La suspension des loyers commerciaux en plein confinement

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) A la suite du confinement annoncé le 16 mars dernier, de nombreuses entreprises ont dû fermer leurs portes. Les conséquences économiques et financières seront à la mesure de la durée du confinement. La loi d’urgence contre le coronavirus a été adopté. Son article 11 relatif à la suspension des loyers commerciaux permet au Gouvernement de prendre des mesures afin « de reporter intégralement ou d’étaler le paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels et commerciaux et de renoncer aux pénalités financières et aux suspensions, interruptions ou réductions de fournitures susceptibles d’être appliquées en cas de non-paiement de ces factures, au bénéfice des microentreprises, au sens du décret no 2008-1354 du 18 décembre 2008 relatif aux critères permettant de déterminer la catégorie d’appartenance d’une entreprise pour les besoins de l’analyse statistique et économique, dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie ». L’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de covid-19 est parue au Journal officiel de ce jour (JORF n°0074 du 26 mars 2020 – texte n° 37). Aux termes de l’article 4 de l’ordonnance suspendent en ces termes les obligations de paiement de certains loyers et chargés afférentes à ces contrats :  «  Les personnes mentionnées à l’article 1er ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d’activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L. 622-14 et L. 641-12 du code de commerce. Les dispositions ci-dessus s’appliquent aux loyers et charges locatives dont l’échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 précitée ». Si le mécanisme est étendu aux charges locatives (art. 4 de l’ordonnance n°2020-317), on doit encore souligner que le dispositif ne semble pas couvrir expressément les redevances d‘occupation dues en vertu de conventions d’occupation du domaine public Le texte se contente par ailleurs d’indiquer que le non-paiement des échéances de loyers commerciaux, par les personnes éligibles au fonds de solidarité, durant l’état d’urgence sanitaire et jusqu’à deux mois après le terme de celui-ci, n’est pas susceptible de sanction financière. Mais une incertitude demeure : les échéances sont-elles annulées ou reportées et dans ce cas ? A tout le moins on peut considérer que le règlement des échéances est suspendu dès lors que l’obligation de paiement n’est plus juridiquement sanctionnée. En revanche si les entreprises ne sont sans doute pas dispensées du paiement de leurs loyers, elles sont assurément protégées des effets d’une clause résolutoire et/ou de pénalités courus durant la période de confinement : “Les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie au I de l’article 1er. Ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets à compter de l’expiration d’un délai d’un mois après la fin de cette période si le débiteur n’a pas exécuté son obligation avant ce terme. Le cours des astreintes et l’application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant la période définie au I de l’article 1er” (art. 4 ord. n° 2020-306 du 25 mars 2020). C’est l’article 1er de la même ordonnance qui fixe son champ d’application personae :  « Peuvent bénéficier des dispositions des articles 2 à 4 les personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique qui sont susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 susvisée. Celles qui poursuivent leur activité dans le cadre d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire peuvent également bénéficier de ces dispositions au vu de la communication d’une attestation de l’un des mandataires de justice désignés par le jugement qui a ouvert cette procédure. Les critères d’éligibilité aux dispositions mentionnées ci-dessus sont précisés par décret, lequel détermine notamment les seuils d’effectifs et de chiffre d’affaires des personnes concernées ainsi que le seuil de perte de chiffre d’affaires constatée du fait de la crise sanitaire ». Le champ d’application nécessite un décret d’application, finalement intervenu : c’est le décret du 31 mars 2020 dont il convient de faire une lecture combinée avec celui qui fixe les conditions d’éligibilité des entreprises, à savoir le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 relatif au fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation. Finalement aux termes des décrets des 30 et 31 mars 2020, sont éligibles au fonds de solidarité créé par l’ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020, toutes les petites entreprises, en ce compris les indépendants et les professions libérales qui remplissent les conditions cumulatives suivantes : -Ont moins de 10 salariés, -Réalisent un chiffre d’affaire inférieur à un million d’euros et présente un bénéfice imposable inférieur à 60.000 euros -Subissent une fermeture administrative ou qui auront connu une perte de chiffre d’affaires de plus de 70% au mois de mars 2020 par rapport au mois de mars 2019. Plus clairement que pour les loyers et les charges l’article 3 de l’ordonnance 2020-316 du 25 mars 2020, statuant sur l’exigibilité des factures d’eau, de gaz et d’électricité durant la même période, prévoit expressément que : « Le paiement des créances dues à ces échéances ainsi reportées est réparti de manière égale sur les échéances…

