L’ordonnance n° 2020-305 adaptant les règles applicables devant le juge administratif

Par maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Il est un constat sans appel : l’épidémie sévissant actuellement dans le monde est une situation bardée d’inconnues économiques, politiques, sociales et produisant des effets juridiques inédits. Alors qu’à ce jour près de la moitié de la population du globe est confinée, les pouvoirs publics français ont multiplié les mesures sans précédents, mais bien destinées à organiser la poursuite des activités autant que faire se peut. Les juristes ne doivent pas pour autant se transformer en caisses enregistreuses des régimes dérogatoires qui se multiplient. Ils doivent exercer leur regard critique et surtout veiller à ce que les circonstances exceptionnelles ne sacrifient pas sur l’autel de la continuité de l’Etat quelques principes fondamentaux : Le droit au procès équitable déjà si déséquilibré dès que l’administration est en cause ; Les principes du service public ; Les principes de la police administrative. Gageons qu’il nous faudra commenter avec plus de recul les dispositifs dérogatoires adoptés et surtout regarder de très près si l’exécutif n’est pas tenté de pérenniser certaines de ces règles qui transpirent quand même le risque de la justice expéditive… Élevés sur les bancs de l’Université où l’on prend encore le temps de penser, on gardera à « l’esprit » ce mot fameux de Montesquieu : « tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ». De longues dates nous sommes gouvernés par “ordonnance” pour codifier le droit mais celles dont il est question avec la loi d’habilitation sur l’état d’ urgence sanitaire (LOI n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19) sont bien d’une autre nature : elles modifient les règles du procès et avec les conditions dans lesquelles la Justice est rendue. Juristes de tous bords, soyez vigilants ! L’activité des juridictions administratives comptant nécessairement aux rangs des ajustements exigés par la crise sanitaire, c’est en tout cas officiellement cette fin qu’a été prise l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020, portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif. Texte intervenu sur le fondement d’une habilitation consentie au gouvernement aux termes de l’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, ce dernier s’organise en deux titres : – Un titre premier traitant de l’adaptation de l’organisation et du fonctionnement des juridictions administratives, – Un titre second, se focalisant sur les délais de procédure et de jugement. Notons immédiatement que l’article 1er du texte précise que cette ordonnance est applicable à l’ensemble des juridictions de l’ordre administratif, sauf lorsqu’elle en dispose autrement. Par conséquent, sont concernées : – Les juridictions administratives de Droit commun : Tribunaux administratifs, Cours administratives d’appel, Conseil d’État, – Les juridictions administratives spécialisées. I – Une adaptation des règles d’organisation et de fonctionnement des juridictions administratives A titre liminaire, le texte précise que la période concernée par ces dérogations aux règles d’organisation et de fonctionnement des juridictions administratives s’étendra du 12 mars 2020 à la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire (article 2). Durant cette période, les formations de jugement des TA et CAA pourront se compléter en cas de vacance ou d’empêchement de leurs membres par l’adjonction de magistrats en activité au sein de l’une de ces juridictions. Ces adaptations s’effectueront par désignation du Président de la juridiction complétée, et sur proposition du président de la juridiction d’origine. Autrement dit, des « navettes » entre les juridictions pourront être observées. Des magistrats honoraires peuvent également être désignés (article 3). En outre, le texte assouplit les conditions de désignation par un Président de juridiction d’un magistrat juge unique pour statuer par voie d’ordonnance : seul le grade de conseiller et une ancienneté minimale de deux ans seront nécessaires (article 4). Élément central appelant une vigilance toute particulière puisque touchant au respect du contradictoire : la communication des pièces, actes et avis aux parties pourra désormais être effectuée par tout moyen (article 5). La tenue des audiences fait également l’objet d’adaptations, matérialisées par une série de possibilités offertes au juge, et dont certaines interrogent