Contrat de vente de chaudière: la clause limitative de réparation survit en cas de résolution du contrat de vente (Com. 7 février 2018, n°16-20.352, revirement)

Par Ségolène REYNAL – Avocate collaboratrice Opérant un revirement de jurisprudence, la Cour de cassation vient de juger que, en cas de résolution d’une vente, la clause qui plafonne le montant des dommages-intérêts dus en cas de mauvaise exécution du contrat demeure applicable (Cass, 7 février 2018). Faits: Une société Y. a procédé à des réparations sur une chaudière d’une centrale exploitée par la société Z. Cette dernière a obtenu, après la survenance de nouvelles fuites, une expertise judiciaire qui a conclu qu’elles étaient imputables aux soudures effectuées par la société Y. Cette dernière a été assignée par sa cocontractante en résolution du contrat de vente de la chaudière, restitution et paiement de dommages-intérêts, en réparation de ses préjudices matériels et de ses pertes d’exploitation. La société Y. a demandé l’application de la clause limitative de réparation, dont l’objet est de limiter par avance et de façon contractuelle, le montant des dommages-intérêts à une certaine somme. Par un arrêt du 20 février 2016, la Cour d’appel de Nancy condamne la société Y. à payer à la société Z. la somme de 761.253,43 € à titre de dommages-intérêts. L’arrêt retient que la résolution de la vente emportant anéantissement rétroactif du contrat et remise des choses en leur état antérieur, il n’y a pas lieu d’appliquer la clause limitative de responsabilité. Cette décision étaitune application d’une jurisprudence bien acquise (Com.29 juin 2010, n°09-11841). Le 7 février 2018, la Cour de cassation censure toutefois l’arrêt de la Cour d’appel sur ce point. La Haute juridiction judiciaire estime en effet qu’en cas de résolution d’un contrat pour inexécution, les clauses limitatives de réparation des conséquences de cette inexécution demeurent applicables. La cour d’appel a par conséquent violé les articles 1134 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016. Portée de cette décision: C’est un revirement de jurisprudence que la Cour de cassation vient d’opérer. Auparavant, la résolution de la vente importait anéantissement rétroactif du contrat, les clauses régissant les conditions et les conséquences de la résiliation ne devaient pas trouver application (Com. 5 octobre 2010, pourvoi n°08-11630). Seules survivaient les clauses de règlement des différends au motifs qu’elles sont autonomes par rapport au contrat. Ce revirement de jurisprudence semble être l’application du nouvel article 1230 du Code civil issue de l’ordonnance du 10 février 2016 consacré à la résolution du contrat. Cet article dispose : « La résolution n’affecte ni les clauses relatives au règlement des différends, ni celles destinées à produire effet même en cas de résolution, telles les clauses de confidentialité et de non-concurrence. » Dès lors qu’une clause limitative de réparation a pour finalité de régler un effet du contrat postérieur à la résolution, à savoir le montant de la réparation due cette clause survit à la résolution du contrat résolu qui en est le support. Le revirement de jurisprudence ici opéré par la Cour de cassation s’est fait à la lumière de ces nouvelles dispositions et on doit en déduire une autonomisation de la clause limitative de réparation. Pourrait-on élargir cette solution aux clauses limitatives de responsabilité et aux clauses pénales ? Il semblerait que oui, dès lors qu’il n’existe aucune justification à limiter leur application aux seuls contrats de vente et que cette solution tend à renforcer la valeur de telles clauses, la logique présiderait alors à une application à tous les contrats commerciaux. Pour éviter toute difficulté d’interprétation il est conseillé de prévoir expressément au contrat, et pour chaque clause concernée, que celle-ci « produira effet, même en cas de résolution ». De nombreux acteurs industriels de l’énergie peuvent être concernés par cette nouvelle jurisprudence (fabricants de matériel, fournisseurs, installateurs).

Régularisation de l’insuffisante présentation des capacités financières : le TA d’Amiens se lance !

