Le Conseil d’Etat suspend le zoom par drone des individus

Par Maître David DEHARBE (green Law Avocats) Chaque saut technologique voit l’Etat rarement résister à la tentation de détourner ces nouveaux moyens pour les mettre au service du contrôle social. De l’invention du fusil, de la poste, du moteur à explosion  au panoptique de Bentham, en passant par le téléphone ou le web, il ne faut jamais perdre de vue que le danger pour le citoyen n’est pas son congénère mais celui qui exerce le pouvoir et l’Etat le concentre de façon monopolistique. La période de crise sanitaire que nous traversons illustre avec l’application « stop covid » mais aussi avec la surveillance par drone le risque en question… Saisi de ce dernier sujet, le Conseil d’Etat vient justement d’endosser ses plus beaux habits de gardien des libertés publiques. Par une ordonnance en date du 18 mai 2020, le juge des référés du palais Royal  (CE, 18 mai 2020, n° 440442, 440445) ordonne à l’État de cesser immédiatement les mesures de surveillance par drone du respect à Paris des règles sanitaires applicables à la période de déconfinement. En dépit des limites inhérentes à la nature du contentieux en référé-liberté, cette décision rappelle un principe désormais plus que bicentenaire : peu importe le contexte, le respect des libertés individuelles doit demeurer le principe et leur atteinte l’exception. Partant, la Haute-Juridiction adresse une réminiscence bienvenue à l’État : nul n’est au-dessus du cadre légal, et le juge entend bien y veiller en dépit de l’exceptionnel. A l’origine ce cette affaire, une saisine du juge des référés du tribunal administratif de Paris par l’association « La Quadrature du Net » et la Ligue des droits de l’homme sur le fondement de l’article L. 521-2 du CJA, tendant à ce qu’il soit enjoint au Préfet de police de cesser la capture, l’enregistrement, la transmission ou l’exploitation d’images par drone aux fins de faire respecter les mesures de confinement en vigueur à Paris pendant la période d’état d’urgence sanitaire, ainsi que de détruire toute image déjà capturée par ce dispositif. Pour cause, depuis le 18 mars 2020, un drone d’une flotte de quinze appareils que comptait la préfecture de police avait été utilisé quotidiennement pour réaliser une surveillance du respect des mesures de confinement. La préfecture continuait d’ailleurs de recourir à cette surveillance dans le cadre du plan de déconfinement mis en œuvre depuis le 11 mai dernier. Le juge de premier ressort a rejeté ces demandes par une ordonnance du 5 mai 2020 (n° 2006861), au motif qu’une des trois conditions subordonnant le succès d’un référé-liberté n’était pas remplie, à savoir qu’aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées n’était à relever. Sur le fondement des dispositions de l’article L. 523-1 du CJA, les requérants ont alors interjeté appel devant le Conseil d’État de cette décision. Dans son ordonnance du 18 mai 2020, le juge des référés procède méthodiquement et consciencieusement, semblant dépasser à bien des égards son rôle communément admis de juge de l’urgence et de l’évidence. Tout d’abord, le Conseil d’État dresse un état des lieux de l’ensemble des mesures attentatoires aux libertés prises dans le cadre de la lutte contre le COVID-19 : fermeture des ERP, interdiction des rassemblements, fermeture des établissements scolaires, interdictions de déplacement, etc. La Haute-Juridiction procède ensuite à un rappel de l’office du juge en matière de référé-liberté. A cet égard, le point 4 de la décision se veut très solennel et prend des allures de véritable rappel à l’ordre : « Dans l’actuelle période d’état d’urgence sanitaire, il appartient aux différentes autorités compétentes de prendre, en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l’épidémie. Ces mesures, qui peuvent limiter l’exercice des droits et libertés fondamentaux doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique qu’elles poursuivent. » Cette énonciation appelle trois remarques : 1° L’ordonnance commentée réaffirme la dialectique exposée ci-avant : le respect des libertés constitue le principe, et ses atteintes demeurent l’exception et seront contrôlées peu importe le caractère exceptionnel ou non des circonstances. Autrement dit, l’État de Droit survit à l’exceptionnel. 