Droits fondamentaux : précisions du juge administratif sur le droit au procès équitable

Droits fondamentaux : précisions du juge administratif sur le droit au procès équitable

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Par Frank ZERDOUMI et Mathieu DEHARBE, juristes (Green Law Avocats)

Le droit à un procès équitable implique de conférer aux justiciables un droit effectif d’accès à la justice, en ce compris le droit de communiquer avec son avocat.

L’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH ) garantit ce droit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. »

« Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution. »

En matière pénitentiaire, les détenus s’en prévalent pour contester leurs décisions de transfert lorsqu’elles ne respectent pas leur droit de communiquer librement avec leurs avocats.

Néanmoins, si les détenus peuvent contester leurs décisions de changement d’affectation, encore faut-il démontrer l’atteinte excessive à ce droit comme l’a évoqué la Cour administrative d’appel de Nantes dans une décision du 2 février 2025 (décision commentée : n° 24NT01293 ).

Pour le contexte, suite à des faits de violence commis par un prévenu, la Directrice interrégionale des services pénitentiaires du grand Ouest a décidé d’ordonner au 16 juin 2020 son transfert à la maison d’arrêt de Brest.

Le 11 juillet 2020, ce prévenu a été transféré.

Il a demandé au Tribunal administratif de Nantes d’annuler cette décision.

Le 27 février 2024, le Tribunal administratif lui a donné raison.

Le 29 avril 2024, le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, a interjeté appel de ce jugement : il soutient que la décision du 16 juin 2020 constituait une mesure d’ordre intérieur ne mettant pas en cause le droit fondamental garanti par l’article 6§1 de la CESDH.

La décision administrative de transférer un prévenu dans une maison d’arrêt éloignée de plus de 300 kilomètres du cabinet de son avocat, à quelques semaines de l’audience, portait-elle atteinte au droit à un procès équitable ?

Dans son arrêt, la Cour juge que l’atteinte à ce droit n’est pas excessive (II), mais qu’un tel changement d’affectation fait grief (I).

I/ Le changement d'affectation d'un détenu, une décision faisant grief

La Cour estime que le changement d’affectation peut être contestée sous les conditions suivantes :

« Eu égard à leur nature et à leurs effets, les décisions de changement d’affectation entre établissements de même nature doivent pouvoir faire l’objet d’un recours, au moins lorsque la nouvelle affectation s’accompagne d’une modification du régime de détention entraînant une aggravation des conditions de détention ou, si tel n’est pas le cas, lorsque sont en cause des libertés et des droits fondamentaux des détenus. » (décision commentée : CAA Nantes, 14 février 2025, n° 24NT01293, point 3 ).

En l’espèce, la décision est attaquable sachant qu’elle concerne des établissements de même nature et qu’elle a placé le requérant dans un lieu de détention éloigné du cabinet de son conseil :

« La décision en litige a pour effet de transférer M. A… de la maison d’arrêt de Nantes vers celle de Brest, qui constituent des établissements pénitentiaires de même nature. S’il n’est pas contesté que ce transfert géographique n’a entraîné aucune modification du régime de détention de l’intéressé, il a toutefois eu pour effet, peu de temps avant l’audience au cours de laquelle devait être jugé ce prévenu, de placer celui-ci dans un lieu de détention éloigné du cabinet de son conseil désigné au titre de l’aide juridictionnelle, situé à Nantes. La décision en litige était, par suite, susceptible de mettre en cause le droit fondamental pour tout accusé à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense. Dans ces conditions, le ministre n’est pas fondé à soutenir que le transfert de M. A… à Brest ne constituerait pas une décision susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. » (décision commentée : CAA Nantes, 14 février 2025, n° 24NT01293, point 3 ).

Le Conseil d’État avait déjà consacré ce principe pour les transferts judiciaires (CE, 12 décembre 2018, Section française de l’Observatoire international des prisons, n° 417244 , point 10 ).