Par Maître Sébastien BECUE (Green Law Avocat) Aux termes d’un jugement du 29 mai 2018 (n°1601137), le Tribunal administratif d’Amiens a annulé l’arrêté d’autorisation d’exploiter une porcherie pour insuffisance de la présentation des capacités financières dans le dossier soumis à enquête publique. Ce motif d’annulation est devenu extrêmement courant depuis que le Conseil d’Etat a décidé, ex nihilo et sans laisser le temps aux porteurs de projet de s’adapter, que le pétitionnaire doit justifier d’engagements fermes dès le stade de la demande d’autorisation (CE, 22 fév. 2016, n°384821). Parallèlement, le Tribunal a délivré à l’exploitant une autorisation d’exploiter temporaire de 12 mois, le temps que l’instruction soit régularisée et qu’une nouvelle autorisation soit délivrée. La première originalité de cette décision réside dans le choix du Tribunal de la fonder sans aucune référence au nouveau régime contentieux issu de l’autorisation environnementale (1) ; la seconde, dans la prescription finale du Tribunal : le Préfet doit se prononcer à nouveau sur la demande d’autorisation, « après avoir rendu publics les documents permettant d’attester » les capacités financières (2). Une illustration des pouvoirs de plein contentieux « classiques » du juge des installations classées Le Tribunal décide d’annuler l’autorisation tout en délivrant une autorisation provisoire. Pourtant, tous les critères des dispositions issues du I du nouvel article L. 181-18 du code de l’environnement étaient satisfaits. Le Tribunal aurait ainsi pu : soit annuler partiellement l’autorisation en tant que la phase de l’enquête publique avait été viciée (comme l’avait fait le Tribunal administratif de Lille, 25 avril 2017, n°n°1401947, également pour une insuffisance de présentation des capacités financières), soit prononcer un sursis à statuer aux termes d’un jugement avant dire droit dans l’attente de la régularisation du dossier (solution préconisée par le Conseil d’Etat dans son récent avis du 22 mars 2018, n°415852, là aussi dans le cadre de la problématique capacités financières). De même, en complément de cette décision d’annulation partielle ou de sursis à statuer, le Tribunal aurait pu décider d’appliquer cette fois le II de l’article L . 181-18 précité. Il aurait ainsi décidé de ne pas suspendre l’exécution, respectivement : soit des parties non viciées de l’autorisation, soit de l’autorisation elle-même, dans l’attente de sa régularisation dans le cadre du sursis. Mais là encore, le Tribunal a préféré faire usage du pouvoir classique de délivrance d’une « autorisation provisoire » le temps de la régularisation, en se fondant sur l’article L. 171-7 du code de l’environnement tel qu’interprété par la jurisprudence (les modalités de mise en œuvre sont rappelées dans l’avis du 22 mars 2018 précité), et non sur les nouvelles dispositions. Dans les deux cas, le résultat aurait été le même puisque le Tribunal aurait eu la possibilité de préciser dans son jugement que le vice de l’information du public constaté peut être régularisé par la seule mise à disposition du public des documents, tout en permettant à l’exploitant de continuer à exploiter le temps de cette régularisation. Le Tribunal démontre ainsi le caractère en réalité peu novateur des dispositions de l’article L. 181-18 du code de l’environnement : le juge de plein contentieux disposait déjà de ces pouvoirs. 2. Un exemple de «  modalité de régularisation du vice de l’information autre que la reprise de l’ensemble de l’enquête publique » La véritable innovation provient en réalité de l’avis du 22 mars 2018 qui permet la régularisation du vice de l’information du public, jusque-là non régularisable, et non du nouveau texte. Notons néanmoins qu’il est probable que l’ajout dans le texte de l’article L . 