La démission du Gouvernement Attal : Principes et questions juridiques

démission matignon

Par  Frank ZERDOUMI, Juriste et Docteur en droit public (Green Law Avocats)

Le 8 juillet 2024, au lendemain du second tour des élections législatives anticipées, Gabriel Attal a présenté au Président de la République la démission de son Gouvernement.

Le 17 juillet 2024, Emmanuel Macron l’a acceptée (décret du 16 juillet 2024 relatif à la cessation des fonctions du Gouvernement, JORF, 17 juillet 2024, texte n°1, téléchargeable ici) : depuis, le Gouvernement démissionnaire a expédié les affaires courantes : ensuite, le Gouvernement démissionnaire a expédié les affaires courantes, jusqu’à ce que Michel Barnier soit nommé Premier ministre par Emmanuel Macron, le 5 septembre 2024.

À ce propos, dans un célèbre arrêt de 1962, le Conseil d’État a jugé que :

« selon un principe traditionnel du droit public, le Gouvernement démissionnaire garde compétence, jusqu’à ce que le Président de la République ait pourvu par une décision officielle à son remplacement, pour procéder à l’expédition des affaires courantes » (CE, Ass.,19 octobre 1962, Brocas,req. n°50852 rec. 553).

Dans l’histoire de la V° République, cette situation de 2024 est pour le moins inhabituelle : d’une part, Emmanuel Macron n’a pas accepté immédiatement cette démission, d’autre part, il ne nommera un nouveau Premier ministre que beaucoup plus tard, après avoir procédé à de multiples consultations.

Des questions inédites se sont donc posées, qui nous donnent l’occasion d’évoquer la notion de Gouvernement démissionnaire et celle d’affaires courantes.

Première question : à quelle date le Gouvernement a-t-il démissionné ?

Entre la présentation de la démission du Gouvernement Attal et son acceptation par le Président de la République, nombre de textes importants ont été adoptés, à commencer par la réforme du contentieux des étrangers : le 14 juillet 2024, le décret n° 2024-799 pris pour l’application du titre VII de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration améliorer l’intégration, relatif à la simplification des règles du contentieux a été publié, abrogeant certaines dispositions du Code de justice administrative et modifiant le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (JORF n°0167 du 14 juillet 2024).

Le 2 juillet 2024, le Secrétariat Général du Gouvernement a produit une note consacrée à « L’expédition des affaires courantes ».

C’est cette note qui a servi de fondement et de plaidoyer permettant de répondre aux questions juridiques posées.

D’après le Secrétariat Général du Gouvernement, la date à prendre en considération n’est pas celle à laquelle Gabriel Attal a présenté la démission, mais celle à laquelle cette démission a été acceptée par le Président de la République, c’est-à-dire le 17 juillet 2024, lorsque le décret présidentiel a mis fin aux fonctions du Gouvernement.

Pour tenir ce raisonnement, le Secrétariat Général du Gouvernement s’est appuyé sur deux arrêts du Conseil d’État : l’arrêt Dame Nachin (CE,17 octobre 1962, rec. T. 856) et l’arrêt Commune de Pomerol (CE, 20 janvier 1988, req. n° 62900, rec. 16). Fort de ces deux jurisprudences, il a soutenu que les textes signés par ou pour les membres du Gouvernement le 16 juillet 2024 étaient réputés avoir été signés avant.

calendrier affaires courantes

Cela étant, plusieurs contentieux sont en cours s’agissant des décrets publiés entre la présentation de la démission du Gouvernement Attal et son acceptation par le chef de l’État.

Une fois que la démission a été acceptée, le Gouvernement doit expédier les affaires courantes.

Cette notion a été forgée sous la III° et sous la IV° République : en effet, on a beaucoup glosé sur la question de l’instabilité à cette époque.

À l’évidence, jusqu’à la Première Guerre mondiale, l’instabilité était faible.

Nombreux étaient les gouvernements qui parvenaient à rester en fonction durant plus d’un an et parfois même deux ans. L’instabilité s’est développée à partir de 1920.

Il faut ensuite indiquer qu’il s’agissait d’une instabilité gouvernementale et non d’une instabilité ministérielle. On veut dire par là que si les Gouvernements changeaient souvent, les ministres qui les composaient restaient généralement les mêmes.

Un noyau dur de ministres, généralement détenteurs des postes les plus importants – y compris celui de la présidence du Conseil – restait en fonction par-delà les crises gouvernementales.

Ainsi, sur les 631 ministres de la III° République, 35 se partageaient 25 % des postes ministériels et participaient chacun à plus de 10 gouvernements.

Sous la IV° République, le constat fut le même : sur les 227 ministres, 23 se partageaient 33 % des postes et furent ministres dans au moins 9 gouvernements.

En dehors des ministres éphémères, il existait donc une catégorie de personnalités qui, par-delà les crises, gouvernaient sur de longues périodes, qui plus est en conservant généralement le même portefeuille.
Ainsi, sous la III° République, Aristide Briand fut ministre des Affaires étrangères pendant plus de 8 années consécutives (1925-1932) tandis que de 1945 à 1954 ce même ministère sera partagé entre Georges Bidault et Robert Schuman.

Il n’en demeure pas moins que les Gouvernements furent nombreux au cours de ces deux Républiques : plus d’une centaine sous la III°, et plus de vingt sous la IV°.

Plus grave, la durée des crises, c’est-à-dire des périodes pendant lesquelles le Gouvernement démissionnaire expédiait les affaires courantes en attendant la nomination de son successeur, était de plus en plus longue : de quelques jours au départ à quelques semaines à la fin de la IV° République.

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vote demissionnaire

C’est donc de cette époque que date la notion. Sa mise en œuvre concrète est la suivante : il y a d’une part les affaires ordinaires, et d’autre part les affaires urgentes.

Les affaires ordinaires sont celles qui sont dictées par la marche de l’État, ne nécessitent aucune appréciation politique, et ne posent aucune question juridique délicate.

Les affaires urgentes, quant à elles, sont dictées par une impérieuse nécessité.Ce sont ces deux réalités qui permettent au Gouvernement démissionnaire de Gabriel Attal d’agir.

Seconde question : les ministres démissionnaires peuvent-ils participer aux scrutins de l’Assemblée nationale s’ils ont été élus députés ?

L’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose que :

« Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. ».


Conformément à cet article, la séparation des pouvoirs est une des pierres angulaires de notre Constitution : le pouvoir exécutif ne peut pas participer au pouvoir législatif.

Cela étant, saisi par les députés LFI après la participation de ministres à l’élection de la Présidente de l’Assemblée, le Conseil constitutionnel s’est déclaré incompétent pour trancher cette question (décision n° 2024-58/59 ELEC du 31 juillet 2024 relative à la décision du Bureau de l’Assemblée nationale ayant validé l’élection de Madame Yaël BRAUN-PIVET à la Présidence de l’Assemblée nationale).

Si d’aventure le Conseil d’État était lui-même saisi de cette question, nul doute qu’il se déclarerait également incompétent, car les actes de la vie interne du Parlement relèvent de la notion d’acte de Gouvernement et sont donc insusceptibles de recours.

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