2° L’étendue du contrôle annoncé correspond à l’office classique du juge en matière de mesures de police attentatoires aux libertés, à savoir un contrôle de la proportionnalité des restrictions par rapport à l’objectif poursuivi, en l’espèce la sauvegarde de la santé publique. 3° Initié par le célèbre arrêt Benjamin (CE, 19 mai 1933, Benjamin, n° 17413 ; 17520), il s’agit d’un triple contrôle de proportionnalité, portant sur les caractères nécessaire, adapté, et proportionné de la mesure attentatoire aux libertés. Ensuite, le Conseil d’État procède à l’examen des trois conditions auxquelles l’intervention du juge est assujettie en matière de référé-liberté : (1) Une liberté fondamentale : En l’espèce, la décision procède à une forme d’ordonnancement des libertés invoquées, et énonce que « le droit au respect de la vie privée qui comprend le droit à la protection des données personnelles et la liberté d’aller et venir constituent des libertés fondamentales » au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du CJA. Notons que la qualification du droit au respect de la vie privée comme liberté fondamentale n’est pas nouvelle (CE, 25 juillet 2003, Ministre de la jeunesse, n° 258677), tout comme celle de la liberté d’aller et venir (CE, 26 Août 2016, Ligue des droits de l’homme et autres, n° 402742). (2) Une urgence : Parfois présumée, mais le plus souvent appréciée au stade de la condition relative à l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, le Conseil d’État rejoint ce mode d’analyse, considérant qu’il résulte de l’espèce une situation d’urgence à la fois du fait du nombre de personnes susceptibles de faire l’objet de ces mesures de surveillance, mais également de leur effet, leur fréquence, ainsi que de leur caractère répété. (3) Une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale : C’est précisément à ce stade qu’est mis en œuvre le contrôle de proportionnalité annoncé, sachant que, comme le rappelle la décision commentée, cette appréciation tient compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente…

Compteur Linky : quel propriétaire public ?

Par Maître Lucas DERMENGHEM, Green Law Avocats Par un arrêt rendu le 28 juin 2019 qui sera mentionné au Tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat a mis fin à la controverse juridique entourant la propriété des compteurs « Linky », née avec l’opposition de plusieurs communes à l’implantation de ces dispositifs dits « communicants ». Le déploiement à grande échelle de ces compteurs par la société ENEDIS et ses sous-traitants se heurte depuis plusieurs années à l’opposition d’un certain nombre de citoyens et collectivités territoriales. Au regard des nombreux griefs invoqués à l’encontre de ces installations (émission de champs électromagnétiques nocifs pour la santé humaine, utilisation des données personnelles, risque incendie, surfacturation…), cette bataille juridique se déroule tant devant les tribunaux de l’ordre judiciaire que devant le prétoire du juge administratif. Devant le juge judiciaire, de nombreuses actions ont déjà été intentées en référé, aux fins d’obtenir l’interdiction préalable de pose des compteurs ou leur démantèlement lorsque ceux-ci ont déjà été installés. Ces différentes tentatives se sont jusqu’ici majoritairement conclues par des échecs, à l’exception de certaines ordonnances de référé interdisant la pose ou ordonnant le démantèlement des compteurs au domicile de personnes diagnostiquées électro-hypersensibles (EHS). On notera sur ce dernier point les ordonnances rendues par le juge des référé des Tribunaux de Grande Instance (TGI) de Grenoble (à deux reprises : TGI Grenoble, Ord., 17 novembre 2016 ; TGI Grenoble, Ord., 20 septembre 2017), de Toulouse (TGI Toulouse, Ord., 12 mars 2019, n°19/00026) ou encore