Vers une politique pénale environnementale

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Le 22 novembre 2020, le garde des Sceaux, Eric Dupont Moretti et la ministre de la transition écologique, Barbara Pompili, ont annoncé la création de deux délits : le délit général de pollution et le délit de mise en danger de l’environnement. Ainsi les ministres de la Transition écologique et de la Justice préfèrent-ils à un crime d’écocide – comme l’avait prôné la convention citoyenne pour le climat – deux délits en la matière. Le délit d’écocide (selon l’expression désormais consacrée) permettra de sanctionner les atteintes effectives et graves à l’environnement. Les peines encourues, modulées en fonction de l’intentionnalité de l’auteur, iront de trois à dix ans d’emprisonnement selon qu’il s’agit d’une infraction d’imprudence ou d’une infraction intentionnelle. Les amendes, quant à elles, seront pour le moins dissuasives afin que le contrevenant soit assuré de ne pas pouvoir tirer bénéficier de son délit : de 375 000 € à 4,5 millions d’euros. Parallèlement, un autre délit devrait être créé : le délit de mise en danger de l’environnement. Ceci afin de sanctionner les pollutions qui, bien que non réalisées, seraient rendues possibles du fait de la violation délibérée d’une obligation. La peine encourue serait alors d’un an de prison et de 100 000 euros d’amende. Enfin, pour assurer la poursuite de ces nouveaux délits, seront mis en place, dans le ressort de chaque cour d’appel, des juridictions spécialisées de l’environnement. On le voit les bases d’une politique pénale sont ainsi posées avec des incriminations générales et des juges pour les sanctionner… Mais attention à la démagogie ambiante du tout répressif et à la création de monstres juridiques dont on ne perçoit pas bien les effets… le maquis des polices environnementales recèle une réglementation foisonnante de plus en plus complexe et incohérente, là où la sanction pénale exige un comportement délictueux sinon évident du moins facile à prouver. Pour avoir expérimenté pendant une vingtaine d’années l’arbitraire des sanctions administratives en matière d’installations classées (dont le modèle a servi finalement de matrice à tout le code de l’environnement) et bataillé contre elle sans relâche devant le juge administratif, nous sommes il est vrai quelque peu effrayés par la pénalisation qui se prépare… Se pose inévitablement la question des moyens. Il ne suffira de doter la magistrature de juges verts, il leur faudra encore et surtout maîtriser le droit public de l’environnement et accepter de penser leur office pour l’articuler avec les sanctions administratives, qui constituent aujourd’hui la vraie pierre angulaire du droit environnemental répressif. Et surtout, il faudra qu’une expertise judiciaire environnementale digne de ce nom vienne épauler nos juges si on ne veut pas que la machine pénale sombre dans l’arbitraire scientifique. Ne manque plus que la volonté de poursuivre. Mais là encore il faudra raison gardée…. A trop poursuivre ceux qui font et entreprennent mais prennent le risque de polluer, on s’expose aux sirènes d’un retour à la nature vierge … Il suffit d’avoir été auditionné par la très jeune police de l’OFB pour comprendre combien par exemple cette Inspection de l’environnement instruit pour imposer de nouvelles pratiques, quitte à nier l’activité économique. Nous sommes à l’aube de la grande simplification du droit de l’environnement qui exige que l’homme soit symboliquement puni. La nouvelle politique pénale devra trouver sur sa route des avocats qui ne peuvent pas se contenter de l’applaudir des deux mains en prenant le risque de se déconnecter de toute réalité sociale. Il nous appartiendra aussi de raisonner le verdissement des poursuites, pour rappeler les liens ontologiques existants entre l’homme et la nature. L’environnement est une notion complexe, objet de luttes de définition … la politique pénale veut y contribuer ; certes, mais accordons une vraie défense pénale à ceux qui vont bientôt être sommés d’expier leurs emprunte écologique.