181-18 de la possibilité d’une annulation au stade d’une « phase de l’instruction » a certainement joué en rôle dans cette levée de verrou. Nous le chroniquions sur le blog de Green Law Avocats, aux termes d’un récent avis (22 mars 2018, n°415852), le Conseil d’Etat a ainsi clairement précisé que le juge des installations classées, face à une irrégularité procédurale ayant eu pour effet de vicier l’information du public, est susceptible de « fixer des modalités de régularisation adaptées permettant l’information du public, qui n’imposent pas nécessairement de reprendre l’ensemble de l’enquête publique ». A la suite de cette décision, confronté au moyen tiré de l’absence d’autonomie de l’autorité environnementale ayant rendu l’avis sur l’étude d’impact du dossier, le Tribunal administratif d’Orléans (24 avr. 2018, n°1602358) a décidé d’interroger le Conseil d’Etat notamment sur ces modalités de régularisation du vice de l’information du public autres que la reprise de l’ensemble de l’enquête publique. Nous nous interrogions dans notre commentaire : quelles sont ces modalités de publicité qui peuvent se substituer à une nouvelle enquête publique ? Enquête publique complémentaire, simple affichage sur le site internet de la Préfecture, mise en ligne sur le site officiel du demandeur… Doivent-elles d’ailleurs avoir une base légale ou peut-il s’agir de modalités ad hoc ? Surtout, doivent-elles permettre simplement l’information du public, ou également sa participation ? Comment doit raisonner le juge du fond ? En l’espèce, le Tribunal administratif d’Amiens prend ses responsabilités et prescrit directement au Préfet de se prononcer à nouveau sur la demande d’autorisation, « après avoir rendu publics les documents permettant d’attester » les capacités financières. Le Tribunal ne semble ainsi pas juger nécessaire qu’il y ait participation du public, c’est à dire que celui-ci soit en mesure de commenter les documents : ceux-ci doivent simplement être rendus publics. Ce qui somme toute est fort logique : le public aura tout loisir de saisir le juge de la nouvelle autorisation s’il juge les capacités encore insuffisantes et en ce sens le principe de participation est sauf.  Remarquons également que pour le Tribunal les modalités précises du dévoilement des documents restent à l’appréciation du Préfet, sous le contrôle du juge.

Expulsion des occupants sans titre du domaine public : marcher dans les pas du Roi n’octroie pas tous les privilèges !

Par Maître Thomas RICHET (Green Law Avocats) Le juge des référés est tenu, dans le cadre de la procédure du référé mesures-utiles, en vue de l’expulsion d’un occupant sans titre du domaine public maritime des cinquante pas géométriques, de vérifier que la mesure s’avère être utile, et ce, alors même qu’au titre de l’article L. 521-3-1 du code de justice administrative, la condition d’urgence n’est pas requise. L’arrêt commenté (arrêt du Conseil d’Etat, 8ème et 3ème chambres réunies, 4 mai 2018, n° 415002, mentionné dans les tables du recueil Lebon) est l’occasion pour le juge administratif de préciser les conditions de mise en œuvre de la procédure de référé mesures utiles visant à l’expulsion d’un occupant sans titre d’une dépendance du domaine public maritime située dans la zone des cinquante pas géométriques, anciennement « cinquante pas du Roi ». Cette zone qui s’étend, en principe, sur 81.20 mètres dans les terres à partir de la limite du rivage, et qui ne concerne que les départements d’Outre-mer, joue une place centrale dans l’affaire ici commentée. En effet, M. C était titulaire d’une autorisation d’occupation d’une dépendance du domaine public maritime située dans la province Sud de Nouvelle-Calédonie et localisée dans la zone des cinquante pas géométriques. Ce dernier sollicitait du juge, sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative (ci-après « CJA »), à titre principal, qu’il enjoigne à cette province d’introduire une action en référé, sur le fondement de l’article précité, tendant à l’expulsion de M. A et de tout autre occupant