lourdement la préservation d’une garantie pérenne du droit au procès équitable  : – Le Président de la formation de jugement peut limiter le nombre de personnes admises à l’audience voire exclure la présence du public (article 6), – Possibilité est donnée à ce même Président de dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, d’exposer publiquement ses conclusions à l’audience (article 8), Notons qu’il est regrettable que le texte n’anticipe pas les effets d’une telle dérogation, en ne traitant pas des moyens susceptibles d’être mis en œuvre afin de permettre tout de même un accès à ces conclusions lorsqu’elles ne seront pas exposées publiquement. – L’article 7 de l’ordonnance précise encore que les audiences pourront se tenir à distance en utilisant un moyen de télécommunication audiovisuelle. En cas d’impossibilité technique ou matérielle, le juge pourra décider d’entendre les parties par tout moyen de communication électronique y compris téléphonique, étant précisé que la décision du juge de recourir à un tel moyen est insusceptible de recours. En tout état de cause, l’usage de tels moyens doit garantir une vérification de l’identité des parties, une bonne transmission et une confidentialité des échanges. Ces dispositions réaffirment enfin le rôle du juge en dépit de la tenue d’une audience à distance : il lui appartient toujours d’organiser et de conduire la procédure, de s’assurer du bon déroulement des échanges et de veiller au respect des droits de la défense ainsi qu’au caractère contradictoire des débats. – La procédure de référé fait également l’objet d’adaptations à nouveau préoccupantes. Généralisant la possibilité donnée par l’article L. 522-3 du CJA, l’article 9 de l’ordonnance permet au juge des référés, durant cette période, de statuer sans audience et par une ordonnance motivée sur l’ensemble des requêtes présentées en référé. Ce dernier doit toutefois informer les parties de l’absence d’audience et doit par conséquent fixer une date de clôture de l’instruction. Il est fort à parier que les juridictions useront probablement beaucoup de cette possibilité offerte, en dépit de l’importance cruciale accordée à l’oralité dans ces procédures, et dont certaines ont un rôle fondamental de préservation des libertés…

LE COVID-19 AFFECTE AUSSI LE DROIT DE LA COMMANDE PUBLIQUE

    Par Maître Thomas RICHET (Green Law Avocats) La pandémie de coronavirus qui affecte aujourd’hui le territoire national et plus globalement notre planète dans sa totalité, aura nécessairement des répercussions sur les systèmes juridiques des pays touchés : le droit de la commande publique ne font pas exception. L’on sait d’ailleurs que le principe de mutabilité des contrats publics témoigne d’emblée de la prégnance de l’intérêt public sur ceux du co-contractant privé : “l’administration peut modifier unilatéralement les conditions d’exécution de ses contrats en vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs” (CE 2 février 1983 Union des transports publics urbains et régionaux: RDP 1984 p. 212 – CE 11 mars 1910, COMPAGNIE GENERALE FRANCAISE DES TRAMWAYS, Lebon 216, concl. Blum D. 1912.3.49, concl. Blum ; S. 1911.3.1, concl. Blum, note Hauriou ; RD publ. 1910.270, note Jèze). C’est d’ailleurs un pouvoir auquel l’administration ne saurait renoncer (CE 6 mai 1985 Association Eurolat : AJDA 1985 p. 620). De même les règles de passation peuvent être tout simplement écartées au nom de « circonstances impérieuses » (article R2322-4 du code de la commande publique). L’urgence impérieuse est circonscrite aux phénomènes extérieurs, imprévisibles et irrésistibles pour l’acheteur, comme, par exemple,  une catastrophe naturelle (tempête, inonda tions ou séismes), la nécessité d’engager la recherche de victimes d’une catastrophe aérienne ou menaçant la sécurité des personnes (CAA Marseille,12 mars 2007, Commune de Bollène, n° 04MA00643) ou la survenance d’actes terroristes16.Ces situations peuvent justifier une action immédiate. Mais le covid-19 ne semble pas souffrir le droit commun même si la commande publique prévoit intègre pourtant son adaptabilité aux circonstances exceptionnelles ! Le besoin de montrer que le gouvernement « fait » dans une société où les confinés ont d’autant plus le temps de prendre connaissance d’une production normatives démonstrative et bavarde  aura une fois de plus pris le dessus … plus que jamais, le droit c’est « quand dire c’est faire » … c’est là aussi que la force du droit (Bourdieu) réside Certes l’épidémie de « covid-19 » affectera, et a déjà commencé à affecter, la passation et l’exécution des contrats publics. Songeons notamment aux procédures de passation en cours où les opérateurs économiques sont dans l’impossibilité d’apporter des réponses faute de moyens humain et matériel disponibles ; songeons également à l’exécution des chantiers qui ont été suspendus par peur de répandre le virus ; songeons encore à l’impossibilité d’exécuter certains contrats faute d’approvisionnement. Les règles régissant les contrats publics ont donc été adaptées pour faire face à cette crise sanitaire mondiale et c’est l’objectif affiché par le Président de la République et le Gouvernement en adoptant l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n’en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de covid-19. Décryptage… Sur le champ d’application de l’ordonnance (art. 1er de l’ordonnance) : Le champ d’application de l’ordonnance commentée est très large, tant d’un point de vue matériel que temporel. Tout d’abord, et d’un point de vue matériel, l’ordonnance ne s’applique pas qu’aux contrats soumis au Code de la Commande Publique (CCP) (exemples : marchés, concessions, délégation de service public, etc.) mais vise également, de manière plus générale, les contrats publics qui ne sont pas soumis à ce code. Elle s’applique donc également, par exemple, aux contrats portant occupation du domaine public. Ensuite, et d’un point de vue temporel, l’ordonnance s’applique aux contrats publics précités qui ont été et seront conclus durant la période allant du 12 mars 2020 au 24 juillet 2020 (date à laquelle, en principe, l’état d’urgence sanitaire proclamé par la loi du 23 mars 2020 (voir notre article sur la promulgation de cette loi) prendra fin, augmentée d’une durée de deux mois). Mais l’ordonnance s’applique également aux contrats publics qui sont en cours d’exécution durant cette période. Enfin, il est important de relever que l’ordonnance prend le soin de préciser que ses dispositions « ne sont mises en œuvre que dans la mesure où elles sont nécessaires pour faire face aux conséquences, dans la passation et l’exécution de ces contrats, de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation. ». Cette limite à l’application des règles dérogatoires instaurées par l’ordonnance fera sans aucun doute l’objet de vifs débats entre les cocontractants mais également devant le juge. Sur l’impact de l’ordonnance s’agissant de la passation des contrats publics soumis au code de la commande publique (articles 2 et 3 de l’ordonnance) : S’agissant des procédures de passation des contrats soumis au code de la commande publique, l’ordonnance impacte les délais de remises des candidatures et des offres (cf. Article 2 de l’ordonnance). A ce titre, le texte fixe le principe d’une prolongation des délais de réception des candidatures et des offres dans les procédures de passation en cours pour une « durée suffisante », et ce, en vue de permettre aux opérateurs économiques de répondre. L’ordonnance semble ici mettre une obligation à la charge des acheteurs. Pour le dire autrement, il ne s’agit pas, à notre sens, d’une simple possibilité. Cependant, dans l’hypothèse où le besoin ne peut souffrir d’aucun retard, le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice ne sont pas tenus d’appliquer ce principe. Il conviendra de justifier le recours à cette exception de manière rigoureuse sans quoi la procédure de passation pourrait faire l’objet d’une annulation dans le cadre, par exemple, d’un référé précontractuel. Sur ce point, dès lors que l’ordonnance ne vise ici que les contrats soumis au code de la commande publique, les délais de remise des offres s’agissant des procédures de sélection préalable en matière d’occupation du domaine public ne seront, a priori, pas affectés. Le texte impacte également les modalités de mise en concurrence qui pourront être aménagées par les acheteurs dans l’hypothèse où celles-ci ne peuvent pas être respectées. L’acheteur devra ici veiller à respecter le sacro-saint principe d’égalité de traitement des candidats en publiant, par exemple, un avis rectificatif modifiant le règlement de la consultation. On pense ici plus particulièrement aux visites sur site ou…

La suspension des loyers commerciaux en plein confinement