Sanction administrative : la suspension suspendue

Par Maître David DEHARBE (Green Law avocats) Le contentieux des sanctions administratives est difficile, particulièrement en référé. Il a permis devant le Tribunal administratif de Toulouse un succès qui mérite d’être relevé. Par une ordonnance du 2 octobre 2020 (consultable ici),  le juge du référé-liberté du Tribunal administratif de Toulouse suspend un arrêté de la préfète du Tarn fermant un parc animalier en urgence, sans mise en demeure préalable. En l’espèce, la préfète du Tarn, par un arrêté du 22 octobre 2020, avait ordonné la fermeture d’un parc zoologique ainsi que le transfert des animaux de la faune sauvage captive, ceci dans un délai d’un mois.  Pour prononcer la fermeture et le transfert, l’autorité de police s’est fondée sur un rapport d’inspection réalisé le 19 octobre 2020 ayant relevé plusieurs non-conformités : D’une part, au titre de la santé et de la protection animale, notamment en matière de conditions de détention, d’alimentation des animaux de la faune sauvage captive et domestiques D’autre part, au titre de l’entretien général du parc, des enclos et autres lieux de détention des animaux Enfin, au titre de la sécurité physique et sanitaire des visiteurs. Le 26 octobre 2020, la SARL Parc zoologique des trois vallées et la SARL Zoo-parc des félins des trois vallées saisissent le juge des référé afin de suspendre cet arrêté.  Le référé liberté permet, en vertu de l’article L521-1 du Code de justice administrative de demander au juge de prendre en urgence une mesure nécessaire à la sauvegarde des libertés fondamentales si l’administration y porte atteinte de manière grave et illégale. Afin que le recours référé liberté soit accepté il faut donc réunir trois critères : Justifier de l’urgence ; Montrer qu’une liberté fondamentale est en cause ; Montrer que l’atteinte portée à cette liberté est grave et manifestement illégale. Les requérants justifaient la condition d’urgence nécessaire à la saisine du juge des référés par le fait que cet arrêté préjudicie de manière extrêmement grave et immédiate à leurs intérêts, notamment car la fermeture du parc entraine des conséquences économiques difficilement réparables pour les sociétés qui exploitent et détiennent cet établissement.  La requête est instruite de façon accélérée, le juge des référés, statuant comme juge unique, doit se prononcer dans les 48h du dépôt de la requête. En l’espèce le juge des référés rappelle qu’il « est de jurisprudence constante que la condition d’urgence est satisfaite quand un acte administratif a pour conséquence d’entraîner des conséquences économiques difficilement réparables ». En effet, le Conseil d’État considère que la condition d’urgence posée à l’article L. 521-2 du Code de justice administrative doit être regardée comme remplie lorsque l’équilibre financier d’une entreprise est menacé à brève échéance (CE 28 oct. 2011, SARL PCRL Exploitation, req. n° 353553). Et pour le juge toulousain « Dès lors, l’arrêté, dont la suspension est demandée, préjudicie de manière grave et immédiate aux intérêts des sociétés requérantes en ce qu’il porte atteinte à la liberté d’entreprendre et à la liberté du commerce et de l’industrie. Par suite, la condition d’urgence doit être regardée comme se trouvant satisfaite ». Mais on le sait, le référé liberté, encore dit référé-sauvegarde, se singularise encore et surtout par son exigence d’une l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale : La notion de liberté fondamentale n’est pas définie par le Code de justice administrative. Si elle est employée aussi bien par le Conseil constitutionnel, par la Cour européenne des droits de l’homme ainsi que par les juridictions judiciaires, le Conseil d’État n’en adopte pas une définition précise mais, limite la portée de sa jurisprudence casuistique en précisant qu’une liberté est ou non fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative. Le droit de propriété est garanti par l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que par l’article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.  Le Conseil d’État considère logiquement que le droit de propriété a le caractère d’une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative (CE, ord., 31 mai 2001, Commune d’Hyères-les-Palmiers, req. no 234226). Le Conseil d’État a également reconnu à plusieurs reprises le caractère de libertés fondamentales à la liberté d’entreprendre et la liberté du commerce et de l’industrie qui en est une composante (CE, ord., 12 nov. 2001, Commune de Montreuil-Bellay, req. n° 239840 ; CE, ord., 25 avr. 2002, Sté Saria Industries, req. n° 245414 ; CE 26 mai 2006, Sté du Yatcht Club International de Marina Baie-des-Anges, req. n° 293501). Au vue de cette jurisprudence il est donc logique que le juge des référés du TA de Toulouse considère que le droit de propriété ainsi que de la liberté d’entreprendre et de la liberté du commerce et de l’industrie sont des libertés fondamentales au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative. Des restrictions peuvent néanmoins s’opérer sur ces libertés fondamentales lorsque l’intérêt général le justifie. Le juge précise : « Il en ressort que le respect de la liberté du commerce et de l’industrie impose que les personnes publiques n’apportent pas aux activités de production, de distribution ou de services exercées par des tiers des restrictions qui ne seraient pas justifiées par l’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi. ». En l’espèce, l’article 206-2 du Code rural et de la pêche maritime était d’ailleurs invoqué par la préfète : « I. – Lorsqu’il est constaté un manquement aux dispositions suivantes (…) et sauf urgence, l’autorité administrative met en demeure l’intéressé de satisfaire à ces obligations dans un délai qu’elle détermine. Elle l’invite à présenter ses observations écrites ou orales dans le même délai en se faisant assister, le cas échéant, par un conseil de son choix ou en se faisant représenter. Si, à l’expiration de ce délai, l’intéressé n’a pas obtempéré à cette injonction, ou sans délai en cas d’urgence, l’autorité administrative peut ordonner la suspension de l’activité en cause jusqu’à ce que l’exploitant se soit conformé à son injonction. / II. – L’autorité administrative peut aussi, dans les…