La loi relative à l’état d’urgence sanitaire promulguée

Par Maître David DEHARBE (Avocat gérant, Green Law Avocats) Avec une rapidité extrême et dans un contexte particulier, le Parlement vient d’adopter dimanche 22 mars 2020 le projet de loi dit « d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 ».  La loi a été promulguée le 23 mars 2020. La LOI n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a été publiée au Journal officiel du 24 mars 2020. La loi comprend trois titres : Le Titre Ier organise les modalités de report du deuxième tour des élections municipales qui aurait dû se dérouler le 22 mars 2020 ; Le Titre II instaure un dispositif d’urgence sanitaire ; Le Titre III porte sur les mesures d’urgence économique et d’adaptation à la lutte contre l’épidémie et comporte une série d’habilitation à légiférer dans des domaines variés. Le Conseil d’État avait rendu le 18 mars 2020 son avis sur le projet de loi dans sa version initiale. 1. Sur le report du deuxième tour des élections municipales et les mesures relatives à la gouvernance des collectivités territoriales La loi reporte le second tour des élections municipales « au plus tard au mois de juin 2020 », la date précise sera fixée par un décret en conseil des ministres. Cependant, l’organisation du scrutin restera conditionnée par les conclusions d’un rapport devant être remis par le comité scientifique placé auprès du Gouvernement devant être remis le 10 mai 2020. Après avoir rappelé que « le report du second tour d’un scrutin politique est sans précédent dans notre histoire politique contemporaine », le Conseil d’Etat considère que ce report « est justifié par les circonstances exceptionnelles nées de la propagation du virus Covid-19 et des mesures qu’il est nécessaire de mettre urgemment en œuvre pour faire face efficacement au danger qu’il représente pour la santé publique ». Le Conseil d’Etat note encore que le report « est strictement encadré dans le temps, puisque le second tour doit se tenir dans un délai de trois mois ». Les conseillers municipaux et communautaires qui ont été élus au premier tour entrent en fonction à une date fixée par décret, au plus tard au mois de juin, après avis du comité de scientifiques. La première réunion du conseil municipal de tient au plus tôt cinq jours et au plus tard dix jours après cette entrée en fonction. Le mandat des conseillers en exercice avant le 15 mars 2020 est prolongé jusqu’à cette date. En revanche, par dérogation, dans les communes de moins de 1 000 habitants où moins de la moitié des conseillers municipaux ont été désignés, ceux-ci n’entreront en fonctions qu’à l’issue du second tour, le mandat des conseillers municipaux et communautaires actuels étant alors prorogé jusqu’au second tour. Dans son avis, le Conseil d’Etat ne voit dans cette mesure qu’une « atteinte limitée » à l’expression du suffrage, et estime qu’en visant à permettre la continuité du fonctionnement des collectivités concernées lorsque celles-ci ne disposent pas encore du nombre d’élus requis pour composer le conseil municipal, cette décision poursuit un motif d’intérêt général suffisant. On notera enfin que la loi comporte des mesures destinées à régir le fonctionnement des organes délibérants des communes et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) jusqu’au second tour. Ainsi : – dans les communes de moins de 1 000 habitants où le conseil municipal n’a pas été élu au complet, le maire et les adjoints seront élus de façon temporaire. – certains EPCI verront cohabiter des conseillers communautaires dont le mandat a été prorogé avec des conseillers nouvellement élus. En outre, le président et les vice-présidents de ces EPCI seront élus temporairement jusqu’à l’issue du second tour. 2. Sur l’état d’urgence sanitaire L’objectif premier de la loi n°2020-290 est d’instaurer un état d’urgence sanitaire, soit un régime juridique exceptionnel devant s’appliquer en cas de catastrophe sanitaire, notamment d’épidémie mettant en péril la santé de la population. Le Gouvernement considère qu’actuellement, aucun cadre juridique n’existe pour faire face à de telles hypothèses, alors que certains scientifiques évoquent la nécessité d’un confinement plus long (six semaines minimum) et aux modalités plus strictes pour faire face à la crise actuelle. Le Conseil d’Etat a également salué cette initiative, estimant que si la théorie