Fonction publique : dépassement de fonctions et harcèlement moral

Par Frank ZERDOUMI, juriste (Green Law Avocats)
« Aucun agent public ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »
Cela étant, la moindre remarque, la moindre demande faite à un agent public ou le moindre dépassement de fonctions ne peut pas constituer un fait de harcèlement.
Dans le cas présent, la dame B, fonctionnaire titulaire du grade de rédactrice territoriale (catégorie B) était employée par le Département de la Haute-Saône.
De 2014 à 2020, elle a exercé des fonctions de cheffe de projet auprès de la Direction des services techniques et des transports de cette collectivité.
À compter du 1er juin 2020, elle a été nommée déléguée à la protection des données, affectée et placée auprès de la Direction générale des services.
Le 29 décembre 2020, elle a passé son entretien d’évaluation professionnelle pour l’année 2020.
Le 2 février 2021, le Directeur Général des Services du Département de la Haute-Saône a proposé à Madame B une rupture conventionnelle.
Le 6 février 2021, Madame B a refusé cette offre.
Le 16 mars 2021, le Directeur Général des Services lui a proposé une nouvelle affectation en qualité d’instructeur du juste droit RSA.
Le 30 mars 2021, Madame B a accepté cette proposition.
Le 19 avril 2021, son changement de poste a pris effet.
Le 14 septembre 2021, le médecin du travail a émis un avis d’inaptitude, et Madame B a été placée en congé de maladie ordinaire.
Le 25 janvier 2022, Madame B a formulé une demande de protection fonctionnelle.
Le 23 mars 2022, le Président du Conseil départemental a rejeté cette demande.
Le 18 octobre 2022, Madame B a demandé le bénéfice d’une rupture conventionnelle.
Le 4 novembre 2022, à l’issue de douze mois de congé de maladie ordinaire, le conseil médical a rendu un avis par lequel il s’est prononcé en faveur de l’inaptitude totale et définitive de Madame B à toute fonction.
Le 8 mars 2023, Madame B a demandé au Président du Conseil départemental de la Haute-Saône de l’indemniser des préjudices causés par le harcèlement moral qu’elle estimait avoir subi.
Le 9 mai 2023, le Président du Conseil départemental de la Haute-Saône a rejeté implicitement sa demande d’indemnisation pour harcèlement moral pour des faits intervenus depuis décembre 2020
Le 3 juillet 2023, à la suite de ce rejet implicite, Madame B a saisi le Tribunal administratif de Besançon afin d’obtenir l’annulation de cette décision, ainsi que la condamnation du Département de la Haute-Saône à lui verser 63 900 euros en réparation de ses préjudices résultant du harcèlement moral qu’elle estimait avoir subi.
Le 10 juillet 2023, l’avis du conseil médical du 4 novembre 2022 a été confirmé par le conseil médical supérieur.
Le 7 novembre 2023, le conseil médical s’est réuni et a rendu un avis favorable à la mise à la retraite pour invalidité de Madame B à compter du 20 septembre 2022.
Le 22 novembre 2023, le Président du Conseil départemental a informé Madame B de cet avis du conseil médical.
D’après la requérante, les faits de harcèlement moral à son encontre étaient caractérisés et, en raison de ces faits, elle aurait subi un préjudice matériel et un préjudice moral.
La décision implicite de rejet du Président du Conseil départemental de la Haute-Saône est-elle légale ?
Le Tribunal administratif de Besançon a répondu à cette question par l’affirmative, précisant ainsi qu’un dépassement de fonctions ne peut pas constituer un fait caractérisant un agissement de harcèlement moral (décision commentée : TA Besançon, 6 juin 2025, n° 2301292 ).
Dans un premier temps, le Tribunal a rappelé les obligations de chacune des parties et l’importance du principe du contradictoire, sans oublier l’intime conviction du juge :
« Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement. Il incombe à l’administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu’il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d’instruction utile. » (décision commentée : TA Besançon, 6 juin 2025, n° 2301292, point 3 ).
Ces principes découlent d’une jurisprudence constante de la Haute juridiction en matière de harcèlement moral au sein de la fonction publique (CE, 11 juillet 2011, n° 321225, considérant 4 ).
Dans un second temps, la juridiction de première instance délimite son office lorsqu’il est amené à apprécier des agissements susceptibles de constituer un harcèlement :
« Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu’ils sont constitutifs d’un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l’agent auquel il est reproché d’avoir exercé de tels agissements et de l’agent qui estime avoir été victime d’un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l’existence d’un harcèlement moral est établie, qu’il puisse être tenu compte du comportement de l’agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l’agent victime doit alors être intégralement réparé » (décision commentée : TA Besançon, 6 juin 2025, n° 2301292, point 5 ).
En l’occurrence, si le tribunal analyse les comportements des deux parties, l’attitude de la victime ne peut être prise en compte pour atténuer les conséquences dommageables lorsque l’harcèlement moral est établi (CE, 11 juillet 2011, n° 321225, considérant 5 ).
Et ce d’autant plus que, le préjudice résultant des agissements pour l’agent victime doit être intégralement réparé (CE, 11 juillet 2011, n° 321225, considérant 5 ).
Dans un dernier temps, le juge administratif s’est penché sur les arguments de la requérante :
« (…) pour établir qu’elle a été victime d’agissements répétés de harcèlement moral, la requérante soutient qu’elle a subi des décisions humiliantes successives, qu’elle a accepté de travailler pendant plusieurs années dans des fonctions de catégorie A alors que son statut relevait de la catégorie B, qu’aucune tâche ne lui a été confiée entre les mois de janvier et d’avril 2021, qu’elle a ensuite fait l’objet d’une rétrogradation en avril 2021 en étant affectée à des tâches sans intérêt relevant de la catégorie C et avec perte de rémunération, que des reproches sans fondement lui ont été formulés quant à des problèmes relationnels, que le département de la Haute-Saône ne lui a pas apporté de protection quand elle a dénoncé des faits ou demandé un changement de poste, et que la procédure de mise à la retraite pour invalidité a été engagée alors qu’elle avait préalablement demandé à bénéficier d’une rupture conventionnelle » (décision commentée : TA Besançon, 6 juin 2025, n° 2301292, point 5 ).
Mais force est de constater que ce que Madame B a reproché à son Administration ne lui a aucunement été imposé :
« S’agissant tout d’abord de la succession de décisions humiliantes alléguées, Mme B n’apporte pas de précisions sur la nature des décisions concernées. À cet égard, la circonstance qu’elle a occupé des fonctions de catégorie A, alors que son statut relevait de la catégorie B, et qu’elle ne démontre pas avoir été contrainte d’accepter d’exercer de telles fonctions en faisant état, dans ses écrits au président du conseil départemental de la Haute-Saône, de sa satisfaction sur le contenu des missions alors confiées, ne peut être regardée comme un fait caractérisant un agissement de harcèlement moral » (décision commentée : TA Besançon, 6 juin 2025, n° 2301292, point 6 ).
Dans la mesure où Madame B a occupé des fonctions de catégorie A durant plusieurs années, elle aurait pu se plaindre, par exemple, de sa rémunération, mais en aucun de harcèlement moral, puisqu’elle a accepté les missions qui lui ont été confiées : la décision implicite de rejet du Président du Conseil départemental est donc justifiée.
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