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) A la suite du confinement annoncé le 16 mars dernier, de nombreuses entreprises ont dû fermer leurs portes. Les conséquences économiques et financières seront à la mesure de la durée du confinement. La loi d’urgence contre le coronavirus a été adopté. Son article 11 relatif à la suspension des loyers commerciaux permet au Gouvernement de prendre des mesures afin « de reporter intégralement ou d’étaler le paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels et commerciaux et de renoncer aux pénalités financières et aux suspensions, interruptions ou réductions de fournitures susceptibles d’être appliquées en cas de non-paiement de ces factures, au bénéfice des microentreprises, au sens du décret no 2008-1354 du 18 décembre 2008 relatif aux critères permettant de déterminer la catégorie d’appartenance d’une entreprise pour les besoins de l’analyse statistique et économique, dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie ». L’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de covid-19 est parue au Journal officiel de ce jour (JORF n°0074 du 26 mars 2020 – texte n° 37). Aux termes de l’article 4 de l’ordonnance suspendent en ces termes les obligations de paiement de certains loyers et chargés afférentes à ces contrats :  «  Les personnes mentionnées à l’article 1er ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d’activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L. 622-14 et L. 641-12 du code de commerce. Les dispositions ci-dessus s’appliquent aux loyers et charges locatives dont l’échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 précitée ». Si le mécanisme est étendu aux charges locatives (art. 4 de l’ordonnance n°2020-317), on doit encore souligner que le dispositif ne semble pas couvrir expressément les redevances d‘occupation dues en vertu de conventions d’occupation du domaine public Le texte se contente par ailleurs d’indiquer que le non-paiement des échéances de loyers commerciaux, par les personnes éligibles au fonds de solidarité, durant l’état d’urgence sanitaire et jusqu’à deux mois après le terme de celui-ci, n’est pas susceptible de sanction financière. Mais une incertitude demeure : les échéances sont-elles annulées ou reportées et dans ce cas ? A tout le moins on peut considérer que le règlement des échéances est suspendu dès lors que l’obligation de paiement n’est plus juridiquement sanctionnée. En revanche si les entreprises ne sont sans doute pas dispensées du paiement de leurs loyers, elles sont assurément protégées des effets d’une clause résolutoire et/ou de pénalités courus durant la période de confinement : “Les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie au I de l’article 1er. Ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets à compter de l’expiration d’un délai d’un mois après la fin de cette période si le débiteur n’a pas exécuté son obligation avant ce terme. Le cours des astreintes et l’application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant la période définie au I de l’article 1er” (art. 4 ord. n° 2020-306 du 25 mars 2020). C’est l’article 1er de la même ordonnance qui fixe son champ d’application personae :  « Peuvent bénéficier des dispositions des articles 2 à 4 les personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique qui sont susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 susvisée. Celles qui poursuivent leur activité dans le cadre d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire peuvent également bénéficier de ces dispositions au vu de la communication d’une attestation de l’un des mandataires de justice désignés par le jugement qui a ouvert cette procédure. Les critères d’éligibilité aux dispositions mentionnées ci-dessus sont précisés par décret, lequel détermine notamment les seuils d’effectifs et de chiffre d’affaires des personnes concernées ainsi que le seuil de perte de chiffre d’affaires constatée du fait de la crise sanitaire ». Le champ d’application nécessite un décret d’application, finalement intervenu : c’est le décret du 31 mars 2020 dont il convient de faire une lecture combinée avec celui qui fixe les conditions d’éligibilité des entreprises, à savoir le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 relatif au fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation. Finalement aux termes des décrets des 30 et 31 mars 2020, sont éligibles au fonds de solidarité créé par l’ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020, toutes les petites entreprises, en ce compris les indépendants et les professions libérales qui remplissent les conditions cumulatives suivantes : -Ont moins de 10 salariés, -Réalisent un chiffre d’affaire inférieur à un million d’euros et présente un bénéfice imposable inférieur à 60.000 euros -Subissent une fermeture administrative ou qui auront connu une perte de chiffre d’affaires de plus de 70% au mois de mars 2020 par rapport au mois de mars 2019. Plus clairement que pour les loyers et les charges l’article 3 de l’ordonnance 2020-316 du 25 mars 2020, statuant sur l’exigibilité des factures d’eau, de gaz et d’électricité durant la même période, prévoit expressément que : « Le paiement des créances dues à ces échéances ainsi reportées est réparti de manière égale sur les échéances…