jurisprudentielle des circonstances exceptionnelles a pu fonder le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19 et si l’article L. 3131-1 du code de la santé publique a servi de fondement juridique aux mesures prises par le ministre de la santé, « l’existence d’une catastrophe sanitaire rend utile un régime particulier de l’état d’urgence pour disposer d’un cadre organisé et clair d’intervention en pareille hypothèse ». Pour mémoire, au titre de la théorie jurisprudentielle des circonstances exceptionnelles dégagée par le Conseil d’Etat, l’Administration peut prendre des mesures qui, en temps normal, seraient considérées comme illégales ou constitutives de voies de fait, pour autant qu’il ne lui soit pas possible d’agir légalement (CE, 38 juin 1918, Heyriès, Rec. CE 1918, p. 651, GAJA, Sirey, n°35, CE 28 février 1919, Dames Dol et Laurent, Rec. CE 1919, p. 208, GAJA, Sirey, n°37). Concrètement, la loi prévoit que l’état d’urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire « en cas de catastrophe sanitaire, notamment d’épidémie mettant en jeu par sa nature et sa gravité, la santé de la population », par décret en Conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Cet état d’urgence activé par décret ne peut l’être que pour une durée d’un mois : toute prorogation ne pourra être autorisée que par la loi, qui fixe sa durée définitive. Dans la version initiale du projet, le délai était de douze jours mais le Conseil d’Etat a recommandé de le porter à un mois. On notera qu’aux termes du texte, les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire qui ont motivé la décision sont rendues publiques. A titre dérogatoire, la loi n°2020-290 prévoit elle-même un déclenchement de l’état d’urgence pour lutter contre le Covid-19 pour une durée de 2 mois à compter…

1er tour des élections municipales faussé : peut-on le contester ?

Par Maître Lucas DERMENGHEM (Green Law Avocats) A l’heure où l’hypothèse d’un report du second tour des élections municipales fait l’objet de l’attention focalisée des médias, les opérations électorales du premier tour ont connu, non sans une grande surprise, d’importants taux d’abstentions. Plus en amont encore, la décision de maintenir ce premier tour exprimée à l’occasion de l’allocution du Président de la République du 12 mars 2020 a suscité de nombreux débats tant ce choix souffre de la comparaison avec les mesures exceptionnelles de confinement aujourd’hui envisagées sur l’ensemble du territoire. A cet égard, le Président de la République a justifié cette décision à la fois sur la base d’expertises scientifiques (au demeurant non publiées), mais en s’appuyant aussi sur la nécessité de préserver le débat démocratique. Pour autant, le maintien du premier tour des élections municipales dans de telles circonstances exceptionnelles ne met-il pas plus à mal la démocratie que son simple report ? Autrement dit, pourrait-il être considéré que le premier tour des élections municipales est d’une certaine manière faussé, et dès lors susceptible d’être contesté ? La réponse à cette interrogation suppose tout d’abord d’opérer un bref rappel opérationnel du cadre juridique relatif au contentieux des élections municipales, avant d’examiner son application à la situation très particulière du scrutin du 15 mars dernier. I – Cadre juridique du contentieux des élections municipales 1° – En ce qui concerne les délais de contestation S’agissant de la compétence juridictionnelle, l’article L248 du code électoral prévoit que « Tout électeur et tout éligible a le droit d’arguer de nullité les opérations électorales de la commune devant le tribunal administratif. », ces mêmes dispositions réservant également la possibilité d’un déféré préfectoral. Tout en réservant une grande majorité de ce contentieux au juge administratif, précisons que les juridictions judiciaires conservent une compétence, logiquement en matière pénale, ainsi qu’en matière d’inscription sur les listes électorales (voir, pour un exemple, la procédure de contestation d’une radiation des listes électorales prévue par l’article L20 du code électoral). Tout électeur et tout éligible peut donc contester les opérations électorales menées au sein de sa commune. Prenant l’appellation de « protestation électorale », cette démarche peut être consignée par procès-verbal, ou déposée directement au greffe du Tribunal administratif. En tout état de cause, elle doit être déposée au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit l’élection (art. R119 du Code électoral), ce qui nous amène, dans notre cas, au vendredi 20 mars 2020 à 18h00 si les résultats ont été proclamés le dimanche 15 mars avant minuit. Précisons immédiatement qu’en l’état, bon nombre de contestations devront attendre la tenue et la proclamation des résultats du second tour, aujourd’hui largement débattue, puisqu’est sans objet et par suite irrecevable une protestation dirigée contre les opération électorales du premier tour qui n’ont pas conduit à une proclamation d’élus, sauf si le requérant demande au juge de proclamer un candidat ou une liste qui remplirait les conditions pour être élus dès le premier tour (CE, 25 mai 1990, Elect. Mun. Aix-En-Provence : Lebon, p. 137). 