de son chef de l’immeuble qu’il occupe sur la dépendance susmentionnée et, à titre subsidiaire, qu’il enjoigne directement à M. A et à tout autre occupant de son chef d’évacuer cet immeuble. Le juge des référés du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ayant fait droit, en partie, à cette demande par une ordonnance rendue le 29 août 2017, l’un des occupants sans titre a formé un pourvoi en cassation contre cette ordonnance. La décision des juges de Nouvelle-Calédonie est cassée par le juge de cassation en raison, d’une part, du non-respect du sacro-saint principe du contradictoire et, d’autre part, au regard du contrôle que le juge doit exercer sur les conditions de mise en œuvre de la procédure de référé mesures utiles. Tout d’abord, le Conseil d’Etat rappelle le principe selon lequel : « Lorsque le juge des référés statue, sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative qui instaure une procédure de référé pour laquelle la tenue d’une audience publique n’est pas prévue par les dispositions de l’article L. 522-1 du même code, sur une demande d’expulsion d’un occupant du domaine public, il doit, eu égard au caractère quasi-irréversible de la mesure qu’il peut être conduit à prendre, aux effets de celle-ci sur la situation des personnes concernées et dès lors qu’il se prononce en dernier ressort, mettre les parties à même de présenter, au cours d’une audience publique, des observations orales à l’appui de leurs observations écrites » (Cf. CE, 1 er octobre 2007, Agence foncière et technique de la région parisienne (AFTRP), n°299464 et CE, 24 novembre 2006, Wuister, n° 291294). En l’espèce, la procédure était donc irrégulière puisqu’il ressortait des mentions portées sur l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie que les parties n’avaient pas été convoquées à une audience publique. Ensuite, le Conseil d’Etat précise les conditions de mise en œuvre de la procédure de référé mesures utiles dans le cadre particulier de l’expulsion des occupants sans titre du domaine public maritime des cinquante pas géométriques. A ce titre, il convient de rappeler que l’article L. 521-3 du CJA pose trois conditions cumulatives : l’urgence de la situation, l’utilité de la mesure envisagée et le fait que la mesure sollicitée ne fasse pas obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative. Situation particulièrement favorable pour l’administration gestionnaire de ce domaine public, la première de ces conditions n’a pas à être démontrée dans l’hypothèse d’une occupation sans titre des cinquante pas géométriques (Cf. article L. 521-3-1 du CJA). Cependant, les juges du Conseil d’Etat précisent que : « le juge des référés a fait droit aux conclusions de [M. C] tendant à l’expulsion de [M. A] et de tout autre occupant de son chef de l’immeuble que celui-ci occupe sur les dépendances du domaine public sans se prononcer sur l’utilité de cette mesure. Alors même qu’il avait estimé qu’il n’avait pas, en vertu des dispositions précitées de l’article L. 521-3-1 du code de justice administrative, à se prononcer sur la condition d’urgence, il a ainsi méconnu les dispositions de l’article L. 521-3 du code de justice administrative. » Cet arrêt est donc l’occasion pour le Conseil d’Etat de rappeler que même si la condition de l’urgence est neutralisée en cas de procédure de référé mesures utiles visant à l’expulsion d’un occupant sans titre du domaine public maritime des cinquante pas géométriques, le juge est tenu de vérifier que la condition de « l’utilité » de la mesure se trouve, pour sa part, remplie. Ce rappel à l’ordre est le bienvenu dans un contexte où les occupations sans titre de la zone des cinquante pas géométriques concernent essentiellement des habitations et où l’expulsion se trouve être déjà facilitée par l’absence de nécessité de démontrer l’urgence de la situation

L’intérêt à agir contre un PC éolien : la visibilité ne suffit pas !

Par Maître Sébastien BECUE (Green Law Avocat) Par un arrêt daté du 16 mai 2018 (n°408950) le Conseil d’Etat a envoyé un message fort aux juridictions du fond sur les conditions d’appréciation de l’intérêt à agir à l’encontre d’un projet de parc éolien. En appel, la Cour (CAA Nantes, 1er février 2017, n°15NT00706) avait considéré que des propriétaires d’un château situé à 2,5 kilomètres d’un parc éolien disposaient d’un intérêt à agir à l’encontre du permis de construire en autorisant la construction dès lors qu’il ressortait notamment de l’étude d’impact que le parc « sera visible de la façade ouest du château » et ce « alors même que cette visibilité n’apparaît qu’à partir du deuxième étage de l’édifice » Puis la Cour avait annulé l’arrêté pour insuffisance de l’étude d’impact, en tant que le pétitionnaire avait omis, d’une part de citer un monument historique situé dans le périmètre approché des éoliennes, et d’autre part d’analyser l’impact du parc sur ce monument. Saisi de la question, le Conseil d’Etat considère que la « Cour a donné aux faits ainsi énoncés une qualification juridique erronée » en jugeant que les requérants disposaient d’un intérêt à agir suffisant dans ces conditions. Il décide ensuite de régler l’affaire au fond : à partir des mêmes pièces, il estime que les requérants ne sont pas recevables dès lors qu’ils « ne justifient pas, au regard tant de la distance qui sépare le château du site retenu pour l’implantation du projet éolien que de la configuration des lieux, d’un intérêt leur donnant qualité pour agir ». Ainsi, la seule visibilité du parc ne suffit pas : doivent aussi être pris en compte les critères de la distance et de la configuration des lieux. Il est essentiel de relever que la décision est fichée dans les tables du recueil Lebon comme une décision d’espèce présentant un cas d’absence d’intérêt à agir à l’encontre un permis de construire des éoliennes. Tout aussi cruciale est la précision dans les références selon laquelle cette décision doit être rapprochée d’une précédente, datant de 2005, aux termes de laquelle le Conseil d’Etat, statuant alors en référé, avait là aussi réalisé un contrôle très précis de l’intérêt à agir à l’encontre d’un permis de construire un parc éolien (CE, 15 avril 2005, n° 273398). Le Conseil d’Etat avait alors considéré que le premier juge avait dénaturé les pièces du dossier en écartant la recevabilité de la requête de deux requérants sur trois au motif que « les éoliennes ne seraient pas directement visibles de leurs propriétés », alors même qu’il « résultait pourtant des pièces du dossier qui lui était soumis, notamment des photomontages produits par la société défenderesse, que ces éoliennes seraient, après leur construction, visibles depuis le portail » de leur propriété. S’agissant du troisième requérant en revanche, le Conseil d’Etat avait estimé que le juge des référés ne s’était pas trompé dans l’exercice de son appréciation souveraine en considérant qu’il ne disposait pas d’un intérêt à agir dès lors que les éoliennes n’étaient pas visibles depuis sa propriété, et ce bien qu’elles étaient projetées à une distance de moins d’un kilomètre. Le Conseil d’Etat avait alors apprécié à nouveau le dossier et considéré que les conditions dans lesquelles les deux premiers requérants voyaient les éoliennes depuis leur domicile, dans un « paysage agricole plat offrant une vue dégagée, à une distance d’environ 900 mètres », leur conféraient intérêt à agir. Là encore, les références des Tables sont essentielles : « critère prépondérant : visibilité » et « critères complémentaires : distance – hauteur de la construction – conformation du terrain – nuisances sonores ». Le Conseil d’Etat assume ainsi qu’il existe des critères d’appréciation spécifiques de l’intérêt à agir à l’encontre d’un permis de construire un parc éolien. Le rôle « prépondérant » assigné à la visibilité, parmi les autres atteintes potentielles, est logique : une éolienne est indéniablement plus prégnante dans le paysage que la plupart des constructions. Toutefois, la visibilité ne peut suffire. Encore faut-il que cette visibilité, parce qu’elle va s’exercer dans des conditions particulières dont le juge doit contrôler l’existence, soit susceptible d’affecter le