La loi relative à l’état d’urgence sanitaire promulguée

Par Maître David DEHARBE (Avocat gérant, Green Law Avocats) Avec une rapidité extrême et dans un contexte particulier, le Parlement vient d’adopter dimanche 22 mars 2020 le projet de loi dit « d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 ».  La loi a été promulguée le 23 mars 2020. La LOI n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a été publiée au Journal officiel du 24 mars 2020. La loi comprend trois titres : Le Titre Ier organise les modalités de report du deuxième tour des élections municipales qui aurait dû se dérouler le 22 mars 2020 ; Le Titre II instaure un dispositif d’urgence sanitaire ; Le Titre III porte sur les mesures d’urgence économique et d’adaptation à la lutte contre l’épidémie et comporte une série d’habilitation à légiférer dans des domaines variés. Le Conseil d’État avait rendu le 18 mars 2020 son avis sur le projet de loi dans sa version initiale. 1. Sur le report du deuxième tour des élections municipales et les mesures relatives à la gouvernance des collectivités territoriales La loi reporte le second tour des élections municipales « au plus tard au mois de juin 2020 », la date précise sera fixée par un décret en conseil des ministres. Cependant, l’organisation du scrutin restera conditionnée par les conclusions d’un rapport devant être remis par le comité scientifique placé auprès du Gouvernement devant être remis le 10 mai 2020. Après avoir rappelé que « le report du second tour d’un scrutin politique est sans précédent dans notre histoire politique contemporaine », le Conseil d’Etat considère que ce report « est justifié par les circonstances exceptionnelles nées de la propagation du virus Covid-19 et des mesures qu’il est nécessaire de mettre urgemment en œuvre pour faire face efficacement au danger qu’il représente pour la santé publique ». Le Conseil d’Etat note encore que le report « est strictement encadré dans le temps, puisque le second tour doit se tenir dans un délai de trois mois ». Les conseillers municipaux et communautaires qui ont été élus au premier tour entrent en fonction à une date fixée par décret, au plus tard au mois de juin, après avis du comité de scientifiques. La première réunion du conseil municipal de tient au plus tôt cinq jours et au plus tard dix jours après cette entrée en fonction. Le mandat des conseillers en exercice avant le 15 mars 2020 est prolongé jusqu’à cette date. En revanche, par dérogation, dans les communes de moins de 1 000 habitants où moins de la moitié des conseillers municipaux ont été désignés, ceux-ci n’entreront en fonctions qu’à l’issue du second tour, le mandat des conseillers municipaux et communautaires actuels étant alors prorogé jusqu’au second tour. Dans son avis, le Conseil d’Etat ne voit dans cette mesure qu’une « atteinte limitée » à l’expression du suffrage, et estime qu’en visant à permettre la continuité du fonctionnement des collectivités concernées lorsque celles-ci ne disposent pas encore du nombre d’élus requis pour composer le conseil municipal, cette décision poursuit un motif d’intérêt général suffisant. On notera enfin que la loi comporte des mesures destinées à régir le fonctionnement des organes délibérants des communes et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) jusqu’au second tour. Ainsi : – dans les communes de moins de 1 000 habitants où le conseil municipal n’a pas été élu au complet, le maire et les adjoints seront élus de façon temporaire. – certains EPCI verront cohabiter des conseillers communautaires dont le mandat a été prorogé avec des conseillers nouvellement élus. En outre, le président et les vice-présidents de ces EPCI seront élus temporairement jusqu’à l’issue du second tour. 2. Sur l’état d’urgence sanitaire L’objectif premier de la loi n°2020-290 est d’instaurer un état d’urgence sanitaire, soit un régime juridique exceptionnel devant s’appliquer en cas de catastrophe sanitaire, notamment d’épidémie mettant en péril la santé de la population. Le Gouvernement considère qu’actuellement, aucun cadre juridique n’existe pour faire face à de telles hypothèses, alors que certains scientifiques évoquent la nécessité d’un confinement plus long (six semaines minimum) et aux modalités plus strictes pour faire face à la crise actuelle. Le Conseil d’Etat a également salué cette initiative, estimant que si la théorie jurisprudentielle des circonstances exceptionnelles a pu fonder le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19 et si l’article L. 3131-1 du code de la santé publique a servi de fondement juridique aux mesures prises par le ministre de la santé, « l’existence d’une catastrophe sanitaire rend utile un régime particulier de l’état d’urgence pour disposer d’un cadre organisé et clair d’intervention en pareille hypothèse ». Pour mémoire, au titre de la théorie jurisprudentielle des circonstances exceptionnelles dégagée par le Conseil d’Etat, l’Administration peut prendre des mesures qui, en temps normal, seraient considérées comme illégales ou constitutives de voies de fait, pour autant qu’il ne lui soit pas possible d’agir légalement (CE, 38 juin 1918, Heyriès, Rec. CE 1918, p. 651, GAJA, Sirey, n°35, CE 28 février 1919, Dames Dol et Laurent, Rec. CE 1919, p. 208, GAJA, Sirey, n°37). Concrètement, la loi prévoit que l’état d’urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire « en cas de catastrophe sanitaire, notamment d’épidémie mettant en jeu par sa nature et sa gravité, la santé de la population », par décret en Conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Cet état d’urgence activé par décret ne peut l’être que pour une durée d’un mois : toute prorogation ne pourra être autorisée que par la loi, qui fixe sa durée définitive. Dans la version initiale du projet, le délai était de douze jours mais le Conseil d’Etat a recommandé de le porter à un mois. On notera qu’aux termes du texte, les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire qui ont motivé la décision sont rendues publiques. A titre dérogatoire, la loi n°2020-290 prévoit elle-même un déclenchement de l’état d’urgence pour lutter contre le Covid-19 pour une durée de 2 mois à compter…

1er tour des élections municipales faussé : peut-on le contester ?

Par Maître Lucas DERMENGHEM (Green Law Avocats) A l’heure où l’hypothèse d’un report du second tour des élections municipales fait l’objet de l’attention focalisée des médias, les opérations électorales du premier tour ont connu, non sans une grande surprise, d’importants taux d’abstentions. Plus en amont encore, la décision de maintenir ce premier tour exprimée à l’occasion de l’allocution du Président de la République du 12 mars 2020 a suscité de nombreux débats tant ce choix souffre de la comparaison avec les mesures exceptionnelles de confinement aujourd’hui envisagées sur l’ensemble du territoire. A cet égard, le Président de la République a justifié cette décision à la fois sur la base d’expertises scientifiques (au demeurant non publiées), mais en s’appuyant aussi sur la nécessité de préserver le débat démocratique. Pour autant, le maintien du premier tour des élections municipales dans de telles circonstances exceptionnelles ne met-il pas plus à mal la démocratie que son simple report ? Autrement dit, pourrait-il être considéré que le premier tour des élections municipales est d’une certaine manière faussé, et dès lors susceptible d’être contesté ? La réponse à cette interrogation suppose tout d’abord d’opérer un bref rappel opérationnel du cadre juridique relatif au contentieux des élections municipales, avant d’examiner son application à la situation très particulière du scrutin du 15 mars dernier. I – Cadre juridique du contentieux des élections municipales 1° – En ce qui concerne les délais de contestation S’agissant de la compétence juridictionnelle, l’article L248 du code électoral prévoit que « Tout électeur et tout éligible a le droit d’arguer de nullité les opérations électorales de la commune devant le tribunal administratif. », ces mêmes dispositions réservant également la possibilité d’un déféré préfectoral. Tout en réservant une grande majorité de ce contentieux au juge administratif, précisons que les juridictions judiciaires conservent une compétence, logiquement en matière pénale, ainsi qu’en matière d’inscription sur les listes électorales (voir, pour un exemple, la procédure de