2° – L’étendue et les modalités du contrôle du juge Hors cas des actes détachables de l’opération électorale, il s’agit d’un contentieux de pleine juridiction particulier, dit « plein contentieux objectif », présentant des spécificités en termes procéduraux et de recevabilité. Autrement dit, le juge administratif ainsi saisi ne dispose pas seulement d’un pouvoir d’annulation, mais également de pouvoirs plus étendus tels la régularisation, voire la réformation. Selon une formule jurisprudentielle désormais classique, le juge, en matière de contentieux électoral, apprécie si l’irrégularité en cause « a été de nature à affecter la sincérité du scrutin et, par suite, la validité des résultats proclamés » (CE, 24 septembre 2008, n° 317786). Par conséquent, il revient au juge d’apprécier la nature et la gravité de l’irrégularité invoquée. Ainsi, toute irrégularité n’entraîne pas nécessairement annulation de l’élection, notamment si le juge considère que cette irrégularité n’a pas modifié le résultat et conduit à méconnaître la volonté des électeurs. Autrement dit, l’irrégularité doit être suffisamment grave pour avoir, à elle seule, affecté la sincérité du scrutin. 3° Application au déroulement des opérations de vote Eu égard aux circonstances dans lesquelles ont eu lieu ces opérations électorales, nous nous reporterons plus précisément, et surtout, sur les irrégularités susceptibles d’affecter le déroulement des opérations de vote. D’une manière synthétique, rappelons les modalités d’organisation des opérations de vote doivent assurer le respect de deux libertés fondamentales : – L’égalité de suffrage – La liberté de suffrage S’agissant de la liberté de suffrage, il résulte de l’ensemble des dispositions relatives à l’organisation du vote que les électeurs doivent pouvoir se déterminer en tout connaissance de cause, à l’abris d’erreurs ou de confusions. Le respect des valeurs démocratiques implique donc que chaque électeur puisse exprimer son choix librement, sans être sujet à une quelconque influence, pression ou intimidation sur les lieux. A cet égard, le code électoral comporte des dispositions pénales réprimant les atteintes portées à la liberté du vote (art. L94 à L117 du code électoral), par exemple : le fait, à l’aide de fausses nouvelles, bruits calomnieux, ou autres manœuvres frauduleuses, de surprendre ou détourner des suffrages, ou de pousser un ou plusieurs électeurs à s’abstenir de voter (art. L97 du code électoral). la liberté de suffrage implique que l’électeur ne soit soumis à aucune influence quelconque le jour du scrutin (CE, 14 mars 1984, Elec. Mun. Schoelcher) ou ne subisse aucune pression (CE, 14 av. 1984, Elec. Mun. Houilles : Lebon p. 146). La libre expression du suffrage est considérée comme une liberté fondamentale dont l’atteinte grave et manifestement illégale peut justifier l’exercice d’un référé-liberté sur le fondement de l’article L. 521-2 du CJA (voir en ce sens : CE, 11 mars 2020, n° 439434). II – Réflexions relatives au premier tour des élections municipales de 2020 Sur la base des considérations précitées, et au regard de la libre expression du suffrage qui constitue une liberté fondamentale de premier plan en vertu des articles 3 et 4 de la Constitution du 4 octobre 1958, la régularité de ce premier tour interroge. En…

5G au CE : rejet du référé pour défaut d’urgence et un arrêt au fond pour l’été 2020

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Par une ordonnance du 5 mars 2020 (CE ord. 5 mars 2020, Associations PRIARTEM et autre, n° 438761), le juge du référé-suspension du Conseil d’Etat a rejeté pour défaut d’urgence la demande de suspension du dispositif de déploiement de la 5G en France. Les associations PRIARTEM et Agir pour l’environnement ont demandé au juge des référés du Conseil d’État de suspendre le décret fixant les prix de réserve et les redevances pour l’utilisation des bandes de fréquences nécessaires au déploiement de la 5G, et l’arrêté organisant la procédure d’appel d’offre, d’enchère puis de déploiement après octroi des fréquences aux opérateurs. Elles critiquent notamment l’absence d’évaluation environnementale préalable au déploiement de la 5G, et ses conséquences environnementales et sanitaires. Après avoir constaté que les premières autorisations d’utilisation de fréquences délivrées aux opérateurs mobiles ne pourraient donner lieu à des communications effectives utilisant le nouveau standard que sur des points limités et seulement à partir de l’été, et prenant en compte l’intervention d’une décision au fond