Fonction publique : changement d’affectation et refus de titularisation

Fonction publique : changement d’affectation et refus de titularisation

changement d'affectation refus de titularisation

Par Frank ZERDOUMI, juriste (Green Law Avocats)

Avant d’être titularisé, l’agent nommé doit subir un stage ayant pour but de vérifier ses aptitudes professionnelles, mais aussi lui permettant de tester son nouvel emploi. L’agent est donc d’abord nommé en qualité de stagiaire, et ce n’est qu’à la fin du stage qu’il sera titularisé sur décision expresse (CE, 11 décembre 2019, Akpinar, n° 427522 ).

L’agent peut être licencié par l’Administration pendant ou à la fin du stage, il peut aussi démissionner pendant le stage sans avoir à demander l’autorisation à son employeur. Toutes les obligations du statut général s’imposent au stagiaire, mais certaines positions des fonctionnaires telles que la disponibilité ne lui sont pas offertes.

Le 8 décembre 2020, après avoir exercé à plusieurs reprises des fonctions d’agente contractuelle au sein du service Enfance-Jeunesse de la commune d’Espira-de-l’Agly, dans les Pyrénées-Orientales, la dame A fut recrutée par arrêté du maire de cette commune sur un emploi d’Adjoint territorial d’animation, à compter du 1er janvier 2021, avec une période de stage probatoire d’un an.

Du 9 avril 2021 au 31 mai 2023, Madame A fut placée en congé de longue durée : son stage a donc été interrompu.

Le 1er juin 2023, le maire a pris un arrêté de renouvellement de stage pour la même durée.

À son retour de congé, Madame A fut affectée sur un poste de cantinière et d’agent d’entretien, ses difficultés de santé ayant conduit le médecin du pôle santé-travail à recommander un changement de poste.

Le 14 mai 2024, la commission administrative paritaire a rendu un avis relatif à la titularisation de l’agente.

Le 21 mai 2024, le maire d’Espira-de-l’Agly a, par arrêté, refusé de titulariser Madame A à l’issue de sa période de stage le 1er juin 2024 et l’a rayée des effectifs de la collectivité à compter de cette date.

Madame A saisit alors le juge des référés du Tribunal administratif de Montpellier sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative (référé suspension) afin d’obtenir la suspension de l’exécution de cet arrêté et sa titularisation.

Le 9 août 2024, le juge des référés de ce Tribunal administratif a rendu une ordonnance de rejet de sa demande.

Le 29 août 2024, Madame A s’est pourvue en cassation contre cette ordonnance devant le Conseil d’État, afin d’obtenir l’annulation de l’ordonnance du juge des référés et une issue favorable à sa demande.

L’arrêté du maire d’Espira-de-l’Agly est-il légal ?

Le Conseil d’État a répondu à cette question par la négative, compte tenu du changement d’affectation de l’agente. Pour ce faire, il a interprété trois articles du décret n° 92-1194 du 4 novembre 1992 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires stagiaires de la fonction publique territoriale (décision commentée : CE, 20 juin 2025, n° 497330 ).

D’abord, l’article 1er de ce décret dispose que :

« Est fonctionnaire territorial stagiaire la personne qui, nommée dans un emploi permanent de la hiérarchie administrative des communes, des départements, des régions ou des établissements publics en relevant, autres que ceux mentionnés à l’article L. 4 du code général de la fonction publique, accomplit les fonctions afférentes audit emploi et a vocation à être titularisée dans le grade correspondant à cet emploi. ».

Ensuite, l’article 4 de ce décret a prévu que :

« La durée normale du stage et les conditions dans lesquelles elle peut éventuellement être prorogée sont fixées par les statuts particuliers des cadres d’emplois.

Sous réserve de dispositions contraires prévues par ces statuts et de celles résultant des articles  7  et  9 du présent décret, la durée normale du stage est fixée à un an. Elle peut être prorogée d’une période au maximum équivalente si les aptitudes professionnelles du stagiaire ne sont pas jugées suffisantes pour permettre sa titularisation à l’expiration de la durée normale du stage. Cette prorogation n’est pas prise en compte dans le calcul de l’ancienneté lors de la titularisation de l’intéressé dans son nouveau grade. ».

Enfin, l’article 9 du même décret dispose que :

« Quand, du fait de congés successifs de toute nature autres que le congé annuel, le stage a été interrompu pendant une durée supérieure à un an, l’intéressé pourra être invité à l’issue de son dernier congé à accomplir à nouveau l’intégralité du stage ; cette disposition ne s’applique pas dans le cas où la partie de stage effectuée antérieurement à l’interruption est d’une durée au moins égale à la moitié de la durée statutaire du stage.

 

Les services accomplis en qualité de stagiaire avant et après l’interruption de fonctions due à ces congés sont pris en compte pour l’avancement et pour la retraite. ».

Le Conseil d’État a donc interprété ces trois articles :

« Il résulte de ces dispositions qu’un fonctionnaire stagiaire ne peut être nommé, pour effectuer son stage, que dans un emploi permanent du cadre d’emplois dans lequel, à l’issue de ce stage, sa titularisation pourra, éventuellement, être prononcée » (décision commentée : CE, 20 juin 2025, n° 497330, point 4 ).

La Haute Assemblée a ensuite mis en perspective les éléments factuels avec la décision contestée :

« Ainsi qu’il a été dit au point 1, Mme A a été affectée, à son retour de congé de longue durée, et à l’occasion du renouvellement de sa période de stage probatoire, sur un poste de cantinière et d’agent d’entretien. Une telle affectation, qui, ainsi que le soutient la requérante sans être sérieusement contredite sur ce point par la commune d’Espira-de-l’Agly, ne la faisait intervenir dans aucun des domaines mentionnés à l’article 3 du décret du 22 décembre 2006 cité au point précédent et ne lui permettait pas de participer « à la mise en œuvre des activités d’animation », ne correspond donc manifestement pas à un emploi relevant du cadre d’emplois des adjoints territoriaux d’animation. Mme A n’était donc pas placée, pendant cette période probatoire, dans des conditions lui permettant d’acquérir une expérience professionnelle et de faire la preuve de ses capacités pour les fonctions auxquelles elle était destinée » (décision commentée : CE, 20 juin 2025, n° 497330, point 6 ).

C’est cette circonstance qui est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision de refus de titularisation. Quant à la condition d’urgence, elle est remplie puisque le refus de titularisation portait préjudice à la situation de la requérante.

Le Conseil d’État a donc enjoint au maire de réintégrer provisoirement Madame A dans des conditions permettant une appréciation régulière de ses aptitudes.

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