HATVP et risque pénal : prise illégale d’intérêts d’un agent dans une société sportive

HATVP et risque pénal : prise illégale d’intérêts d’un agent dans une société sportive

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Par Frank ZERDOUMI, juriste (Green Law Avocats)

A la suite de l’affaire Cahuzac déclenchée en décembre 2012, la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique a créé la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique. Cette Autorité administrative indépendante est depuis chargée d’apprécier le respect des principes déontologiques inhérents à l’exercice d’une fonction publique.

Elle a été dotée de compétences multiples : rendre un avis sur les projets de texte relatifs à la déontologie, émettre des recommandations en la matière, émettre un avis obligatoire sur la compatibilité d’un projet de création ou de reprise d’une entreprise par un fonctionnaire ou sur le projet de cessation temporaire ou définitive des fonctions d’un fonctionnaire qui souhaite exercer une activité privée lucrative pour les agents dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient, émettre un avis en cas de réintégration d’un fonctionnaire ou de recrutement d’un agent contractuel dans un emploi supérieur (article L. 124-10 du code général de la fonction publique ).

Le sieur A est brigadier-chef au sein du service régional du renseignement territorial de Nantes.

Il a demandé sa mise en disponibilité pour convenances personnelles à partir du 1er juin 2023, car il a l’intention de rejoindre la société anonyme sportive professionnelle Football Club de Nantes en qualité de Directeur sûreté et sécurité à cette date.

Le 3 avril 2023, le Préfet de la zone de défense et de sécurité Ouest a pris une décision de refus à son encontre : après avoir recueilli l’avis de la référente déontologue de la police nationale, il a refusé d’autoriser Monsieur A à exercer l’activité privée envisagée. Pour motiver cette décision, il a estimé que cette activité risquait d’exposer l’intéressé à commettre le délit de prise illégale d’intérêts et de compromettre le bon fonctionnement, l’indépendance et la neutralité du service.

Monsieur A saisit d’abord le juge des référés du Tribunal administratif de Rennes, afin d’obtenir la suspension de cette décision.

Le 14 juin 2023, ce juge a suspendu l’exécution de la décision du Préfet et a enjoint à ce dernier de procéder au réexamen de la demande dans un délai d’un mois à compter de la notification de son ordonnance.

Avant de statuer à nouveau sur la demande de Monsieur A, le Préfet a saisi la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique afin qu’elle se prononce sur la compatibilité du projet professionnel envisagé par l’intéressé avec ses fonctions.

Le 30 juin 2023, Monsieur A fut informé que le collège de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique pourrait rendre un avis d’incompatibilité sur son projet en raison du risque que celui-ci le mette en situation de commettre un délit de prise illégale d’intérêts : il a donc été invité à présenter des observations.

Le 11 juillet 2023, la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique a pris une délibération dans laquelle elle a émis un avis d’incompatibilité sur le projet de Monsieur A, au motif qu’il existait un risque substantiel que Monsieur A commette le délit de prise illégale d’intérêts s’il prenait une participation par travail au sein de la société.

Le 7 septembre 2023, Monsieur A déposa un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État afin d’obtenir l’annulation de la délibération de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique.

La délibération de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique est-elle légale ?

Le Conseil d’État a répondu à cette question par l’affirmative, apportant ainsi des précisions sur la procédure qui a amené la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique à se prononcer sur un projet d’activité privée lucrative présenté par un agent public qui souhaitait cesser temporairement ou définitivement ses fonctions (décision commentée : CE, 6 juin 2025, n° 488100 ).

L’article 432-13 du Code pénal dispose que :

« Est puni de trois ans d’emprisonnement et d’une amende de 200 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction, le fait, par une personne ayant été chargée, en tant que membre du Gouvernement, membre d’une autorité administrative indépendante ou d’une autorité publique indépendante, titulaire d’une fonction exécutive locale, fonctionnaire, militaire ou agent d’une administration publique, dans le cadre des fonctions qu’elle a effectivement exercées, soit d’assurer la surveillance ou le contrôle d’une entreprise privée, soit de conclure des contrats de toute nature avec une entreprise privée ou de formuler un avis sur de tels contrats, soit de proposer directement à l’autorité compétente des décisions relatives à des opérations réalisées par une entreprise privée ou de formuler un avis sur de telles décisions, de prendre ou de recevoir une participation par travail, conseil ou capitaux dans l’une de ces entreprises avant l’expiration d’un délai de trois ans suivant la cessation de ces fonctions.

Est punie des mêmes peines toute participation par travail, conseil ou capitaux dans une entreprise privée qui possède au moins 30 % de capital commun ou a conclu un contrat comportant une exclusivité de droit ou de fait avec l’une des entreprises mentionnées au premier alinéa.

Pour l’application des deux premiers alinéas, est assimilée à une entreprise privée toute entreprise publique exerçant son activité dans un secteur concurrentiel et conformément aux règles du droit privé.

Ces dispositions sont applicables aux agents des établissements publics, des entreprises publiques, des sociétés d’économie mixte dans lesquelles l’État ou les collectivités publiques détiennent directement ou indirectement plus de 50 % du capital et des exploitants publics prévus par la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l’organisation du service public de la poste et à France Télécom.

