Contentieux indemnitaire du PV urbanistique : compétence judiciaire

Par Maître Marie-Coline Giorno (Green Law Avocats) Aux termes d’une décision du 11 octobre 2021, le Tribunal des Conflits a décidé qu’un litige relatif à l’indemnisation du préjudice né de l’établissement ou de la transmission d’un procès-verbal d’infraction dressé en application de l’article L. 480-1 du code de l’urbanisme à l’autorité judiciaire relevait de la juridiction judiciaire, sans qu’il soit besoin de déterminer si le dommage trouve son origine dans une faute de service ou dans une faute personnelle détachable (TC, 11 octobre 2021, n° C4220, mentionnée aux tables du recueil Lebon, consultable ici).  Cette décision vient fort logiquement compléter la jurisprudence relative à la répartition des compétences sur les préjudices nés d’actes de police judiciaire. Rappel des faits Dans cette affaire, un agent de la direction départementale des territoires (DDT) avait établi un procès-verbal d’infraction constatant, sur une parcelle de terrain, la construction d’un chalet en bois destiné à l’habitat d’une surface totale d’environ 40 m², ayant fait l’objet d’un refus de permis de construire le 31 mars 2008. A la suite de la transmission de ce procès-verbal à l’autorité judiciaire, le propriétaire du terrain a été poursuivi pour avoir exécuté des travaux non autorisés par un permis de construire mais a été relaxé par le tribunal correctionnel. Le 10 janvier 2019, le propriétaire du terrain a assigné l’agent de la DDT devant le tribunal de grande instance sur le fondement de l’article 1241 du code civil en lui reprochant d’avoir établi et transmis un procès-verbal mensonger. Par une ordonnance du 13 juin 2019, le juge de la mise en état de ce tribunal, saisi d’une exception d’incompétence, a dit que le litige relevait de la juridiction judiciaire. Par un arrêt du 27 février 2020, la cour d’appel a infirmé l’ordonnance au motif que la faute reprochée à l’agent de la DDT dans l’exercice de ses fonctions d’agent public n’était pas détachable du service et a décliné la compétence de la juridiction judiciaire. Le propriétaire du terrain a alors saisi le tribunal administratif d’une demande indemnitaire dirigée contre l’Etat qui a, par une ordonnance du 11 septembre 2020, rejeté sa demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître. Par un arrêt du 27 avril 2021, la cour administrative d’appel a considéré que le litige relevait de la compétence des juridictions judiciaires et a renvoyé, en conséquence, la question de compétence au Tribunal des Conflits, en application de l’article 32 du décret du 27 février 2015. Question de droit Le Tribunal des Conflits devait donc déterminer si un litige relatif à l’indemnisation du préjudice né de l’établissement ou de la transmission d’un procès-verbal d’infraction dressé en application de l’article L. 480-1 du code de l’urbanisme à l’autorité judiciaire relevait de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif. Réponse du Tribunal des Conflits Le Tribunal des Conflits a jugé que l’action indemnitaire à la suite de la transmission au procureur de la République du procès-verbal constatant une infraction aux règles d’urbanisme relevait de la compétence de la juridiction judiciaire après avoir posé le principe suivant : « 5. Le procès-verbal d’infraction dressé en application de l’article L. 480-1 du code de l’urbanisme ayant le caractère d’un acte de police judiciaire, le litige relatif à l’indemnisation du préjudice né de son établissement ou de sa transmission à l’autorité judiciaire relève de la juridiction judiciaire, sans qu’il soit besoin de déterminer si le dommage trouve son origine dans une faute de service ou dans une faute personnelle détachable. »  Analyse Cette attribution du litige à la juridiction judiciaire s’inscrit de façon très cohérente avec la jurisprudence existante. Certes, il existe un principe de répartition des compétences concernant les fautes causées par un agent public selon lequel : « la réparation de dommages causés par un agent public peut être demandée au juge judiciaire lorsqu’ils trouvent leur origine dans une faute personnelle de