très récemment de Foix (TGI Foix, Ord., 25 juin 2019). Le juge des référés de Bordeaux s’est montré quant à lui plus frileux en recommandant l’installation d’un dispositif de filtre autour de compteurs afin de protéger les personnes EHS des ondes émises (TGI Bordeaux, Ord., 23 avril 2019). Quant aux litiges portés devant les tribunaux administratifs, ils concernent essentiellement des délibérations de conseils municipaux ou des arrêtés municipaux destinés à encadrer – et le plus souvent interdire – le déploiement des compteurs « Linky » sur le territoire communal. L’exemple le plus médiatisé est sans conteste celui de la commune de Bovel (Ille-et-Vilaine), objet de l’arrêt du Conseil d’Etat ici commenté. Par deux délibérations en date des 17 mars et 23 juin 2017, la commune de Bovel avait d’abord refusé l’élimination des compteurs électriques existants et leur remplacement par des dispositifs « Linky », et ensuite maintenu cette position en rejetant le recours gracieux intenté par le Préfet d’Ille-et-Vilaine. Le préfet a alors contesté ces deux délibérations devant le Tribunal administratif de Rennes, lequel a procédé à leur annulation par jugement du 7 décembre 2017 (TA Rennes, 7 décembre 2017, n° 1502392). En appel, la Cour administrative d’appel de Nantes a confirmé ce jugement (CAA Nantes, 5 octobre 2018, n°18NT00454). Elle a considéré que le conseil municipal de la commune n’avait tout simplement pas la compétence pour s’opposer au déploiement des compteurs « Linky » sur le territoire communal dans la mesure où ces compteurs ne relevaient pas de sa propriété, mais de celle syndicat mixte départemental d’énergie d’Ille-et-Vilaine, à qui la commune avait transféré sa compétence d’organisation du service public de distribution d’électricité. En effet, selon la Cour, il résulte des dispositions combinées des articles L. 322-4 du code de l’énergie et L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales que la propriété des ouvrages publics de distribution d’électricité, dont font partie les compteurs communicants « Linky », est attachée à la qualité d’autorité organisatrice du réseau public de distribution d’électricité, qualité dont était revêtu en l’espèce le syndicat mixte départemental. Saisi d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat valide entièrement l’interprétation retenue par la Cour administrative d’appel. Cette décision aura incontestablement des impacts notables sur la lutte menée à l’encontre des compteurs « Linky ». En effet, en premier lieu, de nombreuses communes ont transféré leurs compétences en matière de gestion du réseau public de distribution d’électricité à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) ou à un syndicat mixte. Avec cette décision qui tranche définitivement la question du propriétaire des compteurs, ces communes se voient dépossédées d’un motif juridique permettant d’encadrer leur déploiement. D’autant que le contrôle de la pose des compteurs ne peut efficacement avoir lieu par l’exercice, par le Maire, de ses pouvoirs de police générale afin d’assurer la sécurité et la salubrité publiques qui seraient susceptibles d’être menacées par l’installation de ces dispositifs sur le territoire communal. En effet, les juridictions administratives saisies considèrent généralement qu’aucun trouble à l’ordre public n’est établi (voir pour un exemple CAA Nantes, 5 octobre 2018, Commune de Cast, n°17NT01495). En second lieu, avec cet arrêt, le propriétaire des compteurs « Linky » est désormais clairement identifié, et l’on peut supposer que cela conduise à déplacer une partie du contentieux jusqu’ici majoritairement dirigé vers le concessionnaire ENEDIS vers les personnes publiques détenant la propriété des compteurs, afin de solliciter de leur part l’interdiction préalable des compteurs, l’injonction de pose avec prescriptions (par exemple un filtre) voire le démantèlement des dispositifs déjà implantés. La décision de l’autorité concédante pouvant, ensuite, faire l’objet d’un recours contentieux devant le juge administratif.

