Autorisation spéciale d’absence : le congé de santé gynécologique, c’est non !

Par Frank ZERDOUMI, juriste (Green Law Avocats)
Lorsqu’une commune ou une métropole prend une décision qu’il estime illégale, le Préfet peut saisir le Tribunal administratif, dans le cadre du déféré préfectoral.
Le Préfet défère alors les actes soumis à l’obligation de transmission, tels que les délibérations, dans un délai de deux mois à compter de celle-ci.
Dans la pratique, le Préfet envoie une lettre par laquelle il fait des observations aux collectivités quant à la légalité de l’acte : cette lettre est assimilée à un recours gracieux, ce qui prolonge d’autant les délais de recours (CE, 18 avril 1986, Commissaire de la République d’Ille-et-Vilaine, n° 62470, rec. 658 ). En principe, le déféré préfectoral a la nature d’un recours pour excès de pouvoir (CE, Section, 27 février 1987, Commissaire de Grand-Bourg de Marie-Galante, n° 54847, rec. 80 ).
Le 22 mai 2024, le conseil municipal de la commune de Strasbourg a pris une délibération par laquelle il a décidé de mettre en place, à titre expérimental, pour une durée de deux ans, un dispositif d’amélioration de la prise en charge de la santé gynécologique au travail comprenant un congé de santé gynécologique sous la forme d’une autorisation spéciale d’absence.
Le 31 mai 2024, le conseil de l’Eurométropole de Strasbourg a pris la même délibération.
Le 8 juillet 2024, la Préfète du Bas-Rhin a sollicité par courriers le retrait de ces délibérations, sans succès.
Le 12 juillet 2024, la Préfère du Bas-Rhin a formé deux recours gracieux contre ces délibérations, auxquelles la commune et l’Eurométropole n’ont pas répondu.
Le 12 septembre 2024 sont donc nées deux décisions implicites de rejet des recours.
Le 1er octobre 2024, la Préfète du Bas-Rhin a saisi le Tribunal administratif dans le cadre de déférés préfectoraux, afin d’obtenir l’annulation de ces délibérations, ainsi que l’annulation des décisions implicites de rejet nées du silence gardé sur les recours gracieux. Les arguments mis en exergue par l’Autorité requérante étaient au nombre de trois.
D’abord, les délibérations étaient entachées d’incompétence, dans la mesure où il appartenait au maire et à la Présidente de l’Eurométropole, et non au conseil municipal et au conseil de l’Eurométropole, d’édicter les régimes des autorisations spéciales d’absence.
Ensuite, l’octroi d’autorisations spéciales de santé gynécologique était dépourvu de base légale.
Enfin, la commune de Strasbourg et l’Eurométropole ne pouvaient pas créer un nouveau motif d’autorisation spéciale d’absence en l’absence de toute base législative ou réglementaire.
Les délibérations de la commune de Strasbourg et de l’Eurométropole instituant un congé de santé gynécologique étaient-elles légales ?
Le Tribunal administratif a répondu à cette question par la négative, précisant ainsi qu’une collectivité locale et un établissement public territorial ne peuvent pas décider de créer un nouveau régime de congé ou d’autorisation spéciale d’absence (décision commentée : TA Strasbourg, 24 juin 2025, n° 2407417, n° 2407418 ).
D’une part, l’article L. 611-2 du Code général de la fonction publique dispose que :
« Les règles relatives à la définition, à la durée et à l’aménagement du temps de travail des agents territoriaux sont fixées par la collectivité ou l’établissement, dans les limites applicables aux agents de l’État, en tenant compte de la spécificité des missions exercées par ces collectivités ou établissements. Les modalités d’application du présent article sont fixées par un décret en Conseil d’État, qui prévoit notamment les conditions dans lesquelles la collectivité ou l’établissement peut, par délibération, proposer une compensation financière d’un montant identique à celle dont peuvent bénéficier les agents de l’État, en contrepartie des jours inscrits à leur compte épargne temps. ».
D’autre part, l’article L. 622-1 du même Code a prévu que :
« Les agents publics bénéficient d’autorisations spéciales d’absence liées à la parentalité, notamment les autorisations d’absence prévues à l’article L. 1225-16 du code du travail, et à l’occasion de certains événements familiaux. Ces autorisations spéciales d’absence sont sans effet sur la constitution des droits à congés annuels et ne diminuent pas le nombre des jours de congés annuels. ».
D’abord, le Tribunal a énoncé le principe et ses conséquences en termes identiques dans les deux jugements :
« En premier lieu, les autorisations spéciales d’absence des fonctionnaires constituent, au même titre que les congés proprement dits, un élément du statut des fonctionnaires intéressés. Dès lors, un nouveau régime d’autorisation spéciale d’absence, en tant qu’élément statutaire, ne peut être légalement édicté par une collectivité ou un établissement territorial dans le silence des lois et règlements » (TA Strasbourg, 24 juin 2025, n° 2407417, n° 2407418, point 2 ).
Ensuite, il a mis en perspective les autorisations spéciales d’absence litigieuses avec les autorisations spéciales d’absence prévues par la loi :
« Les autorisations spéciales d’absence litigieuses, liées aux menstruations incapacitantes, ne peuvent être regardées comme entrant dans le champ de la catégorie d’autorisations spéciales d’absence prévue par les dispositions précitées. La commune de Strasbourg ne peut, en outre, pas davantage se prévaloir des dispositions des articles 2-1, 14 et 24 du décret du 10 juin 1985, en vertu desquelles il incombe seulement aux autorités administratives de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale de leurs agents et de prendre en compte les propositions d’aménagements du poste de travail ou de conditions d’exercice des fonctions justifiés par l’âge, la résistance physique ou l’état de santé des agents, que les médecins du service de médecine préventive sont seuls habilités à émettre » (décision commentée : TA Strasbourg, 24 juin 2025, n° 2407417, n° 2407418, point 7 ).
Enfin, le juge administratif a fait prévaloir les arguments de la Préfète :
« Il s’ensuit que le préfet est fondé à soutenir que la délibération attaquée est dépourvue de base légale, en tant qu’elle instaure, dans le cadre du dispositif d’amélioration de la prise en charge de la santé gynécologique au travail qu’elle met en place, un congé de santé gynécologique, sous la forme d’une autorisation spéciale d’absence lorsque la pathologie de l’agente est incapacitante » (décision commentée : TA Strasbourg, 24 juin 2025, n° 2407417, n° 2407418, point 10 ).
On ne peut qu’apprécier la volonté de la commune et de l’Eurométropole d’essayer d’agir en faveur de l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Pour autant, elles n’étaient pas dispensées de faire les choses dans la légalité.
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