avant l’été 2020, le juge des référés a en conséquence estimé que l’urgence qui justifie son intervention n’était pas constituée. Le passage à la 5G en France suit un processus en plusieurs étapes, lequel a débuté par le lancement d’une « feuille de route » par le Gouvernement et l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes en juillet 2018. Dans ce contexte, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes a proposé, le 21 novembre 2019, au ministre chargé des communications électroniques, les modalités et conditions d’attribution d’autorisations d’utilisation de fréquences dans la bande 3,4 – 3,8 GHz en France métropolitaine pour établir et exploiter un système mobile terrestre ouvert au public. Les modalités financières de ces attributions ont été fixées, d’une part, par l’arrêté du 30 décembre 2019 s’agissant de la fixation des prix de réserve et, d’autre part, par le décret du 31 décembre 2019 s’agissant de la fixation des redevances éligibles et des modalités de versements. Une consultation publique a été conduite du 28 novembre au 12 décembre 2019 visant à recueillir les contributions des acteurs intéressés par la procédure attribution de fréquences 5G. Aussi pour le juge des référés, « le décret dont la suspension est demandée n’a pour objet que de fixer des montants de redevance et des prix de réserve. La mise en œuvre de ces dispositions, qui ne peut intervenir qu’au terme de la procédure d’octroi des fréquences régies par l’arrêté également contesté, est par elle-même dépourvue de toute conséquence en matière environnementale ou de santé, seules invoquées par les associations requérantes pour établir l’urgence de la suspension demandée ». Le juge de l’urgence relève encore : «  à supposer que l’arrêté critiqué ait pour effet les conséquences alléguées en matière d’environnement, de santé et de consommation énergétique, ces conséquences ne pourront se manifester qu’après que l’attribution des fréquences qu’il régit aura commencé de recevoir exécution, c’est-à-dire, selon les informations recueillies lors de l’audience publique, au cours de l’été 2020, et dans la seule limite du déploiement initial des systèmes de 5ème génération, borné vraisemblablement à une aire urbaine. Cette situation est d’autant moins constitutive d’une urgence que la 2ème chambre de la section du contentieux du Conseil d’Etat est en mesure d’inscrire au rôle d’une formation de jugement les requêtes au fond introduites à l’encontre du décret et de l’arrêté, de manière à ce qu’elles fassent l’objet d’une décision avant l’été 2020 ». On l’aura compris, pour le juge des référés du Conseil d’Etat  la condition d’urgence n’est pas satisfaite. Reste que pour sa part l’Anses (Exposition de la population aux champs électromagnétiques liée au déploiement de la technologie de communication «5G» et effets sanitaires associés – Saisine n°2019-SA-0006) reconnaît que trois questions pour le moins essentielles demeurent en suspens : “Compte tenu du manque de données dans la bande autour de3,5GHz, peut-on extrapoler à cette bande les résultats des expertises précédentes sur les effets sanitaires des radiofréquences (8,3kHz-2,45GHz)? À partir des données de la littérature disponibles dans les fréquences entre 20 et 60GHz, peut-on identifier des effets sanitaires potentiels? Compte tenu des spécificités des signaux de la 5G, peut-on anticiper l’exposition des populations et son impacts sanitaire? »

Élections municipales : le risque juridique de propagande électorale

Par Lucas DERMENGHEM (Green Law Avocat) Les principes d’équité, de sincérité et de dignité du scrutin innervent le droit électoral français et ont vocation à garantir une désignation juste et transparente des représentants politiques. La liberté d’expression des candidats ou des tiers qui les soutiennent ne saurait justifier l’utilisation de procédés déloyaux aux fins de recueillir les suffrages des électeurs. Ainsi, le droit électoral français, issu du code électoral et interprété par le juge, réglemente la propagande électorale. La tenue des prochaines élections municipales les 15 et 22 mars 2020 est l’occasion de revenir sur ces règles. La propagande électorale fait l’objet d’un chapitre dédié au sein du Code électoral (Chapitre V, Titre I, Livre I). Si cette notion ne fait pas l’objet d’une définition légale, la propagande électorale peut être entendue comme désignant l’ensemble des moyens de communication mis en œuvre par les candidats à une élection ou par des tiers qui les soutiennent afin de recueillir les suffrages des électeurs. La propagande électorale participe donc de l’information des citoyens et emporte un impact direct sur les résultats de l’élection.  