cet agent, au juge administratif lorsqu’ils trouvent leur origine dans une faute non détachable du service ou encore à l’un et l’autre des deux ordres de juridiction lorsqu’ils trouvent leur origine dans une faute qui, bien que personnelle, n’est pas dépourvue de tout lien avec le service ; qu’il en va ainsi indépendamment de la personne contre laquelle l’action est engagée ; » (TC, 15 juin 2015, n° C4007, Publié au recueil Lebon). Néanmoins, ce principe doit s’articuler avec celui selon lequel :  « les actes intervenus au cours d’une procédure judiciaire ou se rattachant directement à celle-ci ne peuvent être appréciés, soit en eux-mêmes, soit dans leurs conséquences, que par l’autorité judiciaire » (TC, 2 juillet 1979, n° 02134 ; voir également en ce sens, à propos spécifiquement d’un procès-verbal dressé en application de l’article L. 480-1 du code de l’urbanisme, CE, 6 février 2004, n°256719, publié au recueil Lebon). De la combinaison de ces principes, le Tribunal des Conflits a déjà pu déduire que :  « sauf dispositions législatives contraires, la responsabilité qui peut incomber à l’Etat ou aux autres personnes morales de droit public en raison des dommages imputés à leurs services publics administratifs est soumise à un régime de droit public et relève en conséquence de la juridiction administrative ; qu’en revanche, celle-ci ne saurait connaître de demandes tendant à la réparation d’éventuelles conséquences dommageables de l’acte par lequel une autorité administrative, un officier public ou un fonctionnaire avise, en application des dispositions précitées de l’article 40 du code de procédure pénale, le procureur de la République, dès lors que l’appréciation de cet avis n’est pas dissociable de celle que peut porter l’autorité judiciaire sur l’acte de poursuite ultérieur » (TC, 8 décembre 2014, n° C3974, Publié au recueil Lebon) Il paraissait dès lors logique qu’une action en réparation fondée sur un manquement qu’aurait commis un agent public en dressant un procès-verbal en matière d’infraction d’urbanisme relève de la juridiction judiciaire, cette action se rattachant directement à une procédure judiciaire. Une solution similaire avait d’ailleurs déjà été adoptée concernant qu’une action en réparation fondée sur un manquement qu’aurait commis un agent public de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) en dressant des…

Les éoliennes enclines à plus de silence

Par Maître Vanessa SICOLI (Green Law Avocats) En octobre dernier, la ministre de la Transition écologique, Barbara POMPILI, avait présenté dix mesures permettant une plus grande acceptabilité de l’éolien. Parmi ces mesures figurait le bridage sonore en cas de dépassement des seuils autorisés. Partant de ces mesures, deux projets d’arrêtés ministériels étaient en consultation publique jusqu’au 9 novembre 2021 avec notamment une attention particulière portée au bruit des parcs éoliens : ces projets prévoyaient que le protocole de mesure acoustique reconnu par le ministère soit utilisé pour faire les mesures de bruit sur les parcs éoliens ainsi que l’instauration d’un contrôle acoustique systématique à réception. Par deux arrêtés apportant diverses modifications aux arrêtés du 26 août 2011 relatif aux installations de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent au sein d’une installation soumise à autorisation ou à déclaration au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l’environnement, publiés le 19 décembre 2021, le ministère de la Transition écologique a confirmé son souhait de se pencher sur la question du bruit produit par les éoliennes terrestres. Ces arrêtés du 10 décembre 2021 viennent supprimer les niveaux de tolérance des émissions sonores admis jusqu’à présent (1) et imposer une vérification de la conformité acoustique (2) avec une entrée en vigueur le 1er janvier 2022. Que les éoliennes soient soumises au régime de l’autorisation ou de la déclaration, il était prévu au sein des arrêtés du 26 août 2011 précités une tolérance de quelques décibels supplémentaires en fonction de la durée cumulée d’apparition du bruit de l’installation. En effet : 3 décibels supplémentaires