contestation d’une radiation des listes électorales prévue par l’article L20 du code électoral). Tout électeur et tout éligible peut donc contester les opérations électorales menées au sein de sa commune. Prenant l’appellation de « protestation électorale », cette démarche peut être consignée par procès-verbal, ou déposée directement au greffe du Tribunal administratif. En tout état de cause, elle doit être déposée au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit l’élection (art. R119 du Code électoral), ce qui nous amène, dans notre cas, au vendredi 20 mars 2020 à 18h00 si les résultats ont été proclamés le dimanche 15 mars avant minuit. Précisons immédiatement qu’en l’état, bon nombre de contestations devront attendre la tenue et la proclamation des résultats du second tour, aujourd’hui largement débattue, puisqu’est sans objet et par suite irrecevable une protestation dirigée contre les opération électorales du premier tour qui n’ont pas conduit à une proclamation d’élus, sauf si le requérant demande au juge de proclamer un candidat ou une liste qui remplirait les conditions pour être élus dès le premier tour (CE, 25 mai 1990, Elect. Mun. Aix-En-Provence : Lebon, p. 137). 2° – L’étendue et les modalités du contrôle du juge Hors cas des actes détachables de l’opération électorale, il s’agit d’un contentieux de pleine juridiction particulier, dit « plein contentieux objectif », présentant des spécificités en termes procéduraux et de recevabilité. Autrement dit, le juge administratif ainsi saisi ne dispose pas seulement d’un pouvoir d’annulation, mais également de pouvoirs plus étendus tels la régularisation, voire la réformation. Selon une formule jurisprudentielle désormais classique, le juge, en matière de contentieux électoral, apprécie si l’irrégularité en cause « a été de nature à affecter la sincérité du scrutin et, par suite, la validité des résultats proclamés » (CE, 24 septembre 2008, n° 317786). Par conséquent, il revient au juge d’apprécier la nature et la gravité de l’irrégularité invoquée. Ainsi, toute irrégularité n’entraîne pas nécessairement annulation de l’élection, notamment si le juge considère que cette irrégularité n’a pas modifié le résultat et conduit à méconnaître la volonté des électeurs. Autrement dit, l’irrégularité doit être suffisamment grave pour avoir, à elle seule, affecté la sincérité du scrutin. 3° Application au déroulement des opérations de vote Eu égard aux circonstances dans lesquelles ont eu lieu ces opérations électorales, nous nous reporterons plus précisément, et surtout, sur les irrégularités susceptibles d’affecter le déroulement des opérations de vote. D’une manière synthétique, rappelons les modalités d’organisation des opérations de vote doivent assurer le respect de deux libertés fondamentales : – L’égalité de suffrage – La liberté de suffrage S’agissant de la liberté de suffrage, il résulte de l’ensemble des dispositions relatives à l’organisation du vote que les électeurs doivent pouvoir se déterminer en tout connaissance de cause, à l’abris d’erreurs ou de confusions. Le respect des valeurs démocratiques implique donc que chaque électeur puisse exprimer son choix librement, sans être sujet à une quelconque influence, pression ou intimidation sur les lieux. A cet égard, le code électoral comporte des dispositions pénales réprimant les atteintes portées à la liberté du vote (art. L94 à L117 du code électoral), par exemple : le fait, à l’aide de fausses nouvelles, bruits calomnieux, ou autres manœuvres frauduleuses, de surprendre ou détourner des suffrages, ou de pousser un ou plusieurs électeurs à s’abstenir de voter (art. L97 du code électoral). la liberté de suffrage implique que l’électeur ne soit soumis à aucune influence quelconque le jour du scrutin (CE, 14 mars 1984, Elec. Mun. Schoelcher) ou ne subisse aucune pression (CE, 14 av. 1984, Elec. Mun. Houilles : Lebon p. 146). La libre expression du suffrage est considérée comme une liberté fondamentale dont l’atteinte grave et manifestement illégale peut justifier l’exercice d’un référé-liberté sur le fondement de l’article L. 521-2 du CJA (voir en ce sens : CE, 11 mars 2020, n° 439434). II – Réflexions relatives au premier tour des élections municipales de 2020 Sur la base des considérations précitées, et au regard de la libre expression du suffrage qui constitue une liberté fondamentale de premier plan en vertu des articles 3 et 4 de la Constitution du 4 octobre 1958, la régularité de ce premier tour interroge. En…