L’infraction n’est pas constituée par la seule participation au capital de sociétés cotées en bourse ou lorsque les capitaux sont reçus par dévolution successorale. ».

Après avoir cité cet article, le Conseil d’État a d’abord donné son interprétation de différents articles du Code général de la fonction publique :

« En vertu de l’article L. 124-10 du code général de la fonction publique, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique est chargée d’émettre un avis sur le projet d’activité privée lucrative présenté par un agent public qui souhaite cesser temporairement ou définitivement ses fonctions, en application notamment de l’article L. 124-4. Lorsqu’elle exerce l’attribution prévue à l’article L. 124-10 du code général de la fonction publique, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique examine notamment, aux termes de l’article L. 124-12 du même code, si l’activité envisagée par le fonctionnaire présente un risque pénal, c’est-à-dire si elle risque « de placer l’intéressé en situation de commettre les infractions prévues aux articles 432-12 ou 432-13 du code pénal ». Pour apprécier ce risque, il appartient à la Haute Autorité, non d’examiner si les éléments constitutifs de ces infractions sont effectivement réunis, mais d’apprécier le risque qu’ils puissent l’être et de se prononcer de telle sorte qu’il soit évité à l’intéressé comme à l’administration d’être mis en cause » (décision commentée : CE, 6 juin 2025, n° 488100, point 4 ).

La Haute juridiction a rappelé que l’avis de la HATVP sur le projet d’activité privée de l’agent en examinant si son activité présente un risque de prise illégale d’intérêts et de l’éviter sans aller jusqu’à analyser les éléments constitutif de l’infraction (CE, 12 mai 2023, n° 468470, point 4 ).

Le juge administratif a ensuite examiné successivement la motivation et le respect du principe du contradictoire :

« En premier lieu, la délibération attaquée, qui énonce les considérations de fait et de droit sur lesquelles elle se fonde, est suffisamment motivée.

En deuxième lieu, la délibération par laquelle la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique rend un avis en application de l’article L. 124-10 du code général de la fonction publique, qui doit être regardée comme prise sur la demande de l’intéressé, n’est pas soumise à une procédure contradictoire préalable. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier que M. A. a été néanmoins informé, le 30 juin 2023, que le collège de la Haute Autorité pourrait formuler un avis d’incompatibilité sur son projet en raison du risque que celui-ci le mette en situation de commettre le délit de prise illégale d’intérêts et a été invité à présenter des observations. Par suite, le moyen tiré de ce que la délibération litigieuse a été prise sans procédure contradictoire ne peut qu’être écarté. Doit, de même et en tout état de cause, être écarté le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations du paragraphe 1 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales » (décision commentée : CE, 6 juin 2025, n° 488100, points 6 et 7 ).

Comme l’a déjà retenu le Conseil d’État dans une précédente décision, si l’avis de la Haute autorité n’a pas être adopté dans le cadre d’une procédure contradictoire et l’agent peut tout de même être invité à présenter ses observations (CE, 12 mai 2023, n° 468470, point 2 ).

Enfin, la Haute Juridiction a précisé les circonstances de l’espèce justifiant cet avis négatif :

« Pour retenir que M. A risquait de commettre le délit de prise illégale d’intérêts en devenant directeur de la sûreté et sécurité du FC Nantes, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique s’est notamment fondée sur la circonstance que, dans le cadre de ses fonctions publiques, ce dernier était en particulier chargé, en tant que « référent hooliganisme », d’évaluer les risques de troubles à l’ordre public avant les matches organisés par ce club et de proposer des orientations sur les mesures d’encadrement et de périmètres autour des rencontres sportives, qui étaient susceptibles d’être utilisées pour l’élaboration des conventions conclues par l’État avec le club en vue du remboursement par ce dernier de certaines dépenses engagées pour les forces de sécurité publique pour le maintien de l’ordre lors de ces rencontres. Elle a considéré que l’exercice de telles fonctions avait placé M. A en position de commettre le délit de l’article 432-13 du code pénal » (décision commentée : CE, 6 juin 2025, n° 488100, point 9 ).

Dans le cas présent, le risque de prise d’illégale d’intérêts est caractérisé en ce que le requérant était chargé auparavant d’évaluer les risques de troubles à l’ordre public avant les matches organisés par ce club et de proposer des orientations sur les mesures d’encadrement et de périmètres autour des rencontres sportives.

Et ce d’autant que ces orientations peuvent influencer les conventions de remboursement en matière de force de sécurité publique et de maintien de l’ordre.

Au surplus, la Haute juridiction relève que les avis d’incompatibilité de la HATVP ne constituent pas une interdiction générale et absolue pour les agents publics de travailler avec des entreprises avec lesquelles ils étaient en contact dans le cadre de leurs fonctions en méconnaissance des dispositions de l’article 432-13 du code pénal (décision commentée : CE, 6 juin 2025, n° 488100, point 10 ).

Ainsi, la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique a ceci de particulier qu’elle peut aussi bien s’intéresser aux bijoux d’une ministre de la Culture qu’à l’activité projetée par un brigadier-chef, dès lors qu’une Autorité administrative la saisit du problème.

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