étaient autorisés pour une durée cumulée d’apparition du bruit supérieure à vingt minutes et inférieure ou égale à deux heures ; 2 décibels supplémentaires pour une durée supérieure à deux heures et inférieure ou égale à quatre heures ; 1 décibel supplémentaire pour une durée supérieure à quatre heures et inférieure ou égale à huit heures ; Et 0 décibel supplémentaire pour une durée supérieure à huit heures. Ces valeurs d’émergence sont supprimées par l’arrêté du 10 décembre 2021 ce qui signifie qu’à compter du 1er janvier 2022 le seuil de bruit admis ne pourra plus excéder les 70 dB, le jour, ou les 60 dB, la nuit, fixés par la loi. Enfin, peu importe le régime d’autorisation ou de déclaration, les arrêtés du 26 août 2011 précités prévoyaient que lorsque des mesures sont effectuées pour vérifier le respect du niveau de bruit, elles devaient l’être selon les dispositions de la norme NF 31-114 dans sa version en vigueur. Avec l’entrée en vigueur des arrêtés du 10 décembre 2021, cette disposition est remplacée : l’exploitant devra faire vérifier la conformité acoustique de l’installation dans les douze mois qui suivent la mise en service industrielle sauf cas particulier justifié avec accord du préfet ou dans les dix-huit mois si cette dérogation a été accordée par le préfet. Aussi, les mesures afin de vérifier le niveau sonore des éoliennes ne seront plus effectuées conformément à la norme NF 31-114 mais au protocole de mesure acoustique des parcs éoliens terrestres reconnu par le ministre chargé des installations classées. Précisions que l’arrêté du 10 décembre relatif au régime de l’autorisation a encore pour objectif de clarifier les prescriptions applicables en fonction de la date de dépôt de dossier d’autorisation ou du renouvellement, y compris concernant le critère d’appréciation de l’impact sur les radars Météo-France. Il apporte des précisions sur le montant recalculé et l’actualisation des garanties financières à la mise en service et introduit des évolutions en cas de renouvellement (distance d’éloignement par rapport aux habitations). Quant à l’arrêté du même jour relatif à la déclaration il clarifie le champ d’application et des prescriptions applicables en fonction de la date de déclaration.

METALEUROP : le jugement est rendu

Par Maître David DEHARBE , Avocat gérant (Green Law Avocats) La 1ère chambre du Tribunal administratif de Lille a rejeté par 87 jugements en date du 21 décembre 2021, les demandes indemnitaires des requérants d’Evin-Malmaison dans l’affaire METALEUROP. Ces riverains de l’ancienne usine demandaient au juge administratif la réparation des préjudices qu’ils considèrent avoir subi du fait de carences fautives de l’Etat dans la gestion des pollutions de l’ancienne fonderie  de METALEUROP. Les requérants reprochent à l’Etat : -de connaître le risque sanitaire des rejets en métaux lourds de l’usine depuis le début des années 1960 ayant contaminé les sols sur 650 hectares ; -d’avoir autorisé l’usine à rejeter dans l’atmosphère pendant les 20 dernières années de son exploitation plus de 3000 tonnes de métaux lourds (plomb et cadmium) ; -d’avoir renoncé à imposer à l’exploitant une dépollution des sols en dehors de l’usine ; -d’avoir délibérément privé les riverains du bénéfice de servitudes indemnisables ce qui aurait permis de financer la dépollution ; -de refuser de traiter la pollution des sols habités et contaminés sous le faux prétexte qu’ils emprisonnent la pollution, alors que la pollution historique migre dans l’air ce qui engendre un préjudice d’angoisse pour les habitants. Contrairement à son rapporteur public qui avait considéré que l’Etat n’aurait commis aucune de ces fautes, le Tribunal a refusé de se prononcer sur ce point. Le Tribunal juge qu’en tout état de cause les préjudices immobiliers et d’angoisse invoqués par les requérants ne sont pas démontrés. Selon le Tribunal il n’y aurait aucun risque à vivre sur les terrains pollués au plomb et au cadmium par METALEUROP et leur valeur foncière ne serait pas affectée par la pollution. Ainsi le Tribunal renvoie les habitants sur leur lieu d’habitation pollué. L’avocat des requérants, Me David DEHARBE, considère que plusieurs pièces du dossier ont été dénaturées par la 1ère chambre du Tribunal et le Président de l’Association PIGE, M. Bruno ADOLPHI, a confirmé ce jour que la décision de faire appel des jugements était déjà acquise. Les écritures du cabinet dans ce dossier sont téléchargeables sur ce lien et le jugement est reproduit ci-dessous :

“Hameau rural” : le classement en zone agricole ne va pas de soi…

Par Marie KERDILES (Green Law Avocats) Par une décision en date du 24 novembre 2021, le Conseil d’Etat a jugé, en application des articles L.151-5, L.151-9, R.151-22 et R.151-23 du code de l’urbanisme, que le maintien du caractère rural d’un hameau en plaine agricole ne justifie pas le classement de ces parcelles en zone A du PLU. En l’espèce, une commune rurale avait modifié son PLU et classé un hameau, d’une trentaine d’habitations et situé à environ 1km du centre-bourg, en zone A (agricole). Les auteurs du PLU entendaient ainsi balancer développement résidentiel et maintien du caractère rural du hameau. La Haute juridiction n’est pas de cet avis, et considère qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que le classement en zone A permet d’assurer la préservation du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres. Cette jurisprudence s’inscrit dans la ligne de définition nuancée du caractère agricole d’une parcelle. Synthèse. Le caractère agricole d’une parcelle La préservation des terres (agricoles ou naturelles) est un enjeu de taille, qui commande aux élus d’opérer un découpage fin des communes, permettant un développement économique et résidentiel, tout en préservant les terres non-urbanisées. Deux possibilités s’ouvrent alors : classer en zone Naturelle, ou classer en zone Agricole. L’article R.151-22 dispose que « peuvent être classés en zone agricole les secteurs de la commune, équipés ou non, à protéger en raison du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles ». Récemment, le Conseil d’Etat (CE, 03 juin 2020, n°429515, téléchargeable sur Doctrine) avait rappelé que la vocation agricole du secteur bordant la parcelle était de nature à fonder le classement de cette parcelle en zone A : ” (…) la cour a pu, sans erreur de droit, ne pas rechercher si les parcelles en cause présentaient elles-mêmes un caractère de terres agricoles, mais se fonder sur la vocation du secteur en bordure duquel ces parcelles se situent, dont le caractère agricole est avéré, sur le parti d’urbanisme de la commune, consistant à ne pas permettre l’étalement de la zone urbaine contiguë à ce secteur sur le territoire de la commune voisine de Saint-Avé, et sur la circonstance que les parcelles en cause ne supportent que des constructions légères et des aménagements d’ampleur limitée, pour apprécier la légalité du classement des parcelles en zone A. Elle n’a pas fait peser sur les sociétés requérantes la charge de la preuve de l’absence de tout potentiel agronomique, biologique ou économique du secteur en cause.” Trois critères doivent donc être pris en compte pour apprécier la légalité du classement d’une parcelle en zone A : La vocation agricole du secteur bordant la parcelle, L’objectif de la commune de ne lutter contre l’étalement urbain, La nature des constructions existantes. L’application stricte de ces principes Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat opère une application stricte de ces principes : « 4. Si, pour apprécier la légalité du classement d’une parcelle en zone A, le juge n’a pas à vérifier que la parcelle en cause présente, par elle-même, le caractère d’une terre agricole et peut se fonder sur la vocation du secteur auquel cette parcelle peut être rattachée, en tenant compte du parti urbanistique retenu ainsi que, le cas échéant, de la nature et de l’ampleur des aménagements ou constructions qu’elle supporte, ce classement doit cependant être justifié par la préservation du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles de la collectivité concernée, à plus forte raison lorsque les parcelles en cause comportent des habitations voire présentent un caractère urbanisé.5. Pour juger que le classement en zone A de