Afin d’éviter tout risque d’annulation du scrutin, les candidats doivent veiller à ce que les procédés de communication employés lors de la campagne électorale ne soient pas susceptibles de constituer un « abus de propagande ». Les procédés de communication électorale les plus usuels sont : la tenue de réunions électorales (I.), l’apposition d’affiches (II.) et la distribution de documents de campagne (III.). Il convient donc de présenter le régime juridique applicable à chacune de ces actions. Les réunions électorales La tenue de réunions électorales publiques est libre. Ces rencontres peuvent intervenir avant la campagne électorale, pendant son déroulement et jusqu’à la veille du scrutin (Cons. Const. 8 juin 1967, Haute-Savoie, 3e circ., n°67-371 AN). Les réunions ne peuvent avoir lieu sur la voie publique et doivent être encadrées par un bureau d’au minimum trois personnes, lequel est chargé du maintien de l’ordre dans le cadre de la réunion (art. 9 de la loi du 30 juin 1881 sur la liberté de réunion). Cependant, il résulte des dispositions du code électoral que les candidats ne peuvent organiser de réunion électorale le jour du scrutin (art. L.48-2, L.49 et R.26 du code électoral). Toutefois, il n’est pas toujours aisé d’opérer une distinction entre une réunion publique organisée par un candidat et une réunion électorale au sens du présent code. Le juge opérera un contrôle sur la qualification du caractère électoral d’une réunion publique au regard des circonstances A titre d’exemple, il a été jugé que le fait pour un candidat d’inviter sympathisants et électeurs dans une salle de réception afin d’attendre les résultats de l’élection, une heure avant la fermeture des bureaux de vote, ne revêt pas le caractère d’une réunion électorale (CE, 10 juin 2015, Elections municipales de Chilly-Mazarin, n°386062). L’apposition d’affiches En période électorale, les communes ont l’obligation de prévoir un nombre minimum d’emplacements d’affichage réservés aux candidats. Chaque liste et chaque candidat se voit attribuer une surface égale, sur laquelle seul le candidat ou la liste attributaire peut apposer une affiche. Tout affichage en dehors des emplacements réservés et panneaux d’affichage d’expression libre est interdit six mois avant la tenue du scrutin (art. L. 51 du code électoral). La conception et la forme des affiches est également réglementée par les articles R.27 et R.29 du code électoral : ainsi, il est interdit d’utiliser une combinaison du bleu, blanc et rouge, d’utiliser le papier blanc, etc. Mais les irrégularités de conception des affiches sont peu sanctionnées dès lors qu’elles n’impactent pas la sincérité du scrutin. En revanche, le caractère irrégulier du contenu des affiches fera l’objet de sanctions plus sévères. Ainsi, il est interdit pour un candidat de procéder à l’affichage d’un « élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n’aient pas la possibilité d’y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale » (art. L. 48-2 du code électoral), au risque de voir cette pratique qualifiée d’abus de propagande si cela est de nature à influencer les résultats du scrutin. La distribution de documents de campagne Des règles sont également prévues en matière de distribution de bulletins, circulaires et tracts. Les bulletins: Le bulletin de vote sert à l’expression du vote mais constitue également un moyen pour le candidat de mener sa communication électorale jusque dans l’isoloir. Ainsi, les articles L.66, L. 52-3, R. 30-1 et R.66-2 du code électoral définissent les conditions de forme applicables aux bulletins de vote : interdiction d’impression des bulletins sur papier couleur, prohibition des mentions manuscrites, etc. Notons cependant que les prescriptions de l’article R.66-2 ne s’appliquent qu’aux scrutins de liste des élections municipales des communes de plus de 1 000 habitants. Les circulaires: Une circulaire est un document imprimé adressé aux électeurs et par lequel le candidat présente son programme. L’article R.29 du code électoral encadre le format des circulaires, tandis que l’article R.27 dudit code interdit l’utilisation de la combinaison du bleu, du blanc et du rouge pour leur conception. Le format des circulaires est contrôlé par les commissions de la propagande, entités créées par arrêté préfectoral pour assurer le contrôle de conformité des circulaires et bulletins de vote dans les communes de 2500 habitants et plus. Cette commission se charge également de l’envoi des circulaires aux électeurs après avoir contrôlé leur conformité aux prescriptions réglementaires. Les tracts: Le principe est celui de la liberté de distribuer des tracts pendant la période électorale, sous réserve du respect des articles L.48-2 et L.49 du code électoral. Ainsi, il est interdit pour les candidats de : Distribuer des tracts la veille du scrutin ; Distribuer des tracts portant à la connaissance du public un nouvel élément de polémique électorale à un moment tel que leurs adversaires n’aient pas la possibilité d’y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale.