Maya l’Abeille au Conseil d’Etat (CE11 juin 2014, n°361848)
« Il faut se bouger dare-dare », disait Maya, cette curieuse petite abeille exploratrice qui « voulait voir le monde ». Son dessin-animé (adaptant au petit-écran Die Biene Maja und ihre Abenteuer, Maya l’abeille et ses aventures, 1912, de Waldemar Bonsels) a socialisé à la liberté celles et ceux qui nés dans les années 70 sont désormais en âge de concevoir et en mesure de prévenir la fragilité de la biodiversité. Mais que dirait Maya de cette nouvelle confirmation par le Conseil d’Etat (cf. l’arrêt du Conseil d’Etat du 11 juin 2014, n°361848), d’un refus de mise sur le marché de semences traitées avec certains produits phytopharmaceutiques, intervenu au nom de ses congénères ? Par arrêté du 24 juillet 2012, le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt a interdit l’utilisation et la mise sur le marché pour utilisation sur le territoire national des semences de crucifères oléagineuses traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant du thiamethoxam. La société Syngenta Seeds SAS qui produit des graines d’oléagineux enrobées de sa spécialité « Cruiser » qui contient du thiamethoxam (Cruiser OSR) a demandé l’annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté. Pour rejeter la requête de la société, le Conseil d’Etat se fonde sur plusieurs motifs. Il se fonde notamment sur les dispositions des articles 49 et 71 du règlement du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques. Aux termes de l’article 49 du règlement du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques : ” (…) 2. Lorsqu’il existe de réelles préoccupations selon lesquelles les semences traitées, visées au paragraphe 1, sont susceptibles de présenter un risque grave pour la santé humaine ou animale ou l’environnement et lorsqu’un tel risque ne peut être contenu de manière satisfaisante à l’aide des mesures prises par le (ou les) Etat(s) membre(s) concerné(s), des mesures visant à restreindre ou à interdire l’utilisation et/ou la vente de telles semences traitées sont immédiatement prises selon la procédure de réglementation visée à l’article 79, paragraphe 3. (…) / 3. Les articles 70 et 71 s’appliquent. “. Aux termes de l’article 71 du même règlement : ” 1. Lorsqu’un Etat membre informe officiellement la Commission de la nécessité de prendre des mesures d’urgence et qu’aucune mesure n’a été arrêtée conformément à l’article 69 et à l’article 70, cet Etat membre peut prendre des mesures conservatoires provisoires. En pareil cas, il en informe immédiatement les autres Etats membres et la Commission. (…) / 3. L’Etat membre peut maintenir ses mesures conservatoires provisoires au niveau national jusqu’à l’adoption de mesures communautaires. ” Grâce à la combinaison de ces deux articles, le Conseil d’Etat considère que « l’autorité compétente de l’Etat membre peut, à titre conservatoire et provisoire, interdire l’utilisation de semences traitées par un produit phytopharmaceutique lorsqu’il apparaît sur la base d’éléments nouveaux reposant sur des données scientifiques fiables que leur utilisation est susceptible de présenter un risque grave pour la santé humaine ou animale ou l’environnement ». En l’espèce, la question était donc de savoir si des éléments nouveaux reposant sur des données scientifiques fiables établissaient que l’utilisation des semences traitées par un produit phytopharmaceutique était susceptible de présenter un risque grave pour la santé humaine ou animale ou l’environnement. Afin de répondre à cette interrogation, le Conseil d’Etat se base sur les résultats d’une étude scientifique mettant en évidence que l’exposition des abeilles butineuses à des doses sublétales autorisées de thiaméthoxam avait des effets graves sur le retour à la ruche de ces abeilles, « ce qui était de nature à établir le caractère insuffisant de la méthodologie suivie jusqu’alors pour évaluer les effets des produits contenant cette substance active sur les colonies d’abeilles et, par suite, le risque grave qu’était susceptible de présenter pour ces dernières l’utilisation des semences traitées avec de tels produits. » Il relève en outre que « si l’ANSES a présenté, dans son avis du 31 mai 2012, des remarques méthodologiques relatives à cette étude et recommandé que soient menées des expérimentations complémentaires, elle n’en a pas remis en cause les conclusions et n’a d’ailleurs, dans son avis du 10 juillet 2012, formulé aucune réserve à l’édiction de la mesure d’interdiction envisagée ». Le Conseil d’Etat déduit de ces constatations que « le ministre n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en estimant, au vu de ces éléments, qu’existait, outre l’urgence, une situation susceptible de présenter un risque grave pour l’environnement, de nature à justifier l’interdiction, à titre conservatoire et provisoire, de l’utilisation et la mise sur le marché pour utilisation sur le territoire national des semences de crucifères oléagineuses traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant la substance active thiamethoxam ». La décision du Conseil d’Etat repose sur l’état des connaissances scientifiques tel qu’il ressort d’une étude parue dans la revue Science. Notons, à cet égard, que bien que l’ANSES ait émis des remarques méthodologiques sur cette étude et qu’elle ait demandé des investigations complémentaires, le Conseil d’Etat l’a jugée fiable dans la mesure où l’ANSES n’a pas remis en cause ses conclusions et n’a formulé aucune réserve quant à l’édiction de la mesure d’interdiction envisagée. Cette position démontre bien que le Conseil d’Etat n’est pas un scientifique et que, face à la technicité du sujet, il préfère se référer à l’avis des experts de l’ANSES, autorité nationale reconnue (en tout cas labélisée par le juge administratif comme tel). Par ailleurs, bien que la Charte de l’environnement ne soit pas mentionnée dans les visas de la décision et que le Conseil d’Etat applique les dispositions du règlement du 21 octobre 2009, le principe de précaution est clairement sous-jacent. En effet, c’est bien en raison de la réalisation d’un dommage, incertaine en l’état des connaissances scientifiques, mais qui pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement que le Conseil d’Etat prend sa décision. Cette décision constitue donc une application subreptice du principe de précaution. Il est possible de se demander si le Conseil d’Etat aurait pris la même décision si le principe de précaution avait été…