l’ensemble du secteur du hameau du Bois-Vieux, situé à environ un kilomètre du centre-bourg, dont il ressort de l’arrêt attaqué qu’il comporte notamment une trentaine d’habitations et présente un caractère urbanisé, n’était pas entaché d’une erreur manifeste d’appréciation, la cour, en relevant que les auteurs du PLU avaient entendu préserver les ressources agricoles de la commune et rechercher un équilibre entre le développement résidentiel et le maintien du ” caractère rural ” du hameau, situé au cœur d’une vaste plaine agricole de bonne valeur agronomique et facilement exploitable, alors qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que ce classement permet d’assurer la préservation du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles de cette commune, a dénaturé les pièces du dossier et les faits de l’espèce. » Si la vocation agricole du secteur bordant les parcelles semblait non-équivoque (grande plaine agricole) et que la commune avait clairement affiché son objectif de lutte contre l’étalement urbain, le caractère urbanisé du hameau a ainsi été l’élément déterminant. Le Conseil d’Etat rappelle ainsi qu’il y a non trois mais quatre critères d’intégration d’une parcelle en zone agricole : le classement doit permettre d’assurer la préservation du potentiel agronomique, biologique ou économique de la parcelle. Ainsi, si le classement de parcelles en zone agricole doit pouvoir permettre la non-urbanisation des terres, il faut toutefois s’assurer de l’effectivité de la préservation du potentiel agronomique. Classer un hameau en zone A reviendrait alors, au sens de la jurisprudence, à reconnaitre l’intérêt agronomique et biologique de terrains habités, ce qui est contraire aux disposition précitées du code de l’urbanisme. Finalement, cette jurisprudence stricte ne semble qu’appliquer des principes déjà dégagés par la Haute juridiction, et appelle les élus à une appréciation fine de la nature de chaque parcelle… quitte à les forcer à abuser des sous-secteurs ?

Stocamine : l’Etat piégé par le défaut des capacités techniques et financières !

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) La Cour administrative d’appel de Nancy par la décision du 15 octobre 2021 (CAA Nancy, 15 octobre 2021, Collectivité européenne d’Alsace, Association Alsace nature, Association consommation, logement et cadre de vie – Union départementale du Haut-Rhin, n° 19NC02483, 19NC02516, 19NC02517) a annulé l’arrêté du 23 mars 2017 autorisant la société des mines de potasse d’Alsace (MDPA) à maintenir pour une durée illimitée un stockage souterrain de déchets dangereux dans le sous-sol de la commune de Wittelsheim. Un  retour sur cette décision qui a fait l’objet d’un pourvoi de l’Etat s’impose. La société Stocamine a été créée pour exploiter un stockage souterrain de déchets dangereux, non-radioactifs à environ 600 mètres sous terre, dans une couche de sel gemme, sous les couches de potasse qui avaient été anciennement utilisées par la société MDPA. Ce stockage, destiné à accueillir jusqu’à 320 000 tonnes de déchets dans le sous-sol du territoire de la commune de Wittelsheim, avait été autorisé pour une durée de 30 ans par le préfet du Haut-Rhin le 3 février 1997. 44 000 tonnes de déchets étaient stockées lorsqu’un incendie s’est produit en 2002 dans l’un des blocs de la structure de stockage, obligeant à interrompre le stockage de nouveaux déchets. Par un arrêté du 23 mars 2017, le préfet du Haut-Rhin a autorisé la société MDPA, qui avait repris la société Stocamine, à maintenir pour une durée illimitée le stockage déjà effectué, après retrait d’une part importante des déchets contenant du mercure (désormais réalisé à 95%) et d’une partie des déchets phytosanitaires contenant du zirame. Le département du Haut-Rhin, la région Grand Est, l’association Alsace Nature et la commune de Wittenheim ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg d’annuler cet arrêté. Par un jugement du 5 juin 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ces demandes. Le département du Haut‑Rhin, auquel s’est substituée depuis lors la collectivité européenne d’Alsace, l’association Alsace Nature