De la transparence du recrutement : pas d’exception culturelle !

musée louvres

Par Frank ZERDOUMI,  Juriste et Docteur en droit public (Green Law Avocats)

Le 12 juillet 2018, la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, nommait par arrêté Maxence Langlois-Berthelot, 46 ans, au poste prestigieux d’Administrateur Général du Musée du Louvre, établissement public national comme chacun sait. Un deuxième arrêté rectificatif du même jour précisait que cette nomination interviendrait à compter du 13 juillet 2018.

À compter du 13 juillet, donc, ce brillant normalien, Agrégé de lettres modernes, diplômé de Sciences Po Paris, énarque, a occupé ce poste à hautes responsabilités.

Manifestement, cette nomination n’était pas du goût de tous : le 7 septembre 2018, l’Union des syndicats des personnels des affaires culturelles, ou CGT-Culture, a déposé un recours pour excès de pouvoir devant le Tribunal administratif de Paris, afin qu’il annule ces arrêtés.

Sa requête ayant été rejetée, l’Association requérante a interjeté appel devant la Cour administrative d’appel de Paris, qui a rendu un arrêt des plus intéressants et des plus instructifs à la fois pour le droit de la fonction publique comme pour le monde de la culture.

La décision de nommer le nouvel Administrateur Général du Musée du Louvre était-elle légale ?

La Cour administrative d’appel a répondu à cette question par la négative, rappelant ainsi qu’en matière de nominations, tout n’est pas permis.

L’article 61 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État (JORF du 12 janvier 1984) dispose que :

«Les autorités compétentes sont tenues de faire connaître au personnel, dès qu’elles ont lieu, les vacances de tous emplois, sans préjudice des obligations spéciales imposées en matière de publicité par la législation sur les emplois réservés.»

Après avoir rappelé les dispositions de cet article, la Cour estime d’abord que :

«Aucune disposition du décret du 17 avril 1996 portant statut d’emploi de l’administrateur général de l’Établissement public du musée du Louvre, ouvert uniquement aux fonctionnaires, ou du décret du 22 décembre 1992 portant création de l’Établissement public du musée du Louvre, ne dispense le ministre de la culture de cette formalité préalablement à la nomination de l’administrateur général de l’Établissement public du musée du Louvre» (CAA Paris, 28 juin 2024, n° 22PA04183, point 6, téléchargeable ici).


Avant de recruter un fonctionnaire – ou un contractuel – il faut publier l’offre : c’est ce qui se fait dans la fonction publique, ou en tout cas ce qui doit se faire.

Dans un second temps, le juge administratif entend les arguments du ministère et du musée :

«Le ministre de la culture et l’Établissement public du musée du Louvre soutiennent, il est vrai, que la nomination de l’administrateur général de l’Établissement public du musée du Louvre relève de la dérogation prévue par l’article 25 de la loi du 11 janvier 1984 pour les emplois supérieurs laissés à la décision du Gouvernement» (CAA Paris, 28 juin 2024, n° 22PA04183, point 7, téléchargeable ici).


Malheureusement, cet argument n’est pas accueilli favorablement par la Cour, qui raisonne en deux étapes, en commençant par la nature juridique du poste :

«Cependant, en premier lieu, l’emploi de l’administrateur général de l’Établissement public du musée du Louvre ne figure pas sur la liste des emplois fixée par le décret du 24 juillet 1985 pris en application de cet article qui détermine, pour chaque administration et service, les emplois supérieurs pour lesquels les nominations ne sont pas soumises aux règles fixées par le statut général des fonctionnaires» (CAA Paris, 28 juin 2024, n° 22PA04183, point 8, téléchargeable ici).


Le juge poursuit avec l’interprétation du décret n° 96-339 du 17 avril 1996 portant statut d’emploi de l’administrateur général de l’Établissement public du musée du Louvre (JORF n°96 du 23 avril 1996) :

En second lieu, en application de la combinaison des articles 2 et 2 bis du décret du 17 avril 1996, l’emploi de l’administrateur général de l’Établissement public du musée du Louvre est ouvert, exclusivement, à plusieurs catégories de fonctionnaires précisément identifiés par cet article, par la voie du détachement. L’article 2 du décret prévoit que la nomination à cet emploi, qui relève de la compétence du seul ministre chargé de la culture, ne peut intervenir que sur proposition du président de l’établissement. Compte tenu des conditions restrictives auxquelles est ainsi soumise la nomination de l’administrateur général de l’Établissement public du musée du Louvre, cet emploi ne saurait être qualifié d’emploi supérieur à la décision du gouvernement » (CAA Paris, 28 juin 2024, n° 22PA04183, point 9, téléchargeable ici).


La conclusion de la Cour est limpide :

«Par suite, et à supposer que les caractéristiques de l’emploi de l’administrateur général de l’Établissement public du musée du Louvre, fixées par les dispositions du décret du 22 décembre 1992 portant création de cet établissement, puissent être regardées comme étant de nature à relever d’un emploi supérieur à la décision du gouvernement, la CGT-Culture est fondée à soutenir que les arrêtés du 12 juillet 2018 portant nomination de M. Langlois-Berthelot sur cet emploi, dont la vacance n’avait pas fait l’objet de la publicité préalable exigée par l’article 61 de la loi du 11 janvier 1984, ont méconnu les dispositions de cet article» (CAA Paris, 28 juin 2024, n° 22PA04183, point 10, téléchargeable ici).

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