Encadrement par décret des aires de grand passage pour les gens du voyage

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) Les articles 1 et 2 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 modifiée, prévoient, dans un premier temps, l’élaboration et l’approbation, conjointement par le préfet et le président du conseil général, d’un schéma d’accueil des gens du voyage, dans chaque département, et l’obligation pour les communes de plus de 5 000 habitants de réaliser trois types de terrains d’accueil : 1° Des aires permanentes d’accueil, ainsi que leur capacité ; 2° Des terrains familiaux locatifs aménagés et implantés dans les conditions prévues à l’article L. 444-1 du code de l’urbanisme et destinés à l’installation prolongée de résidences mobiles, le cas échéant dans le cadre des mesures définies par le plan départemental d’action pour le logement et l’hébergement des personnes défavorisées, ainsi que le nombre et la capacité des terrains ; 3° Des aires de grand passage, destinées à l’accueil des gens du voyage se déplaçant collectivement à l’occasion des rassemblements traditionnels ou occasionnels, ainsi que la capacité et les périodes d’utilisation de ces aires. Les communes peuvent également transférer cette compétence à un établissement public de coopération intercommunale chargé de mettre en œuvre les dispositions du schéma départemental ou contribuer financièrement à l’aménagement et à l’entretien de ces aires d’accueil dans le cadre de conventions intercommunales. Les communes et les établissements publics de coopération intercommunale intéressés assurent la gestion de ces aires ou la confient par convention à une personne publique ou privée. La non-réalisation d’aires de grands passages par les communes et les EPCI implique des sanctions. Le préfet de département pouvant aller jusqu’à « se substituer à l’ensemble des organes de la commune ou de l’EPCI pour faire procéder d’office à l’exécution des mesures nécessaires (…) et procéder à la passation de marchés publics, selon les règles de procédures applicables à l’État. » La réalisation ou la réhabilitation des aires d’accueil conditionne la mise en œuvre des pouvoirs de police du maire, précisés par la loi du 7 novembre 2018 relative à l’accueil des gens du voyage et à la lutte contre les installations illicites. Aux termes de la loi de 2018, tout maire de commune dotée d’une aire ou d’un terrain d’accueil des gens du voyage peut, sous certaines conditions, interdire le stationnement de résidences mobiles sur le reste du territoire communal et donc demander au préfet de procéder à l’évacuation d’office des campements illicites. Et en cas de stationnement d’un groupe de plus de 150 caravanes, les représentants de ce groupe sont tenus d’informer les représentants de l’État afin que soit organisé au mieux l’accueil, les maires pouvant également demander aux préfets d’assurer le pouvoir de police dans ce type de situation. C’est dans ce contexte qu’un décret n° 2019-171 du 5 mars 2019 (JORF n°0056 du 7 mars 2019) réglemente depuis le 8 mars 2019 les aires de grand passage (AGP), occupées chaque été pendant les migrations de près de 500 000 personnes. Précisons que jusqu’ici ces aires ne faisaient l’objet que d’un encadrement para-réglementaire (Circulaire n° NOR IOCA1007063C du 13 avril 2010 : préparation des stationnements estivaux des grands groupes de caravanes de gens du voyage – cf. également les instructions annuelles du Ministre de l’intérieur : instruction du 15 mai 2018). Ce décret a une grande importance pratique. Non seulement il définit les caractéristiques de l’aire de grand passage alors que la réalisation des AGP  sur le territoire accuse un retard certain (170 aires auraient été créées sur les 348 aires prescrites par les schémas départementaux) (1) ; mais ce décret fixe encore le cadre juridique de son occupation privative (2). Les caractéristiques techniques des aires de grands passages L’article 1er du décret du 5 mars 2018 prévoit que le terrain de l’aire de grand passage dispose d’un sol stabilisé adapté à la saison d’utilisation définie par le schéma départemental, restant porteur et carrossable en cas d’intempérie, dont la pente permet d’assurer le stationnement sûr des caravanes. Ainsi contrairement à sa première version initiale, le décret ne fixe plus à 2 % le pourcentage de la pente maximale que doit comporter un AGP. La surface d’une aire de grand passage est d’au moins 4 hectares. Le préfet, après avis du président du conseil départemental, peut y déroger pour tenir compte des disponibilités foncières, des spécificités topographiques ou des besoins particuliers définis par le schéma départemental. Sur les territoires du département du Rhône et de la