Droits fondamentaux : messe de Sainte Geneviève et principe de laïcité

Par Frank ZERDOUMI, juriste (Green Law Avocats)
Contrairement au droit d’avoir une croyance, le droit de la manifester implique nécessairement de composer avec les contraintes inhérentes à la vie en société. L’exercice d’un culte, les différents rites, toute situation dans laquelle un individu met en avant ses croyances pour essayer d’échapper à une obligation prévue par le droit, peuvent et doivent faire l’objet d’un encadrement. En France, c’est le principe de laïcité qui fonde de nombreux encadrements des manifestations extérieures des croyances et des religions, dans le but de préserver la neutralité de l’État.
Cela étant, ces limitations peuvent aussi reposer sur d’autres objectifs légitimes tels que la protection de l’ordre, la santé ou la sécurité publique, voire les droits d’autrui.
Le 30 novembre 2022, à Privas, le colonel commandant le groupement de gendarmerie de l’Ardèche a décidé d’organiser une journée de célébration de la Sainte Geneviève, patronne des gendarmes, comportant notamment un office religieux en l’église Saint Thomas de Privas suivi d’un vin d’honneur en salle des fêtes du champ de Mars, auquel ont assisté les militaires, en tenue et sur le temps de service.
Le 4 janvier 2023, la Fédération ardéchoise et drômoise de Libre Pensée a saisi le Tribunal administratif de Lyon afin d’obtenir l’annulation de cette décision.
D’après l’Association requérante, la décision attaquée a été prise par une Autorité incompétente, elle a méconnu le principe constitutionnel de laïcité ainsi que l’article L. 4121-2 du Code de la défense.
L’organisation d’une messe lors de la Sainte Geneviève est-elle légale ?
Le Tribunal administratif de Lyon a répondu à cette question par la négative, faisant ainsi prévaloir le principe constitutionnel de laïcité : ce principe a donc fait obstacle à ce que le commandant du groupement de gendarmerie nationale de l’Ardèche organise une journée de célébration de la Sainte Geneviève comprenant un office religieux auquel pouvaient assister les militaires de ce groupement, en uniforme et sur le temps du service (décision commentée : TA Lyon, 19 mars 2025, n° 2300070 )
D’une part, l’article 1er de la Constitution de 1958 dispose que :
« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée.
La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales. ».
D’autre part, l’article L. 4121-2 du Code de la défense dispose que :
« Les opinions ou croyances, notamment philosophiques, religieuses ou politiques, sont libres.
Elles ne peuvent cependant être exprimées qu’en dehors du service et avec la réserve exigée par l’état militaire. Cette règle s’applique à tous les moyens d’expression. Elle ne fait pas obstacle au libre exercice des cultes dans les enceintes militaires et à bord des bâtiments de la flotte.
Indépendamment des dispositions du code pénal relatives à la violation du secret de la défense nationale et du secret professionnel, les militaires doivent faire preuve de discrétion pour tous les faits, informations ou documents dont ils ont connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. En dehors des cas expressément prévus par la loi, les militaires ne peuvent être déliés de cette obligation que par décision expresse de l’autorité dont ils dépendent.
L’usage de moyens de communication et d’information, quels qu’ils soient, peut être restreint ou interdit pour assurer la protection des militaires en opération, l’exécution de leur mission ou la sécurité des activités militaires. ».
Pour faire prévaloir ce principe constitutionnel, le Tribunal a examiné l’ensemble des circonstances :
« (…) il ressort des pièces du dossier que la célébration organisée par le commandant du groupement départemental de gendarmerie de l’Ardèche le 30 novembre 2022 à Privas a débuté par un office religieux en l’église Saint-Thomas, co-célébré par deux représentants du culte catholique. Il ressort par ailleurs de la note de service du 29 novembre 2022 précitée que pour la « présence à la messe », les gendarmes présents devaient revêtir la « tenue n° 11 », tenue de cérémonie, et qu’une haie d’honneur composée de plusieurs militaires a été organisée sur le parvis de l’église. En outre, la section commandement du groupement a été chargée de réserver les bancs de chaque côté de l’allée centrale de l’église en y apposant des pancartes « réservé autorités » et les autorités présentes ont été accueillies et placées dans l’église par le colonel commandant le groupement de gendarmerie départementale de l’Ardèche et le lieutenant-colonel commandant en second accompagné du lieutenant-colonel officier adjoint au commandement. Enfin, la sécurisation de la célébration, tout au long de l’office religieux, a été assurée par plusieurs gendarmes en « tenue de service courant ». Si le ministre de l’intérieur fait valoir que cet office religieux s’inscrit dans le cadre d’une manifestation annuelle traditionnelle et festive participant à la cohésion et à la représentation de l’institution, une messe célébrée par deux représentants du culte catholique au sein d’une église située hors de l’enceinte militaire ne saurait, compte tenu de sa nature même et de son caractère indissociable de la religion catholique, constituer une célébration susceptible de revêtir une pluralité de significations. Par ailleurs, les circonstances que les personnels militaires et civils du groupement de gendarmerie n’avaient pas l’obligation d’assister à cet office religieux et que tous les personnels de la gendarmerie bénéficient depuis 2016 d’un jour de congé supplémentaire à l’occasion de la Sainte-Geneviève sont sans incidence sur l’atteinte ainsi portée à l’exigence de neutralité des personnes publiques, découlant du principe de laïcité. Dès lors, en organisant un office religieux selon les modalités précédemment décrites, et en allouant des moyens, notamment humains, pour sa tenue, le colonel commandant le groupement de gendarmerie a exprimé la reconnaissance d’un culte et une préférence religieuse en méconnaissance du principe de laïcité tel que garanti par l’article 1er de la Constitution. Par suite, la Fédération ardéchoise et drômoise de Libre Pensée est fondée à soutenir que la décision attaquée doit être annulée en tant qu’elle comporte l’organisation d’un office religieux » (décision commentée : TA Lyon, 19 mars 2025, n° 2300070, point 10 ).
Le Tribunal administratif de Lyon a donc prononcé l’annulation partielle de la décision du commandant en ce qu’elle implique l’organisation d’un office religieux.
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