et l’association Consommation, logement et cadre de vie – union départementale du Haut‑Rhin ont fait appel du jugement devant la cour administrative d’appel de Nancy. L’Etat dans cette affaire a été victime d’une stratégie contentieuse qui fait bien des dégâts lorsqu’elle est intelligemment convoquée par les requérants : elle consiste à critiquer tout autant l’étude d’impact d’un projet industriel que les capacités techniques pour le mener. En fait il faut bien le concéder, très souvent les juristes confrontés à la complexité des moyens se réclamant de la suffisance des études d’impact et des prescriptions imposées par les préfets à un projet industriel se sentent plus alaise avec le débat sur les capacités financières à le mener. Le droit de l’environnement a systématisé dans les autorisations ICPE (et aujourd’hui dans le régime de l’autorisation environnementale) la présence dans les demandes d’autorisation des capacités techniques et financières de l’exploitant, avec un régime aggravé pour certaines installations ;  une telle exigence étant renforcée pendant la durée d’exploitation pour un certains nombres d’installations (Carrières, installations de stockage de déchets, Seveso et stockage souterrain en couches géologiques profondes de produits dangereux). Ainsi comme le rappelle la Cour, en application des articles L. 541-26 et l’article L. 552-1 du code de l’environnement  « la prolongation illimitée d’une autorisation de stockage souterrain en couches géologiques profondes de produits dangereux ne peut être délivrée, sous le contrôle du juge de plein contentieux, si l’exploitant ne dispose pas de capacités techniques et financières propres ou fournies par des tiers de manière suffisamment certaine, le mettant à même de mener à bien ce projet et d’assumer l’ensemble des exigences susceptibles de découler du prolongement de l’autorisation au regard des intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement, ainsi que des garanties de toute nature qu’il peut être appelé à constituer à cette fin ». Or sans doute parce qu’elle avait l’Etat pour actionnaire unique, la société MDPA n’a pas, à l’appui de sa demande ayant débouché sur l’arrêté préfectoral attaqué, justifié de « l’existence d’un engagement ferme de l’Etat à assumer les coûts du projet ». On retrouve ici la jurisprudence Hambrégie (CE, 22 fév. 2016, n°384821) qui a fait tant de dégâts en contentieux éoliens … La Cour constate encore en l’espèce  que « La dissolution de la société exploitante et le maintien de sa personnalité morale uniquement pour les besoins de la finalisation de la liquidation s’opposent ainsi à ce qu’elle puisse être reconnue comme disposant des capacités financières suffisantes pour assurer une exploitation dont la particularité est d’être illimitée dans le temps ». Enfin la Cour considère au surplus que le « préfet du Haut-Rhin, en ne procédant pas à une nouvelle évaluation des garanties financières précédemment constituées par l’exploitant, a méconnu les dispositions de l’article L. 515-7 du code de l’environnement ». Certes  l’Etat en qualité d’exploitant en est en principe dispensé. Mais la Cour juge que « Le seul fait que l’Etat soit l’unique actionnaire de la société MDPA ne saurait permettre d’apprécier cette société comme transparente dès lors, notamment, que, du fait de son placement en liquidation, la société exploitante ne peut plus être représentée que par son liquidateur. L’Etat, en dépit de sa qualité d’unique actionnaire, est sans droit, ni qualité pour se substituer au liquidateur et ne saurait, dans ces conditions, être regardé comme assurant la direction effective de la société ». Immanquablement et alors que l’Etat n’a semble-t-il cherché à tenter une régularisation de ce vice, le juge conclut au défaut des capacités techniques et financières et considère qu’ “une telle insuffisance a été, en l’espèce, de nature à nuire à l’information complète du public” Cette annulation a sans doute sa raison d’être mais elle escamote le vrai sujet : la suffisante évaluation scientifique au moyen de l’étude d’impact de l’innocuité en l’espèce du stockage en couche profonde des déchets …