L’abaya est toujours interdite à l’école

salle de classe

Par  Frank ZERDOUMI, Juriste et Docteur en droit public (Green Law Avocats)

Le 31 août 2023, le ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse, Gabriel Attal, a pris une circulaire dans laquelle il a indiqué que le port de l’abaya constituait une manifestation ostensible d’appartenance religieuse dans l’enceinte des écoles, collèges et lycées publics, prohibée par l’article L. 141-5-1 du Code de l’éducation, issu de la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics (JORF n°65 du 17 mars 2004).

À la date d’édiction de la note de service correspondant à cette circulaire, cette tenue pouvait donc être regardée comme manifestant ostensiblement une appartenance religieuse. Cette note de service a été adressée par Gabriel Attal aux chefs d’établissements, aux inspectrices et inspecteurs de l’éducation nationale, et aux directrices et directeurs d’établissements à la rentrée 2023 : elle prohibait le port par les élèves de tenues de type abaya dans les écoles, dans les collèges et dans les lycées publics.

L’association Action droits des musulmans a donc saisi le juge des référés du Conseil d’État, sur le fondement de la procédure de référé liberté de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative. Le Conseil d’État a rejeté le référé contre l’interdiction du port de l’abaya à l’école (CE, ord., 7 septembre 2023, Association Action droits des musulmans, n° 487891).

Dans cette ordonnance, le juge des référés du Conseil d’État a considéré qu’une telle interdiction ne portait pas une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, en l’occurrence le droit au respect de la vie privée, la liberté de culte, le droit à l’éducation et le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant, ou le principe de non-discrimination.

Aucune de ces libertés fondamentales n’a subi la moindre atteinte suite à cette interdiction.

Le 25 septembre 2023, dans une seconde ordonnance, le juge des référés du Conseil d’État a refusé, en l’absence de doute sérieux quant à la légalité de l’interdiction décidée, de faire droit à la demande de suspension de la note (CE, ord., 25 septembre 2023, Association La Voix lycéenne, n°487896).

Compte tenu du caractère provisoire des ordonnances de référé, restait à attendre la décision au fond du Conseil d’État.

L’interdiction de l’abaya à l’école est-elle légale ?

Le Conseil d’État a répondu à cette question par l’affirmative : il a confirmé la légalité de l’interdiction de l’abaya à l’école, dans cet arrêt du 27 septembre 2024 (CE, 27 septembre 2024, n°487944, téléchargeable ici).

« Comme il est dit au treizième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958, « la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation et à la culture ; l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État ».


Dans un premier temps, la Haute Juridiction fait le point sur la situation dans les établissements d’enseignement publics :

« En premier lieu, il ressort des pièces des dossiers que les signalements d’atteinte à la laïcité dans les établissements d’enseignement publics adressés au ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse ont connu une forte augmentation au cours de l’année scolaire 2022-2023, 4 710 signalements ayant été recensés, contre respectivement 2 167 et 2 226 les deux années scolaires précédentes. Parmi ces 4 710 signalements, 1 984 étaient relatifs au port, dans les établissements d’enseignement publics, de signes ou tenues méconnaissant les dispositions de l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation, citées au point 2, contre 617 l’année scolaire précédente et 148 lors de l’année scolaire 2020-2021. Il ressort également des pièces des dossiers que la majorité de ces signalements, relatifs au port de signes ou de tenues méconnaissant les dispositions de l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation, concernait le port de tenues de type abaya, vêtement féminin ample couvrant l’ensemble du corps à l’exception du visage et des mains. Le ministre chargé de l’éducation nationale fait valoir à cet égard, sans être sérieusement contredit par les écritures des requérants et les pièces qu’ils ont produites, que le port de ces tenues par des élèves dans les établissements d’enseignements publics s’inscrit dans une logique d’affirmation religieuse, la synthèse des « remontées académiques » du mois d’octobre 2022 faisant apparaître, à ce titre, qu’il s’accompagnait en général, notamment au cours du dialogue engagé avec les élèves faisant le choix de les porter, de discours en grande partie stéréotypés, inspirés d’argumentaires diffusés sur des réseaux sociaux et élaborés pour contourner l’interdiction énoncée par ces disposition. Il ressort ainsi des pièces des dossiers que le port de tenues de type abaya par les élèves dans les établissements d’enseignement publics pouvait être regardé, à la date d’édiction de la note de service contestée, comme manifestant ostensiblement, par lui-même, une appartenance religieuse. Par suite, le ministre chargé de l’éducation nationale, qui était compétent pour ce faire, a exactement qualifié, au vu des circonstances ci-dessus décrites, le port de ce type de tenue en milieu scolaire de manifestation ostensible d’une appartenance religieuse au sens et pour l’application des dispositions de l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation » (CE, 27 septembre 2024, n° 487944, point 5, téléchargeable ici).

La laïcité à la française n’a pas fini de faire l’objet de débats.

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