requérant. Même si cette décision est fichée, il semble qu’elle ait été quelque peu oubliée des praticiens et de la majorité des magistrats… Dans beaucoup d’affaires le juge s’épargne en réalité le contrôle tout court, soit parce que le rejet des moyens lui prend moins de temps que l’analyse de la recevabilité d’un nombre élevé de requérants, soit qu’il se limite à la présence d’un seul requérant recevable. Cette décision doit être considérée comme un guide méthodologique : c’est ainsi que le magistrat doit procéder lorsqu’il analyse l’intérêt à agir. Cela signifie également que si le dossier ne comporte pas au terme de l’instruction les documents permettant d’apprécier l’intérêt à agir des requérants au regard de ces critères, alors le magistrat doit rejeter le recours comme irrecevable. C’était l’enseignement de l’arrêt Brodelle : il appartient au requérant de préciser « l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien » (CE, 10 juin 2015, n°386121). A défaut d’une telle démonstration, le recours est irrecevable. Le rejet peut même se faire pour irrecevabilité manifeste, par ordonnance de tri (CE, 10 fév. 2016, n°387507), c’est-à-dire avant l’audience, à condition que le requérant n’ait pas obtempéré à l’invitation de régularisation de sa requête – invitation directe par le greffe, ou indirectement par le mémoire en défense adverse invoquant la fin de non-recevoir (CAA Bordeaux, 7 juil. 2016, n°14BX01560). Les éoliennes sont passées sous le pavillon ICPE mais gageons qu’il en sera de même des recours à l’encontre des autorisations environnementales, dès lors que les critères de détermination de l’intérêt à agir sont semblables dans le contentieux des installations classées : « il appartient au juge administratif d’apprécier si les tiers personnes physiques qui contestent une décision prise au titre de la police des installations classées justifient d’un intérêt suffisamment direct leur donnant qualité pour en demander l’annulation, compte tenu des inconvénients et…

Collectivités territoriales : attention à l’effet utile des modalités de la concertation !

Par Maître Jérémy TAUPIN (Green Law Avocats) Par un jugement en date du 2 février dernier, le Tribunal administratif de Melun est venu préciser la portée des dispositions de l’ancien article L. 300-2 du code de l’urbanisme (dispositions désormais codifiées aux articles L. 130-2 du code même code). Pour rappel, cet article énonçait que « I – Le conseil municipal ou l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale délibère sur les objectifs poursuivis et sur les modalités d’une concertation associant, pendant toute la durée de l’élaboration du projet, les habitants, les associations locales et les autres personnes concernées dont les représentants de la profession agricole, avant : a) Toute élaboration ou révision du schéma de cohérence territoriale ou du plan local d’urbanisme ; b) Toute création, à son initiative, d’une zone d’aménagement concerté ; c) Toute opération d’aménagement réalisée par la commune ou pour son compte lorsque, par son importance ou sa nature, cette opération modifie de façon substantielle le cadre de vie ou l’activité économique de la commune et qu’elle n’est pas située dans un secteur qui a déjà fait l’objet de cette délibération au titre du a) ou du b) ci-dessus. Un décret en Conseil d’Etat détermine les caractéristiques des opérations d’aménagement soumises aux obligations du présent alinéa. Les documents d’urbanisme et les opérations mentionnées aux a, b et c ne sont pas illégaux du seul fait des vices susceptibles d’entacher la concertation, dès lors que les modalités définies par la délibération prévue au premier alinéa ont été respectées. Les autorisations d’occuper ou d’utiliser le sol ne sont pas illégales du seul fait des vices susceptibles d’entacher cette délibération ou les modalités de son exécution. […] ». Il n’aura pas échappé au praticien du droit de l’urbanisme que l’interprétation de ces dispositions a donné lieu à une jurisprudence importante : le Conseil d’Etat a notamment été amené à se prononcer sur la question des objectifs poursuivis et des modalités de la concertation. Pendant longtemps, il a été admis que l’insuffisante définition des objectifs dans la délibération