Fonction publique : précisions du Conseil d’État sur la prise illégale d’intérêts appréhendée par la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique

Fonction publique : précisions du Conseil d’État sur la prise illégale d’intérêts appréhendée par la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique

prise illégale d'intérêts

Par Frank ZERDOUMI, juriste (Green Law Avocats)

Compte tenu de la complexité des systèmes politiques modernes, force est de constater que la loi ne peut pas tout régler, et ce dans un nombre croissant de domaines. Elle doit donc parfois se borner à énoncer des principes, afin que les sujets soient soumis à des règlements ou à des décisions prises au cas par cas. Jusqu’au début des années soixante-dix, ces règlements et ces décisions ont été adoptés par le pouvoir exécutif. Mais cette solution présentait des inconvénients dans certains cas, par exemple lorsque ledit pouvoir manquait de la compétence technique ou de l’impartialité nécessaire dans certaines matières.

C’est pourquoi on a créé des autorités administratives indépendantes telles que la Commission nationale de l’informatique et des libertés en 1978 et la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique en 2013, après l’affaire Cahuzac déclenchée en décembre 2012.

Entre 2019 à 2022, la Commission nationale de l’informatique et des libertés a diligenté un contrôle du site internet www.tiktok.com.

De janvier 2022 à février 2024, la dame A fut agent contractuel affecté au service des contrôles – affaires économiques au sein de la direction de la protection des droits et des sanctions de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Précisément, elle a exercé en qualité d’auditrice des systèmes d’information.

A partir du 3 mars 2022, elle a été habilitée à participer à des missions de vérification.

En juin 2022, elle a participé à la mission de contrôle précitée.

Le 30 juin 2022, elle a signé le procès-verbal de contrôle.

Le 16 février 2024, elle a informé son autorité hiérarchique de son projet de rejoindre, en qualité de responsable de la conformité à la législation sur la protection des données, la société TikTok France.

Le 19 février 2024, le déontologue auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés a émis un avis défavorable à ce projet : il nourrissait des doutes sur la compatibilité de l’activité envisagée avec les fonctions que Madame A avait exercées au sein de la Commission au cours des deux années précédentes.

Ces doutes n’ayant pas été levés, la Présidente de la Commission nationale de l’informatique et des libertés a saisi la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Le 14 mai 2024, la HATVP a pris une délibération dans laquelle elle a émis un avis d’incompatibilité entre le projet de rejoindre la société TikTok et les fonctions de Madame A au sein de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, en raison d’un risque de commission du délit de prise illégale d’intérêts réprimé par l’article 432-13 du Code pénal.

Le 15 juillet 2024, Madame A déposa un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État afin d’obtenir l’annulation de cette délibération.

La décision de quitter la Commission nationale de l’informatique et des libertés pour rejoindre la société TikTok France présentait-il un risque pénal ?

Le Conseil d’État a répondu à cette question par l’affirmative, confirmant ainsi la délibération de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (décision commentée : CE, 16 juin 2025, n° 496007 ).

L’article L. 124-4 du Code général de la fonction publique dispose que :

« L’agent public cessant ou ayant cessé ses fonctions depuis moins de trois ans, définitivement ou temporairement, saisit à titre préalable l’autorité hiérarchique dont il relève ou a relevé dans son dernier emploi afin d’apprécier la compatibilité de toute activité lucrative, salariée ou non, dans une entreprise privée ou un organisme de droit privé ou de toute activité libérale avec les fonctions exercées au cours des trois années précédant le début de cette activité.

Tout organisme ou toute entreprise exerçant son activité dans un secteur concurrentiel conformément aux règles du droit privé est assimilé à une entreprise privée pour l’application du premier alinéa.

Lorsque l’autorité hiérarchique a un doute sérieux sur la compatibilité de l’activité envisagée avec les fonctions exercées par l’agent public au cours des trois années précédant le début de cette activité, elle saisit pour avis, préalablement à sa décision, le référent déontologue. Lorsque l’avis de ce dernier ne permet pas de lever ce doute, l’autorité hiérarchique saisit la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. »

Dans un premier temps, le Conseil d’État a précisé les missions de la HATVP :

« Aux termes de l’article L. 124-12 du code général de la fonction publique : « Dans l’exercice de ses attributions mentionnées à l’article L. 124-10, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique examine si l’activité exercée par l’agent public risque (…) de placer l’intéressé en situation de commettre les infractions prévues aux articles 432-12 ou 432-13 du code pénal ». Pour apprécier ce risque, il appartient à la Haute Autorité, non d’examiner si les éléments constitutifs de ces infractions sont effectivement réunis, mais d’apprécier le risque qu’ils puissent l’être et de se prononcer de telle sorte qu’il soit évité à l’intéressé comme à l’administration d’être mis en cause » (décision commentée : CE, 16 juin 2025, n° 496007, point 6 ).

Dans un second temps, le juge administratif n’a pas manqué de relever que Madame A, en tant qu’agent de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, a participé au contrôle de la société TikTok :

« Pour adopter la délibération attaquée, la HATVP s’est fondée sur ce que la CNIL ayant diligenté, de 2019 à 2022, un contrôle du site internet www.tiktok.com, Mme A, habilitée à procéder à des missions de vérification dès le 3 mars 2022, a participé à cette mission de contrôle, en juin 2022, aux fins d’obtenir des informations complémentaires auprès des sociétés TikTok Technology Limited (TikTok Irlande) et TikTok Information technologies UK Limited (TikTok UK) et a signé le procès-verbal de contrôle en date du 30 juin 2022. En outre, il ressort des pièces du dossier et il n’est d’ailleurs pas contesté que la société britannique « Tiktok Information technologies UK Limites », détient 100 % du capital de la société TikTok France que Mme A entendait rejoindre » (décision commentée : CE, 16 juin 2025, n° 496007, point 7 ).

La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique n’a donc commis aucune erreur d’appréciation :

« En se fondant sur ces éléments pour en déduire que Mme A était susceptible d’être regardée comme ayant été chargée, dans le cadre des fonctions qu’elle avait effectivement exercées au cours des trois années précédant son embauche par la société TikTok France, d’assurer le contrôle d’une entreprise détenant plus de 30 % de capital commun avec la société qu’elle souhaitait rejoindre et qu’elle se trouvait dès lors exposée au risque de commettre le délit de prise illégale d’intérêts défini par les dispositions de l’article 432-13 du code pénal citées au point 5, alors même que Mme A n’aurait participé que très brièvement au contrôle diligenté par la CNIL, dans les derniers jours précédant sa clôture et qu’elle n’aurait pas exercé une influence significative sur ses conclusions, la HATVP n’a pas commis d’erreur d’appréciation » (décision commentée : CE, 16 juin 2025, n° 496007, point 8).

La mise en perspective des fonctions occupées par la requérante au sein de la Commission nationale de l’informatique et des libertés avec son projet d’intégrer la société TikTok France aboutit donc à la confirmation de l’avis de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique par le Conseil d’État.

Besoin d’un avocat sur le sujet, contactez :

Laissez un commentaire

Votre adresse mail ne sera pas publiée