Délais de recours : Prise en compte de la date d’expédition du recours administratif

Par Frank ZERDOUMI, juriste (Green Law Avocats)
À peine de forclusion, le recours pour excès de pouvoir doit être intenté dans les deux mois qui suivent la décision attaquée.
Le point de départ du délai est le jour où l’acte administratif a été porté officiellement à la connaissance de l’intéressé, c’est-à-dire le jour de la publication pour les actes réglementaires ou de la notification à l’intéressé pour les actes individuels.
La théorie dite de la connaissance acquise a quelquefois été appliquée par le Conseil d’État : elle consistait à considérer que le délai courait, avant toute publication ou notification, à partir du moment où il était démontré qu’en fait l’intéressé avait eu connaissance de la décision (CE Sect., 13 mars 1998, Mme Mauline, n° 120079, considérant 3 ).
Cette théorie a été pratiquement abandonnée.
Le 29 juin 2016, la commune de Rieumes (Haute-Garonne) a adopté une délibération par laquelle elle a approuvé la révision d’un bail emphytéotique autrefois consenti à la société Tepacap, qui exploitait un parc d’attraction au sein de la forêt de Rieumes.
Le 11 septembre 2018, la même commune a adopté une délibération par laquelle elle a révisé son plan local d’urbanisme pour réduire un espace boisé classé et y créer un secteur de taille et de capacités limités au sein de la zone naturelle, afin de permettre la réalisation d’une ferme pédagogique.
Le 10 novembre 2018, l’ancienne maire de la commune et un autre membre de l’opposition siégeant au conseil municipal ont déposé un recours gracieux contre cette délibération : ce recours a été reçu en mairie le 13 novembre 2018.
Le 27 janvier 2019, ils ont saisi le Tribunal administratif de Toulouse afin d’obtenir l’annulation de la délibération.
Le 8 avril 2019, la commune a adopté une autre délibération par laquelle elle a conclu un bail emphytéotique avec l’agriculteur exploitant de la ferme pédagogique sur les deux parcelles accueillant celle-ci pour un loyer de 50 euros mensuels.
Après avoir, encore une fois, déposé un recours gracieux contre cette délibération, les opposants ont saisi le Tribunal administratif de Toulouse afin d’obtenir l’annulation de la délibération du 11 septembre 2018 et celle du 8 avril 2019.
En cours d’instance, ils ont demandé l’annulation de la délibération du 29 juin 2016.
Le 25 février 2022, le Tribunal a rejeté ces demandes. Les requérants ont interjeté appel devant la Cour administrative d’appel de Toulouse.
Le 21 mars 2024, la Cour a confirmé le jugement du Tribunal : elle a notamment rejeté les conclusions dirigées contre la délibération du 11 septembre 2018 comme étant tardives.
Le 27 mai 2024, l’ancienne maire de la commune s’est pourvue en cassation devant le Conseil d’État, afin d’obtenir l’annulation de l’arrêt de la Cour et le règlement de l’affaire au fond. Son pourvoi n’est dirigé que contre les délibérations du 11 septembre 2018 et du 8 avril 2019 : elle ne contestait plus la légalité de la délibération du 29 juin 2016.
Comme l’a évoqué le rapporteur public dans ses conclusions rendue sur cette affaire, se pose la question de l’abandon de la règle dite de la date réception en matière de recours administratif :
« Y a-t-il lieu de revenir sur la règle selon laquelle il convient de tenir compte de la date à laquelle un recours administratif facultatif a été reçu par l’administration pour apprécier si ce recours conserve les délais de recours contentieux ? ».
Le Conseil d’État a répondu à cette question par l’affirmative, suivant ainsi son rapporteur public : la date à prendre en considération est celle de l’expédition du recours administratif (décision commentée : CE, 30 juin 2025, n° 494573 ).
L’article R. 421-1 du Code de justice administrative dispose que :
« La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée.
Lorsque la requête tend au paiement d’une somme d’argent, elle n’est recevable qu’après l’intervention de la décision prise par l’administration sur une demande préalablement formée devant elle.
Le délai prévu au premier alinéa n’est pas applicable à la contestation des mesures prises pour l’exécution d’un contrat. »
Dans un premier temps, la Haute Assemblée a énoncé le principe :
« Sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires, telles les dispositions relatives à la contestation des élections politiques ou celles prévoyant des délais exprimés en heures ou expirant à un horaire qu’elles précisent, la date à prendre en considération pour apprécier si un recours contentieux adressé à une juridiction administrative par voie postale a été formé dans le délai de recours contentieux est celle de l’expédition du recours, le cachet de la poste faisant foi. Il en va de même pour apprécier si un recours administratif, gracieux ou hiérarchique, a pour effet de conserver ce délai » (décision commentée : CE, 30 juin 2025, n° 494573, point 2 ).
Certes, le Conseil d’Etat avait déjà indiqué que l’appréciation du respect des délais de recours contentieux implique de tenir compte de la date d’expédition des écritures lorsqu’elles sont adressées par voie postale, le cachet de la poste faisant foi (voir notre commentaire sur CE, 13 mai 2024, n° 466541 ).
Cependant dans la présente affaire, il a ajouté que la date d’expédition est aussi prise en compte pour vérifier si les recours administratifs adressées par voie postale ont permis de conserver le délai de recours.
Dans un second temps, à l’instar de la Cour administrative d’appel de Toulouse, le Conseil d’État a relevé que les requérants avaient pris part au vote pour appliquer ledit principe :
« Pour confirmer la tardiveté opposée par le tribunal administratif à leur demande tendant à l’annulation de la délibération du 11 septembre 2018 approuvant la révision allégée du plan local d’urbanisme communal, la cour administrative d’appel a relevé que Mme A et M. Solana, conseillers municipaux de Rieumes, ont été régulièrement convoqués et ont pris part au vote sur cette délibération lors de la séance du 11 septembre 2018, Mme A étant présente et M. Solana lui ayant donné procuration, de sorte que le délai de recours contentieux courait à leur égard à compter de cette date.
La cour a également relevé que Mme A et M. Solana avaient formé un recours gracieux contre cette délibération le 10 novembre 2018, reçu en mairie le 13 novembre 2018, avant de saisir le tribunal administratif de Toulouse d’une demande tendant à l’annulation de cette délibération par une requête enregistrée au greffe de ce tribunal le 27 janvier 2019.
Il résulte de ce qui a été dit au point 2 qu’en se fondant sur la date de réception en mairie de leur recours gracieux et non sur sa date d’expédition pour déduire de ces circonstances que ce recours n’avait pas eu pour effet de conserver le délai du recours contentieux, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit » (décision commentée : CE, 30 juin 2025, n° 494573, point 3 ).
En l’occurrence, la Haute juridiction considère que la Cour ne pouvait sans commettre d’erreur de droit s’appuyer sur la date de réception du recours administratif pour vérifier la conservation des délais de recours.
Désormais, le juge doit sur ce point tenir compte de la date d’expédition d’un recours administratif lorsqu’il est adressé par voie postale.
En somme, le cachet de la poste fait foi pour les recours tant contentieux qu’administratifs.
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