Du contrôle du décret de dissolution par le Conseil constitutionnel

verre dissolution

Par Frank ZERDOUMI,  Juriste et Docteur en droit public (Green Law Avocats)

Le 9 juin 2024, après la percée sans précédent du Rassemblement national aux élections européennes, arrivé largement en tête avec plus de 30 % des voix, Emmanuel Macron a annoncé la dissolution de l’Assemblée nationale, provoquant ainsi la tenue d’élections législatives anticipées les 30 juin et 7 juillet 2024.

Dès le lendemain fut publié au Journal officiel le décret n°2024-527 du 9 juin 2024 portant convocation des électeurs pour l’élection des députés à l’Assemblée nationale (JORF n°0134 du 10 juin 2024).

Le 11 juin 2024, le Conseil constitutionnel a été saisi d’une requête présentée par M. Olivier TAOUMI tendant à l’annulation du second alinéa de l’article 1er de ce décret, qui dispose que, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, en Polynésie française et dans les bureaux de vote ouverts par les ambassades et postes consulaires situés sur le continent américain, le premier tour de ces élections aura lieu le samedi 29 juin.

Ce recours a été suivi de neuf autres tendant à l’annulation du décret précité.

Le Conseil a joint toutes ces requêtes pour statuer par une seule décision.

Plusieurs requérants affirmaient que la date du scrutin était irrégulière car en contradiction avec les dispositions de l’article 12 de la Constitution, qui impose un délai minimum de 20 jours pour l’organisation des élections législatives.

Or, dans la mesure où le décret contesté a été publié au Journal officiel le 10 juin 2024 et ne devait prendre effet que le lendemain de sa publication – donc le 11 juin 2024 – le compte n’y était pas, surtout si les délais prévus par la Constitution devaient être considérés comme des délais francs.

Cette décision du 20 juin 2024 a rejeté les dix recours et elle a apporté quelques précisions salutaires quant au contrôle et au régime de ces élections.

Surtout, le Conseil constitutionnel a confirmé le principe selon lequel le décompte du délai pour organiser ces élections commençait à courir dès la dissolution prononcée
et n’était pas un délai franc.

L’article 12 de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose que :

« Le Président de la République, peut, après consultation du Premier Ministre et des présidents des assemblées, prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale.

Les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus tard après la dissolution.

L’Assemblée nationale se réunit de plein droit le deuxième jeudi qui suit son élection. Si cette réunion a lieu en dehors des périodes prévues pour les sessions ordinaires, une session est ouverte de droit pour une durée de quinze jours.

Il ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l’année qui suit ces élections. »

Compte tenu de certains propos qui ont été tenus juste après la dissolution, revenons à l’essentiel et disons-le clairement : le Président de la République peut dissoudre l’Assemblée nationale à peu près n’importe quand, par décret sans contreseing, après de simples consultations, pour ce qu’il veut.

Ce sont ces éléments qui sont confirmés, voire consacrés, par la décision du Conseil constitutionnel.

«En vertu de la mission de contrôle de la régularité des élections des députés et des sénateurs qui lui est conférée par l’article 59 de la Constitution, le Conseil constitutionnel peut exceptionnellement statuer sur les requêtes mettant en cause la régulation d’élections à venir, dans les cas où l’irrecevabilité qui serait opposée à ces requêtes risquerait de compromettre gravement l’efficacité de son contrôle de l’élection des députés et des sénateurs, vicierait le déroulement général des opérations électorales ou porterait atteinte au fonctionnement normal des pouvoirs publics.

Eu égard à la nature du décret du 9 juin 2024 portant convocation des électeurs pour l’élection des députés à l’Assemblée nationale, ces conditions sont remplies.» (CC, 20 juin 2024, n° 2024-32, points 2 et 3, téléchargeable ici).

La messe du scrutin est dite : c’est «l’acte par lequel le Président de la République prononce la dissolution» qui donne le départ du délai pour organiser les élections et le délai n’est pas franc mais administratif.

Enfin, le Conseil constitutionnel reconnaît le droit de participer au scrutin et la sincérité de celui-ci, malgré le délai très court entre la dissolution et les élections.

La supériorité de la Constitution sur le Code électoral est évidente :

«En premier lieu, si l’article L. 17 du code électoral prévoit que, afin de participer à un scrutin, la demande d’inscription sur les listes électorales doit être déposée par l’électeur «au plus tard le sixième vendredi précédant ce scrutin», les dispositions du deuxième alinéa de l’article 12 de la Constitution, qui fixent le délai dans lequel doivent avoir lieu les élections générales après la dissolution et auxquelles s’est conformé le décret du 9 juin 2024, prévalent nécessairement sur ces dispositions législatives.

En deuxième lieu, selon le troisième alinéa de l’article 3 de la Constitution, le suffrage «est toujours universel, égal et secret». Il en résulte le principe de sincérité du scrutin.» (CC, 20 juin 2024, n° 2024-32, points 20 et 21, téléchargeable ici).

Tant qu’il y aura des contradictions entre le Code électoral et la Constitution, l’apprentissage de la pyramide de Kelsen ne sera pas superflu !

Mais le respect du principe de sincérité et le droit de suffrage impliquaient encore une appréciation concrète menée en deux temps par le juge de l’élection.

Selon le Conseil, les dispositions contestées adaptent certaines modalités particulières d’organisation du scrutin au regard de la date fixée pour le premier tour des élections en application de l’article 12 de la Constitution, afin de tenir compte des contraintes matérielles que représente l’établissement des listes électorales pour les communes et de la nécessité d’en disposer au plus tôt afin d’assurer le bon déroulement des opérations de vote.

Le Conseil relève encore qu’il résulte des dispositions du code électoral auxquelles renvoie l’article 4 du décret que les électeurs qui estiment avoir été omis de la liste électorale de leur commune en raison d’une erreur purement matérielle ou avoir été irrégulièrement radiés peuvent saisir le tribunal judiciaire, qui a compétence pour statuer jusqu’au jour du scrutin. En outre, certains électeurs, en particulier ceux remplissant la condition d’âge exigée pour être électeur ou ayant acquis la nationalité française après la clôture des délais d’inscription, peuvent demander à être inscrits sur les listes électorales jusqu’au dixième jour précédant le scrutin.

Le Conseil constitutionnel en déduit que les dispositions contestées ne méconnaissent ni le droit de suffrage ni le principe de sincérité du scrutin. Pour les mêmes motifs, elles ne méconnaissent pas non plus l’article 3 du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales – que le Conseil peut prendre ici en compte en tant que juge de l’élection.

Au final, le juge constitutionnel n’aura pas pris le risque d’ajouter, selon l’expression du moment, du «chaos au chaos» en censurant le décret de dissolution.

Mais le Conseil valide aussi ce faisant un décret de dissolution organisant des élections avec un 2ème tour en plein mois de juillet et 20 petits jours de campagne pour cause de JO alors que l’enjeu s’avère la reconstitution du paysage politique français… certes ces considérations échappaient à son contrôle.

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