Cette approche s’inscrit dans la politique jurisprudentielle de la Haute juridiction de réduire le périmètre des mesures d’ordre intérieur (CE, Assemblée, 17 février 1995, Hardouin et Marie, n° 97754 ), une démarche encouragée par la Cour Européenne des droits de l’Homme (voir notamment CEDH, Frérot contre France, 12 juin 2007, n° 70204/01 ).

II/ L'appréciation de l'atteinte excessive au droit du détenu de communiquer avec son avocat

Le législateur a encadré le droit de communiquer avec son avocat en matière pénale :

« L’administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L’exercice de ceux-ci ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l’intérêt des victimes. (…). » (article 22 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 ).

« Le permis de communiquer est délivré aux avocats (…), pour les prévenus, par le magistrat saisi du dossier de la procédure (…) » (R. 57-6-5 du code de procédure pénale ).

« La communication se fait verbalement ou par écrit. Aucune sanction ni mesure ne peut supprimer ou restreindre la libre communication de la personne détenue avec son conseil » (article R. 57-6-6 code de procédure pénale ).

En s’appuyant sur ces dispositions et la jurisprudence du Conseil d’État (CE, 25 mars 2015, n° 374401, point 3 ), la juridiction d’appel énonce que ce droit implique que les visites entre le détenu et son conseil permettent la tenu d’échanges confidentiels :

« Il résulte de ces dispositions que les détenus disposent du droit de communiquer librement avec leurs avocats. Ce droit implique notamment qu’ils puissent, selon une fréquence qui, eu égard au rôle dévolu à l’avocat auprès des intéressés, ne peut être limitée a priori, recevoir leurs visites, dans des conditions garantissant la confidentialité de leurs échanges. » (décision commentée : CAA Nantes, 14 février 2025, n° 24NT01293, point 12).

En l’espèce, la Cour a estimé que son transfert ne porte pas une atteinte excessive à ce droit :

« Il ressort toutefois des pièces du dossier que cette dernière, qui avait sollicité le 15 juin 2020 en fin d’après-midi la délivrance d’un permis de communiquer avec son client, a pu bénéficier d’un parloir à la maison d’arrêt de Brest le 13 juillet 2020.

De plus, ainsi qu’il a été dit, cet éloignement de M. A était justifié par son comportement passé en détention et par la nécessité pour l’administration pénitentiaire de prévenir la commission de nouveaux actes de violence à l’encontre du personnel ou d’autres détenus.

Il ne faisait cependant pas obstacle à ce que M. A puisse utilement communiquer avec son avocate en vue de préparer sa défense et il n’est d’ailleurs pas allégué que certaines rencontres ou communications nécessaires auraient été empêchées.

Par ailleurs, il n’apparaît pas que la sérénité de l’établissement dans lequel il était incarcéré depuis le 11 juillet 2020 pouvait être garantie en sa présence quelle que soit l’unité dans laquelle il serait affecté compte tenu des fonctions attribuées au surveillant qu’il avait agressé quelques années auparavant, chargé notamment de procéder à l’ouverture des portes des différents secteurs de la détention.

De plus, il n’est pas établi, compte tenu notamment du taux d’occupation des maisons d’arrêt de la région, que l’intéressé, qui, en sa qualité d’auteur présumé de l’infraction dont il était accusé n’avait pas vocation à être placé en centre de détention, aurait pu être transféré dans un établissement plus proche.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, le moyen tiré de ce que la décision contestée porterait une atteinte excessive à son droit à un procès équitable garanti par l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne peut qu’être écarté » (décision commentée : CAA Nantes, 14 février 2025, n° 24NT01293, point 13 ).

Pour démontrer l’absence de caractère excessif de l’atteinte, la Cour a retenu les circonstances  suivantes :

Cette décision ne fait que reprendre les motifs de l’ordonnance rendue par le Conseil d’État dans le référé-liberté introduit en parallèle par le requérant (CE, 21 juillet 2020, n° 441880, points 5 à 6 ).

Comme souvent en matière de libertés fondamentales, la mise en perspective d’un droit fondamental avec le comportement du titulaire de ce droit aboutit à la prévalence du maintien de l’ordre public, surtout dans un cadre pénitentiaire.

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