Droits fondamentaux : écriture inclusive et neutralité des services publics
Par Frank ZERDOUMI, juriste (Green Law Avocats)
Le principe de neutralité du service public est un principe de rang constitutionnel qui ne se confond pas avec l’égalité mais va bien au-delà.
Ainsi, en matière d’enseignement public, le principe de neutralité scolaire ne signifie pas seulement que le service public doit assurer l’égalité d’accès à l’enseignement : il signifie aussi que les maîtres de l’enseignement public doivent, dans leurs enseignements, observer la plus grande neutralité politique, philosophique et religieuse. La neutralité a même pu rejaillir sur les usagers en imposant des limites à leur liberté d’expression politique (CE, 8 novembre 1985, Ministre de l’éducation nationale c/ Rudent, rec. 316).
Les 11, 12 et 13 décembre 2017, le Conseil de Paris a pris une délibération approuvant l’actualisation des plaques en marbre rendant hommage aux Présidents du Conseil de Paris et conseillers ayant effectué plus de 25 ans de mandat, situées dans l’enceinte de l’hôtel de ville, dans le couloir menant à l’hémicycle, accessibles au public.
Le 18 décembre 2017, ce même Conseil a pris une délibération prévoyant l’usage de points faisant apparaître et séparant les terminaisons masculine et féminine des mots « présidents » et « conseillers ».
Ainsi, les plaques commémoratives comportaient des intitulés en forme abrégée faisant usage de points de ponctuation, destinés à séparer les termes « président » et « conseiller » de leur terminaison au féminin et au pluriel.
Autrement dit, la maire de Paris a décidé d’introduire l’écriture inclusive sur les plaques commémoratives.
Le 30 décembre 2021, l’Association Francophonie Avenir a, par courrier, présenté à la maire de Paris une demande de retrait de deux plaques commémoratives apposées dans l’enceinte de l’hôtel de ville et gravées en écriture inclusive. Précisément, elle a demandé à la maire de remettre les plaques de marbre utilisant l’écriture inclusive, apposées dans l’enceinte de l’hôtel de ville, dans l’état initial où elles se trouvaient avant d’être regravées.
Cette demande n’ayant reçu aucune réponse, une décision implicite de rejet est née.
L’Association Francophonie Avenir a donc saisi le Tribunal administratif de Paris afin d’obtenir l’annulation de cette décision implicite de rejet.
Le 14 mars 2023, le Tribunal a rejeté cette demande d’annulation.
Le 10 mai 2023, l’Association a interjeté appel du jugement devant la Cour administrative d’appel de Paris, afin d’en obtenir l’annulation et l’annulation de la décision implicite de rejet, ainsi que le rétablissement des plaques litigieuses dans un état ne faisant plus apparaître de termes en écriture inclusive et l’interdiction, pour la maire de Paris, d’utiliser à l’avenir et dans le cadre de ses missions de service public, l’écriture inclusive.
D’après l’Association requérante, l’écriture inclusive ne relevait pas de la langue française et la décision d’en faire usage violait le principe constitutionnel de neutralité des services publics.
L’écriture inclusive est-elle contraire au principe de neutralité des services publics ?
La Cour administrative d’appel de Paris a répondu à cette question par la négative, dans la mesure où l’usage de l’écriture inclusive n’est pas une prise de position politique ou idéologique (décision commentée : CAA Paris, 11 avril 2025, n° 23PA02015 ).
Non seulement l’usage de l’écriture inclusive sur des plaques commémoratives relevait bien du français, mais en plus, cet usage n’a pas méconnu le principe de neutralité des services publics.
D’une part, l’article 2 de la Constitution de 1958 dispose que :
« La langue de la République est le français.
L’emblème national est le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge.
L’hymne national est « La Marseillaise ».
La devise de la République est « Liberté, Égalité, Fraternité ».
Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. »
D’autre part, l’article L. 100-2 du Code des relations entre le public et l’Administration a prévu que :
« L’administration agit dans l’intérêt général et respecte le principe de légalité. Elle est tenue à l’obligation de neutralité et au respect du principe de laïcité. Elle se conforme au principe d’égalité et garantit à chacun un traitement impartial. »
Dans un premier temps, la Cour s’est prononcée sur la présentation des plaques :
« En premier lieu, une telle présentation, destinée à faire apparaître, au moyen d’un simple point, la forme d’un mot au masculin comme au féminin, en évitant la répétition de ce mot, ne saurait être regardée comme relevant de l’usage d’une autre langue que le français. Dès lors, son utilisation sur un ouvrage public ne méconnaît pas les dispositions de l’article 2 de la Constitution et des articles 1er et 3 de la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française » (décision commentée : CAA Paris, 11 avril 2025, n° 23PA02015, point 5 ).
Dans un second temps, le juge administratif a réfuté la moindre connotation politique ou idéologique :
« En second lieu, la seule circonstance que l’utilisation de graphies visant à faire apparaître la forme féminine de certains mots soit l’objet de débats d’ordre sociétal ne saurait suffire à lui conférer, dans tous les cas, le caractère d’une prise de position politique. Ainsi, l’usage d’une forme abrégée dans l’intitulé d’un titre ou d’une fonction visant à faire apparaître sa forme féminine, sans répéter ce titre ou cette fonction, que ce soit au moyen de tirets, de parenthèses ou de points, ne saurait, à lui seul, être regardé comme une prise de position politique ou idéologique. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de neutralité du service public doit également être écarté » (décision commentée : CAA Paris, 11 avril 2025, n°23PA02015, point 6 ).
Depuis 2025, l’écriture inclusive est légale en France, en ce sens qu’aucune loi ne l’interdit formellement : elle est cependant encadrée par des règles spécifiques dans certains domaines administratifs et éducatifs.
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