectivité dont il dépend de le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui, dans la mesure où une faute personnelle détachable du service ne lui est pas imputable, de lui accorder sa protection dans le cas où il fait l’objet de poursuites pénales, sauf s’il a commis une faute personnelle, et, à moins qu’un motif d’intérêt général ne s’y oppose, de le protéger contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages, dont il est l’objet. Ce principe général du droit s’étend à toute personne à laquelle la qualité de collaborateur occasionnel du service public est reconnue» (CE, 13 janvier 2017, n° 386799, point 3).
Des conseillers municipaux dépourvus de délégations peuvent-ils bénéficier de la protection fonctionnelle ? Et si oui, sur quelle base juridique ?
La Cour administrative d’appel de Versailles a répondu à cette question par l’affirmative (CAA Versailles 9 février 2024 n° 22VE01436, téléchargeable ici).
En vertu de ce principe général du droit, en 2024, elle a décidé qu’une commune pouvait légalement accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle à 23 conseillers municipaux, alors même que ces derniers n’avaient reçu aucune délégation de la part du maire.
L’article L. 2123-34 du Code général des collectivités territoriales prévoit notamment que :
«Le maire ou les élus municipaux le suppléant ou ayant reçu délégation bénéficient, à l’occasion de leurs fonctions, d’une protection organisée par la commune conformément aux règles fixées par le code pénal, les lois spéciales et le présent code.
La commune accorde sa protection au maire, aux élus municipaux le suppléant ou ayant reçu délégation ou à l’un de ces élus ayant cessé ses fonctions lorsqu’ils sont victimes de violences, de menaces ou d’outrages à l’occasion ou du fait de leurs fonctions. Elle répare, le cas échéant, l’intégralité du préjudice qui en a résulté.»
Des conseillers municipaux dépourvus de délégations peuvent-ils bénéficier de la protection fonctionnelle ? Et si oui, sur quelle base juridique ?
La Cour administrative d’appel de Versailles a répondu à cette question par l’affirmative (CAA Versailles 9 février 2024 n° 22VE01436, téléchargeable ici).
En vertu de ce principe général du droit, en 2024, elle a décidé qu’une commune pouvait légalement accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle à 23 conseillers municipaux, alors même que ces derniers n’avaient reçu aucune délégation de la part du maire.
L’article L. 2123-34 du Code général des collectivités territoriales prévoit notamment que :
« Le maire ou les élus municipaux le suppléant ou ayant reçu délégation bénéficient, à l’occasion de leurs fonctions, d’une protection organisée par la commune conformément aux règles fixées par le code pénal, les lois spéciales et le présent code.
La commune accorde sa protection au maire, aux élus municipaux le suppléant ou ayant reçu délégation ou à l’un de ces élus ayant cessé ses fonctions lorsqu’ils sont victimes de violences, de menaces ou d’outrages à l’occasion ou du fait de leurs fonctions. Elle répare, le cas échéant, l’intégralité du préjudice qui en a résulté. »
Cela étant, dans la mesure où ces dispositions législatives n’ont pas réglementé toutes les situations, la Cour administrative d’appel a ici résolu le cas de ces conseillers municipaux dépourvus de délégations du maire, en validant la protection fonctionnelle qui leur a été accordée.
Pour ce faire, elle ne s’est pas fondée sur l’article L. 2123-34 du Code général des collectivités territoriales, dont la première version date de 1996, mais sur le principe général du droit dégagé par le Conseil d’État en 1963.
À titre de rappel, l’origine de la protection fonctionnelle réside dans la protection accordée aux administrateurs dès 1790 : ces derniers ne pouvaient être traduits devant les tribunaux à raison de leurs fonctions publiques. La volonté du législateur était déjà de protéger les fonctionnaires, et cette idée peut être mise en perspective avec le principe encore plus ancien d’irresponsabilité de l’Administration.
À l’instar de l’Administration, le fonctionnaire œuvre pour l’intérêt général : il mérite donc d’être protégé.
Aujourd’hui, la protection fonctionnelle couvre les frais exposés et les condamnations pécuniaires prononcées, mais à l’époque, elle consistait à subordonner les poursuites à une autorisation expresse.
Afin que les agents et l’Administration puissent être jugés pour leurs actes commis à l’occasion de leurs fonctions par la juridiction judiciaire, une autorisation était nécessaire, l’article 75 de la Constitution de l’An VIII désignant le Conseil d’État comme Autorité décisionnaire, et ce jusqu’en 1870, année de l’abrogation de l’exigence de cette autorisation.
Dans la mesure où le principe général du droit tel qu’il est dégagé en 1963 fait référence aux agents publics, puis aux collaborateurs occasionnels du service public en 2017, cet arrêt de 2024 apparaît discutable, voire contestable, puisque les conseillers municipaux ne sont ni des agents publics ni des collaborateurs occasionnels du service public.
Car se profile au demeurant cette question très délicate : que faire si un conseiller municipal d’opposition demande la protection fonctionnelle ? La refuser pour un mobile politique sera évidemment jugé comme illégal…
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