Le projet ASAP : vers l’insécurité juridique du droit de l’environnement !

Par Maître Sébastien Bécue (Green Law Avocats) La solution qu’a trouvé le gouvernement pour accélérer le développement des projets susceptibles d’avoir des impacts sur l’environnement semble être de créer des dérogations au sein du code de l’environnement. Un peu étrange philosophiquement (cela voudrait-il que l’on pourrait se passer des règles que ce code prévoit, alors qu’elles ont pour objet la protection de l’environnement ?), cette idée néglige complètement le fait que les porteurs de projets, et leurs financeurs, ont besoin, avant de les lancer, d’être rassurés sur la solidité juridique du titre qu’il va leur être délivré. Ainsi, on peut désormais, depuis le décret n°2020-412 du 8 avril 2020, bénéficier d’une dérogation préfectorale, à condition que celle-ci : soit justifiée par un motif d’intérêt général et l’existence de circonstances locales (tout juriste sait que la notion d’intérêt général a des contours pour le moins flous) ait pour effet d’alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l’accès aux aides publiques soit compatible avec les engagements européens et internationaux de la France (donc dont, soit dit en passant, le droit de l’Union européenne qui irrigue la quasi-totalité des dispositions du code de l’environnement) ne porte pas atteinte aux intérêts de la défense ou à la sécurité des personnes et des biens, ni une atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé (peut-on faire plus large comme condition ?) Qui peut dire, sauf à faire preuve de témérité, qu’il est certain que la dérogation dont il bénéficie, à supposer qu’elle lui soit délivrée, ne sera pas annulée sur le fondement de l’un de ces nombreux motifs, si elle devait être attaquée devant le juge ? Et maintenant on soumet au Parlement un projet de loi « ASAP » (ne commentons pas l’acronyme, il parle de lui-même) qui prévoit en son article 25, entre autres, la possibilité : de se passer d’enquête publique, et d’y substituer une consultation du public « en fonction de ses impacts sur l’environnement ainsi que des enjeux socio‑économiques qui s’y attachent ou de ses impacts sur l’aménagement du territoire », en méconnaissance totale du principe d’information et de participation du public (art.25) d’exécuter les travaux sans avoir encore obtenu de l’autorisation environnementale (art.26), c’est-à-dire sans connaître l’avis de l’autorité environnementale (!) ou sans avoir recueilli les observations du public (!!), et pour le porteur de projet, sans aucune sécurité juridique ! de ne pas respecter, pour les installations existantes, des prescriptions ministérielles nouvelles « sauf motif tiré de la sécurité, de la santé ou de la salubrité publiques, de la protection de l’environnement ou du respect des engagements internationaux de la France, notamment du droit de l’Union européenne » (art. 21). Les prescriptions environnementales n’ont-elles pas pour objet la protection de l’environnement ? Même Outre qu’elles relèvent clairement de la paresse intellectuelle, ces tentatives sont parfaitement contreproductives au regard de l’objectif affiché de « simplification ». Nécessitant une interprétation complexe, qui peut être renversée par le juge, elles ne seront pas utilisées. Et seront au contraire sources d’insécurité juridique. La priorité du gouvernement, s’il veut accélérer la création de projets, devrait être de travailler à : la clarification des textes par des circulaires claires et détaillées – prenons l’exemple de la dérogation espèces protégées : à partir de quand doit-on la déposer (aujourd’hui selon le texte ce serait tout impact ?), qu’est-ce qu’une raison impérative d’intérêt public majeure ? une solution alternative raisonnable ? leur stabilisation (cf l’échec l’aller-retour sur la définition des zones humides, qui nécessite de refaire des études en cours d’instruction) la prise en compte de ses fameux engagements vis-à-vis de l’Union européenne (cf le ralentissement massif de l’instruction des projets lié à la non-transposition pourtant relevée depuis 2012 de l’exigence d’autonomie de l’autorité environnementale) le recrutement d’instructeurs et leur formation aux procédures qu’il crée Gageons qu’en supprimant, en particulier, la disposition (art. 25) qui permettait aux préfets de soumettre à simple consultation électronique, les projets relevant d’une autorisation environnementale mais ne nécessitant pas d’évaluation environnementale, les députés auteurs de l’amendement n° 785 adopté cette semaine à l’Assemblée Nationale, s’ils croient sauver le droit de l’environnement (cf. Actu-Environnement), rétablissent, sans doute malgré eux, la sécurité juridique…