prescrivant l’élaboration ou la révision du PLU entachait celui-ci d’illégalité (cf. en ce sens CE, 10 février 2010, Commune de Saint-Lunaire, req. n°327149). Néanmoins, dans une récente décision, le Conseil d’Etat a précisé cette jurisprudence. Il a ainsi d’abord rappelé que, conformément aux dispositions de l’article L. 300-2 du code de l’urbanisme précité, l’adoption ou la révision du PLU devait être précédée d’une concertation associant les habitants, les associations locales et les autres personnes concernées et que le conseil municipal devait, avant que ne soit engagée la concertation, délibérer, d’une part, et au moins dans leurs grandes lignes, sur les objectifs poursuivis par la commune en projetant d’élaborer ou de réviser ce document d’urbanisme, et, d’autre part, sur les modalités de la concertation. Puis, il a considéré que si cette délibération est susceptible de recours devant le juge de l’excès de pouvoir, son illégalité ne peut, en revanche, eu égard à son objet et à sa portée, être utilement invoquée contre la délibération approuvant le PLU, tout en rappelant qu’ainsi que le prévoit l’article L. 300-2 du code de l’urbanisme, les irrégularités ayant affecté le déroulement de la concertation au regard des modalités définies par la délibération prescrivant la révision du document d’urbanisme demeurent par ailleurs invocables à l’occasion d’un recours contre le plan local d’urbanisme approuvé (CE, 5 mai 2017, Commune de Saint-Bon-Tarentaise, req. n°388902). C’est sur ce dernier point que le Tribunal administratif de Melun apporte une précision importante, en considérant « qu’il résulte de ces dispositions que la légalité d’une délibération approuvant un plan local d’urbanisme ne saurait être contestée au regard des modalités de la procédure de concertation qui l’a précédée dès lors que celles-ci ont respecté les modalités définies par la délibération prescrivant l’élaboration de ce document d’urbanisme ; que de telles modalités ne sauraient être regardées comme ayant été respectées si, bien que formellement exécutées, elles l’ont été dans des conditions les privant de tout effet utile et n’ont, ainsi, pas permis d’associer réellement le public à l’élaboration du projet de plan local d’urbanisme » (TA de Melun, 2 février 2018, req. n°1309483). Les faits d’espèce sont particulièrement éclairants sinon sur le projet de la collectivité du moins sur sa volonté d’escamoter la concertation. Par une délibération du 13 mai 2013, le conseil municipal d’Ozoir-la-Ferrière a approuvé le plan local d’urbanisme de cette commune. Une association a alors demandé au tribunal administratif l’annulation de cette délibération, en soulevant le moyen tiré de ce que les modalités de concertation définies par le conseil municipal dans sa délibération du 6 avril 2011 prescrivant l’élaboration du PLU n’avaient pas été respectées par la commune. Le Tribunal, après avoir rappelé que ladite délibération du 6 avril 2011 prévoit que les modalités de la concertation seront « – une exposition en mairie ; – une information dans le bulletin municipal ; la mise à disposition d’un cahier destiné à recueillir les observations du public » note, d’une part, que s’il est constant que le bulletin municipal de novembre/décembre 2011 comprend une information sur le projet de plan local d’urbanisme présentant les objectifs assignés à l’élaboration du plan, cette publication ne mentionne ni l’organisation d’une procédure de concertation, ni la mise en place d’une exposition et d’un registre permettant de recueillir les observations du public ; que, d’autre part, si une exposition a été organisée, cette exposition, qui n’a fait l’objet d’aucune mesure de publicité, ne l’a été qu’à compter de la fin du mois d’avril 2012 ; qu’en outre, faute d’informer les habitants de la commune de ce qu’un registre de concertation était mis à leur disposition, seule une observation a été recueillie sur ce registre ; que, s’il ressort des pièces du dossier qu’une réunion publique ayant réuni une quarantaine de personnes, a été organisée le 19 juin 2012, la commune d’Ozoir-la-Ferrière ne produit aucun élément sur les conditions dans lesquelles le public a été informé de cette réunion et de son objet ; que la très faible information du public…