métropole de Lyon, la décision de dérogation est prise par le préfet, après avis du président du conseil départemental ou du président de la métropole de Lyon. En Corse, cette décision est prise conjointement par le préfet et le président du conseil exécutif. Par ailleurs aux termes de l’article 2 du décret, L’aire de grand passage comprend au moins : 1° Un accès routier permettant une circulation appropriée ainsi que l’intervention des secours et une desserte interne ; 2° A l’entrée de l’aire, une installation accessible d’alimentation en eau potable satisfaisant aux normes techniques relatives aux bouches à incendie fixées par le référentiel national de la défense extérieure contre l’incendie ; 3° A l’entrée de l’aire, une installation d’alimentation électrique sécurisée comportant un tableau de 250 kVA triphasé. En aval du point de livraison, la répartition d’électricité relève de la responsabilité du signataire de la convention d’occupation ; 4° A l’entrée de l’aire, un éclairage public ; 5° Un dispositif de recueil des eaux usées ; 6° Un système permettant la récupération des toilettes individuelles qui peut être complété par des cabines sanitaires mobiles autonomes non raccordées à un réseau d’assainissement ; 7° L’installation, sur l’aire ou à sa proximité immédiate, de bennes pour les ordures ménagères dont le ramassage est assuré au moins une fois par semaine pendant la période d’ouverture ou d’occupation; 8° Un accès au service de collecte des encombrants et à la déchetterie dans les conditions prévues pour ses habitants par la collectivité ou l’établissement public de coopération intercommunale. Il convient de remarquer que les aires de grands passages existantes « doivent être rendues conformes » à ces prescriptions…

Evaluation environnementale : derrière la « Montagne d’Or », la notion de « projet » en question au Tribunal administratif de Guyane

Par Maître Lucas DERMENGHEM, Avocat au Barreau de Lille, Green Law Avocats   Le Tribunal administratif a rendu le 11 février 2019 une décision remarquée (n°1800145 et 1800149) en lien avec le projet décrié d’exploitation aurifère en Guyane, dit de la « Montagne d’Or ». Saisi par les associations France Nature Environnement et Maiouri Nature Guyane, le Tribunal a annulé l’arrêté du 13 décembre 2017 par lequel le préfet de la Guyane avait autorisé la société SAS Compagnie Montagne d’Or à ouvrir des travaux d’exploitation d’or alluvionnaire dans la limite de la concession Paul Isnard située sur le territoire de la commune de Saint-Laurent du Maroni. Au-delà de l’écho médiatique suscité par ce jugement au regard des vives polémiques entourant la réalisation de la mine d’or à ciel ouvert porté par la société Compagnie Montagne d’Or, la décision retient notre intérêt en ce qu’elle se prononce sur la notion de « projet », devenue depuis quelques années la pierre angulaire du droit de l’évaluation environnementale. Analyse. ****************************** Pour mémoire, le régime juridique de l’évaluation environnementale a fait récemment l’objet de réformes majeures dont la dernière en date résulte de l’ordonnance n°2016-1058 du 3 août 2016  et son décret d’application n°2016-1110 du 11 août 2016. Cette réforme a eu pour objet de transposer en droit national la directive 2011/92/UE concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement telle que modifiée par la directive 2014/52/UE. Or, l’un des apports majeurs de cette transposition a été de privilégier la notion de « projet » en lieu et place des termes de « procédure » ou de « programme de travaux ». Ce changement sémantique avait pour objectif d’adapter le droit de l’évaluation environnementale à la réalité concrète des projets, ce que l’ancienne terminologie échouait à faire dans certains cas de figure. Ainsi, une procédure (exemple : une zone d’aménagement concerté (ZAC), un permis de construire, etc.), n’est pas en soi susceptible d’avoir un impact notable sur l’environnement : c’est en réalité le projet, indépendamment de la procédure dont il relève, mais en fonction de sa nature, de sa dimension, du lieu dans lequel il sera développé, qui est susceptible d’avoir un tel impact sur l’environnement. Reprenant stricto sensu les termes de la directive, le législateur a défini le projet comme la « réalisation de travaux de construction, d’installations ou d’ouvrages, ou d’autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, y compris celles destinées à l’exploitation des ressources du sol » (article L. 122-1 du code de l’environnement). Le législateur a également entendu incorporer dans le droit national l’approche extensive de la notion de projet développée notamment par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui s’oppose au