Lubrizol : GREEN LAW engage une action contre l’Etat

Par David DEHARBE (Green law Avocats) A l’occasion du premier anniversaire de l’incendie de l’usine Lubrizol, de nombreux riverains de l’installation vont engager la responsabilité administrative de l’Etat pour défaillance dans sa mission de prévention des risques industriels. En étroite collaboration avec le cabinet rouennais de Maître Julia MASSARDIER, le cabinet GREEN LAW AVOCATS accompagnera les riverains dans cette démarche qui, outre son objectif de réparation, vise à obliger le Préfet de la Seine-Maritime à faire toute la transparence sur les circonstances de l’accident et à rendre des comptes sur son obligation de contrôle des risques industriels et de gestion post-accidentelle.

Mise en danger d’autrui en raison d’une pollution, pas si simple…

Par Maître Ségolène REYNAL (Green Law Avocats) Par un arrêt du 8 septembre 2020 (Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 8 septembre 2020, 19-84.995, Publié au bulletin), la Cour de cassation a confirmé l’irrecevabilité de la constitution de partie de civile d’une association pour mise en danger d’autrui en raison de la pollution atmosphérique. En l’espèce, l’association Ecologie sans frontière a, le 11 mars 2004, a déposé une plainte simple, du chef de mise en danger d’autrui en raison de la pollution atmosphérique, qui  été classée sans suite le 4 mai 2015. Le 9 juillet 2015, les associations Ecologie sans frontière et Générations futures ont déposé plainte avec constitution de partie civile comme le permet l’article 85 du code de procédure pénale pour mise en danger d’autrui. Les associations visaient principalement les carences des pouvoirs publics dans les actions susceptibles d’être menées contre l’exposition des populations aux particules fines et dioxyde d’azote (NO2), suite à un sévère épisode de pollution dans plusieurs villes de France. Cependant, le magistrat instructeur a rendu une ordonnance de refus d’informer pour irrecevabilité de la plainte avec constitution de partie civile. Après avoir interjeté appel, Générations futures a une nouvelle fois été déboutée de sa demande de constitution de partie civile. L’association s’est alors pourvue en Cassation. La Cour de cassation a confirmé l’irrecevabilité de sa constitution de partie civile des chefs de mise en danger d’autrui en raison d’une pollution atmosphérique, et ce pour deux raisons : D’une part, le plaignant auteur d’une plainte simple est le seul à pouvoir par la suite déposer une plainte avec constitution de partie civile comme le prévoir l’article 85 du code de procédure pénale. La Cour de cassation refuse tout système de « ricochet » par lequel une association de protection de l’environnement pourrait porter plainte avec constitution de partie civile dès lors qu’une autre association de protection de l’environnement aurait déposé une plainte simple, préalable à la plainte avec constitution de partie civile. Cette décision doit amener à la plus grande vigilance lorsqu’un plaignant, personne physique ou personne morale, souhaite entamer une action pénale. Il convient d’établir une stratégie dès le début des démarches. D’autre part, la Cour de cassation rappelle qu’une association peut se constituer partie civile en application de l’article 2 du code de procédure pénale à condition de démontrer un préjudice personnel. Si la Cour de cassation fait une application du droit commun de la procédure pénale à une personne morale, elle va plus loin en appliquant ce principe de droit commun au délit de mise en danger de la vie d’autrui en reprenant in extenso la définition de l’article L223-1 du code pénal « Le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende» et en déduit qu’une association personne morale ne peut, par essence, exciper d’une telle exposition au risque d’atteinte à l’intégrité physique. S’il est évident qu’une association ne peut être exposée à un risque immédiat de mort ou blessures physiques, il reste que le raisonnement de la Cour de cassation prive toute personne morale de son pouvoir de représentation de victimes personnes physiques, alors même que c’est l’objet social de cette dernière, ce qui est regrettable. La Cour de cassation a manqué la possibilité d’interpréter le délit de mise en danger de la vie d’autrui à travers le prisme des enjeux environnementaux actuels !