Du caractère excessivement ciblé du profil d’un poste universitaire

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Par  Frank ZERDOUMI, Juriste et Docteur en droit public (Green Law Avocats)

La juridiction administrative a semble-t-il décidé d’accroître sa sévérité lorsqu’elle est appelée à se prononcer sur d’éventuels recrutements universitaires.

Quand bien même le candidat coopté aurait toutes les qualités adéquates pour occuper le poste, les comités de sélection peuvent manquer d’impartialité (CE, 13 octobre 2023, Mme D. C, n°459205) ou les conseils centraux remettent en cause leur appréciation (CE, 4 avril 2024, Mme A. K et autres, n°475063) et parfois même il y a suppression du recrutement, le candidat coopté n’étant finalement pas jugé suffisamment qualifié (CE, 6 février 2024, M. C. A, n°459106).

Dans le cadre du recrutement d’un Professeur des universités sur un poste « littératures françaises et francophones », M. B. A, Maître de conférences en lettres modernes au centre universitaire de formation et de recherche de Mayotte, a présenté sa candidature à ce poste : il s’agissait en fait de la transformation d’un emploi auparavant pourvu au sein de ce même centre par un Maître de conférences, dans le cadre d’un concours ouvert aux candidats titulaires d’une habilitation à diriger les recherches (HDR).

Le 9 septembre 2022, le comité de sélection du centre universitaire de formation et de recherche de Mayotte a, par délibération, décidé de ne pas l’auditionner et a rejeté sa candidature. Par une délibération ultérieure, il a arrêté une liste de candidats et classé un autre Maître de conférences en première position.

Le 7 novembre 2022, M. B. A saisit le Conseil d’État afin d’obtenir l’annulation de ces deux délibérations.

Le 18 juillet 2023, il déposé une seconde requête afin d’obtenir l’annulation du décret de nomination du Maître de conférences classé en tête et donc devenu Professeur.

Fort logiquement, le Conseil d’État a joint les deux requêtes pour statuer par une seule décision. Le recrutement de ce nouveau Professeur de lettres était-il légal ?

Le Conseil d’État a répondu à cette question par la négative (CE, 17 juin 2024, n°468740, téléchargeable ici).

professeur justice
tapis rouge

« Sous réserve des dispositions statutaires relatives à la première affectation des personnels recrutés par concours national d’agrégation d’enseignement supérieur et des dérogations prévues par les statuts particuliers des corps d’enseignants-chercheurs ou par les statuts des établissements, lorsqu’un emploi d’enseignant-chercheur est créé ou déclaré vacant, les candidatures des personnes dont la qualification est reconnue par l’instance nationale prévue à l’article L. 952-6 et celles des personnes dispensées de qualification au titre du même article L. 952-6 sont soumises à l’examen d’un comité de sélection créé par délibération du conseil académique ou, pour les établissements qui n’en disposent pas, du conseil d’administration, siégeant en formation restreinte aux représentants élus des enseignants-chercheurs, des chercheurs et des personnels assimilés. »

Dans cet arrêt, le Conseil d’État s’est contenté d’examiner le poste querellé :

« Il ressort des pièces des dossier que la fiche de poste établie pour le poste nouvellement créé de professeur des universités en littératures françaises et francophones correspond de manière particulièrement étroite, du fait de la combinaison très précise et ciblée des compétences et thèmes d’enseignement attendus, aux matières enseignées par M. C et aux domaines de recherche dont il est spécialiste. Le caractère excessivement ciblé du profil décrit dans la fiche de poste avait au demeurant été critiqué lors de son élaboration par une professeure du département de lettres à l’université d’Aix Marseille, alors membre du conseil d’administration du centre universitaire de recherche et de formation de Mayotte, au motif qu’il visait à permettre le recrutement d’un candidat prédéfini. Il en résulte que, dans les circonstances de l’espèce, la procédure de recrutement qui a été mise en œuvre est entachée d’une rupture d’égalité entre les candidats. Par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens des requêtes, M. A est fondé à demander l’annulation des délibérations qu’il attaque ainsi que du décret du 14 juin 2023 en tant qu’il nomme M. C professeur des universités et l’affecte au centre universitaire de formation et de recherche de Mayotte » (CE, 17 juin 2024, n°468740, point 4, téléchargeable ici).


À la lumière de cette analyse, force est de constater que, manifestement, la fiche de poste a été spécialement écrite et délimitée pour qu’un seul candidat corresponde : la rupture d’égalité entre les candidats au recrutement est consommée.

En théorie, une fiche de poste doit être rédigée en fonction des besoins en enseignements et en recherche. Il arrive qu’elle soit rédigée à partir des expériences et des spécialités du candidat attendu sur l’emploi, identifié avant même que le poste soit ouvert au recrutement. Cette pratique dont la preuve est certes toujours délicate expose le recrutement à l’annulation contentieuse si elle est rapportée.

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