fractionnement des projets. Dans un arrêt de 1999, la Cour avait ainsi précisé que : « L’objectif de la réglementation ne saurait en effet être détourné par un fractionnement des projets et […] l’absence de prise en considération de leur effet cumulatif ne doit pas avoir pour résultat pratique de les soustraire dans leur totalité à l’obligation d’évaluation alors que, pris ensemble, ils sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement […] » (CJCE, 21 septembre 1999, Commission c/ Irlande (C-392/96), point 76). C’est afin d’adapter le droit national à cette exigence que l’article L. 122-1 du code de l’environnement comporte la mention suivante : « Lorsqu’un projet est constitué de plusieurs travaux, installations, ouvrages ou autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, il doit être appréhendé dans son ensemble, y compris en cas de fractionnement dans le temps et dans l’espace et en cas de multiplicité de maîtres d’ouvrage, afin que ses incidences sur l’environnement soient évaluées dans leur globalité ». Le projet et l’ensemble de ses composantes doivent ainsi être évalués globalement au sein d’une même étude d’impact. Dans l’affaire commentée, le Tribunal administratif de Guyane a considéré que le projet autorisé par l’arrêté litigieux constituait en réalité une composante du projet industriel d’extraction minière du secteur Montagne d’Or, en adoptant le raisonnement suivant : « […] compte-tenu du lieu d’exploitation d’or alluvionnaire, de l’existence d’un programme industriel d’exploitation minière dans le même secteur, également porté par la SAS Compagnie Montagne d’Or, de la proximité géographique immédiate de ces deux programmes ainsi que de l’identité de la ressource recherchée, l’exploitation d’or alluvionnaire au lieu-dit Boeuf Mort et le programme industriel d’exploitation minière du secteur Montagne d’Or, alors même que celui-ci n’est qu’envisagé à la date de l’arrêté en litige et que les deux programmes font appel à des modes d’exploitation différents, alluvionnaire pour l’un et par extraction pour l’autre, constituent des interventions dans le même milieu naturel, indépendamment de leur fractionnement dans le temps et dans l’espace. Ainsi, ils doivent être regardés comme constituant un seul et même « projet », au sens du III de l’article L. 122-1 du code de l’environnement ». La conséquence de cette interprétation du Tribunal est que l’arrêté litigieux encourt l’annulation en ce que son étude d’impact aurait dû prendre en compte le projet d’extraction minière dit de la « Montagne d’Or » afin de permettre à l’autorité environnementale et au préfet de disposer d’une vue précise et cohérente des enjeux et effets du projet, pris dans son ensemble : « Dès lors, l’étude d’impact réalisée dans le cadre de la demande d’autorisation d’ouverture de travaux miniers dans la concession Paul Isnard en vue de l’exploitation d’or alluvionnaire se devait, en application des dispositions du III de l’article L. 122-1 du code de l’environnement rapportées au point 3, d’appréhender de manière globale les interventions humaines dans le milieu naturel ou le paysage. Faute de prise en compte du projet industriel d’exploitation minière par l’étude d’impact, celle-ci a présenté un caractère partiel qui n’a pas permis à l’autorité environnementale puis au préfet de la Guyane de disposer d’une vue précise et cohérente des enjeux et effets du projet dans son ensemble. Par suite, l’arrêté en cause, pris à l’issue d’une procédure entachée d’illégalité, doit, pour ce premier motif, lequel présente un caractère substantiel, être annulé ». Le juge administratif guyanais a retenu les critères suivants pour identifier l’existence d’un seul…

Une autorisation loi sur l’eau doit être compatible avec le SDAGE, après une analyse globale (et non pas à l’égard d’une seule orientation selon le Conseil d’Etat)

Par Me Jérémy Taupin, Green Law Avocats Par une décision n°408175 en date du 21 novembre 2018, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de préciser sa jurisprudence relative à la compatibilité des autorisations délivrées au titre de la loi sur l’eau avec les orientations et objectifs d’un schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE). En substance: l’autorisation IOTA doit être compatible avec le SDAGE apprécié dans son ensemble, et non à l’égard d’une seule de ses orientations. Cette décision intéressera l’ensemble des maîtres d’ouvrage dans le domaine de l’aménagement et de la construction, de l’irrigation, de l’hydroélectricité, ou de la protection contre les risques naturels. En l’espèce, la Haute Juridiction était saisie d’un pourvoi contre l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon (req. n° 15LY03104, 