Si j’étais Président, je serais suspendu !

exit tableau

Par Frank ZERDOUMI, Juriste et docteur en droit public (Green Law Avocats)

 Le 7 mars 2023, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a reçu un courrier l’alertant d’agissements de harcèlement moral à l’Université de La Réunion.

Après une enquête administrative de quatre mois, par arrêté en date du 6 octobre 2023, la ministre a décidé de suspendre le Président de l’Université, également Professeur des Universités, pendant une durée d’un an.

Ce dernier ayant été placé en congé de maladie du 10 octobre 2023 au 27 octobre 2023, la ministre a pris un nouvel arrêté le 27 octobre 2023, décidant ainsi de suspendre le Président de l’Université jusqu’au 9 octobre 2024.

Ce dernier a donc déposé deux requêtes, la première le 23 octobre 2023, la seconde le 27 décembre 2023.

Dans la première, il demandait l’annulation du premier arrêté et, dans la deuxième, celle du second.

Quelles sont les conséquences d’une mesure de suspension vis-à-vis d’un Président d’Université, membre du personnel de l’enseignement supérieur ?

Pour le Conseil d’État, cette mesure de suspension entraîne la suspension de ses fonctions au sein de l’établissement ainsi que la suspension de son droit d’accès aux locaux de l’Université.

C’est l’occasion pour le juge administratif de préciser les effets attachés à une mesure de suspension d’un membre du personnel de l’enseignement supérieur.

« Le ministre chargé de l’enseignement supérieur peut prononcer la suspension d’un membre du personnel de l’enseignement supérieur pour un temps qui n’excède pas un an, sans privation de traitement. »

Dans un premier temps, le Conseil d’État qualifie juridiquement la mesure de suspension :

«La mesure de suspension d’un membre du personnel de l’enseignement supérieur, prise sur le fondement de ces dispositions, revêt un caractère conservatoire et vise à préserver l’intérêt du service public universitaire. Elle ne peut être prononcée que lorsque les faits imputés à l’intéressé présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité et que la poursuite des activités de l’intéressé au sein de l’établissement universitaire où il exerce ses fonctions présente des inconvénients suffisamment sérieux pour le service ou pour le déroulement des procédures en cours. En l’absence de poursuites pénales, son maintien en vigueur ou sa prorogation sont subordonnés à l’engagement de poursuites disciplinaires dans un délai raisonnable après son édiction.» (CE, 28 mai 2024, n° 488994, point 5, téléchargeable ici).

amphitheatre

Dans un second temps, la Haute Juridiction rappelle le statut du Président et précise les conséquences de sa suspension :

«Le président de l’université est au nombre des membres du personnel de l’enseignement supérieur susceptibles de faire l’objet d’une mesure de suspension prise par le ministre chargé de l’enseignement supérieur sur le fondement de l’article L. 951-4 du code de l’éducation, sans préjudice de l’exercice par le ministre des pouvoirs qu’il tient à titre exceptionnel de l’article L. 719-8 du même code. Une mesure de suspension prise à l’égard du président de l’université a nécessairement pour effet de suspendre l’exercice par l’intéressé de l’ensemble de ses fonctions dans l’établissement et fait, en particulier, obstacle à ce qu’il continue de présider le conseil d’administration de l’établissement et d’y siéger comme de préparer et d’exécuter ses délibérations» (CE, 28 mai 2024, n° 488994, point 7, téléchargeable ici).

Cette précision des effets de la suspension est une application de la jurisprudence du Conseil d’État depuis une dizaine d’années.

Ainsi, dans un arrêt du 10 décembre 2014 (CE, 10 décembre 2014, M. B A, n° 363202), le Conseil d’État a jugé que, en l’absence de poursuites pénales, le maintien en vigueur ou la prolongation de la suspension d’un membre de l’enseignement supérieur était subordonné à l’engagement de la procédure disciplinaire dans un délai raisonnable.

Quelques années plus tard, dans un arrêt du 18 juillet 2018 (CE, 18 juillet 2018, M. C B, n° 418844), le Conseil d’État a précisé que l’Administration devait abroger une décision de suspension d’un fonctionnaire, Professeur à l’Université Paris VIII, si des éléments nouveaux pouvaient faire douter de la réalité des faits qui lui étaient reprochés.

L’arrêt du 28 mai 2024 apporte des précisions supplémentaires quant à la suspension des Professeurs et/ou des Présidents d’Université, une sorte de mode d’emploi.

En conséquence, qu’il s’agisse de l’exercice de ses fonctions au sein de l’établissement ou des droits qui y sont attachés, tout cela est suspendu : les activités d’enseignement et de recherche comme le droit d’accéder aux locaux, sans qu’il soit besoin de formaliser une autre décision sur le sujet.

Besoin d’un avocat sur le sujet, contactez :