15LY03144, décision du 16 décembre 2016) qui avait confirmé l’annulation par le Tribunal administratif de Grenoble de l’autorisation délivrée au titre des dispositions des articles L. 214-1 et suivants du code de l’environnement à la société Roybon cottages. Cette société n’est pas étrangère aux juristes en droit environnement, puisque le projet qu’elle porte, à savoir le Centrer Parc de Roybon, a donné lieu à de nombreux contentieux ces dernières années. L’autorisation d’espèce était donc une autorisation loi sur l’eau, portant notamment sur les aspects relatifs à la maîtrise foncière des mesures compensatoires à la destruction des zones humides. Plusieurs requérants en avaient demandé l’annulation au juge administratif, qui y avait fait droit au motif d’une incompatibilité avec le SDAGE Rhône-Méditerranée du fait de l’insuffisance de ces mesures compensatoires. Le Conseil d’Etat vient ici annuler l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon, estimant que celle-ci a commis une erreur de droit. En effet, et en premier lieu, le Conseil d’Etat rappelle très clairement qu’il résulte des dispositions de l’article L. 212-1 du code de l’environnement, dans sa rédaction applicable au litige, que les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux doivent se borner à fixer des orientations et des objectifs, ces derniers pouvant être, en partie, exprimés sous forme quantitative. Le Conseil estime ensuite que les autorisations délivrées au titre de la législation de l’eau sont soumises à une simple obligation de compatibilité avec ces orientations et objectifs. Or, « pour apprécier cette compatibilité, il appartient au juge administratif de rechercher, dans le cadre d’une analyse globale le conduisant à se placer à l’échelle de l’ensemble du territoire couvert, si l’autorisation ne contrarie pas les objectifs qu’impose le schéma, compte tenu des orientations adoptées et de leur degré de précision, sans rechercher l’adéquation de l’autorisation au regard chaque disposition ou objectif particulier. » Il s’agit ici d’un considérant très intéressant pour l’appréciation du contrôle du rapport de compatibilité opéré par le juge, qui n’avait à notre connaissance jamais été énoncé en ce qui concerne ce rapport précis (autorisation loi sur l’eau à l’égard d’un SDAGE).  Rappelons que Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion d’analyser ce rapport de compatibilité dans d’autres cas. Citons par exemple le rapport autorisation de carrière / Schéma départemental des carrières (CE, 10 janvier 2011, Association oiseaux nature, req. n°317076), ou encore le rapport POS – Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme (CE, 25 mars 2001, req. N° 205629). En second lieu, le Conseil d’Etat entend « globaliser le contrôle » à l’égard de l’ensemble des orientations du SDAGE. En effet, il considère qu’il « ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que, pour juger que le projet litigieux n’est pas compatible avec le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux 2016-2021 du bassin Rhône-Méditerranée, la cour s’est bornée à le confronter à une seule disposition de ce schéma, l’article 6B-04 relatif à une compensation minimale à hauteur de 100 % de la surface des zones humides détruites par le projet. Ce faisant, la cour n’a pas confronté l’autorisation litigieuse à l’ensemble des orientations et objectifs fixés par le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux 2016-2021 du bassin Rhône-Méditerranée et a, ainsi, omis de procéder à l’analyse globale exigée par le contrôle de compatibilité défini au point précédent. Par suite, elle a commis une erreur de droit. » Ainsi, si le respect du rapport de compatibilité s’impose à toutes les dispositions du SDAGE, le juge ne peut, lors de son contrôle, isoler telle ou telle mesure du SDAGE tout en en laissant d’autres de côté dans son examen. Il doit en effet apprécier la compatibilité de l’autorisation loi sur l’eau au regard d’une analyse globale de tous les objectifs dudit SDAGE, mais ce sans rechercher l’adéquation de l’autorisation au regard chaque disposition ou objectif particulier. Il s’agit d’un exercice complexe qui ne manquera pas d’être mis à l’épreuve par les requérants au sein de leurs écritures à l’encontre de telles autorisations. Cette décision s’inscrit dans un contexte jurisprudentiel cohérent : il est à rapprocher d’une autre récente décision du Conseil d’Etat, ayant trait aux modalités du contrôle exercé par le juge sur l’obligation de comptabilité d’un PLU à un SCOT (CE, 18 décembre 2017, Le Regroupement des organismes de sauvegarde de l’Oise et autre, req. n°395216, précédemment commenté sur le blog), qui énonçait également cette nécessité d’ « analyse globale ».