Marché de partenariat pour le Grand Stade de Lille : La MEL condamnée à verser 28 millions d’euros par le Tribunal administratif de Lille

stade Pierre Mauroy

Par Gaspard LEBON, avocat collaborateur (Green Law Avocats)

Par un jugement en date du 31 août 2023, le Tribunal administratif de Lille a condamné la Métropole européenne de Lille à verser à la société Elisa, titulaire du marché de partenariat portant sur la conception, le financement, la construction, l’entretien, la maintenance et l’exploitation du Grand Stade de Lille pour une durée de 31 ans, la somme de près de 28,5 millions d’euros (req. n°1506261, téléchargeable ci-dessous).


Cette condamnation spectaculaire avec des montants relativement inédits pour le juge administratif mérite que soit rappelé le raisonnement retenu par les magistrats lillois.

DANS UN PREMIER TEMPS, le Tribunal administratif fait d’abord application d’une clause interprétative du contrat, tout en en interprétant son économie selon la commune intention des parties, pour fixer la date contractuellement exigée du dépôt de la demande de permis de construire du Grand Stade, au 16 octobre 2008.

Partant, la juridiction de première instance examine ensuite le rétroplanning contractuellement stipulé dans le montage. Elle en conclut que la mise à disposition contractuelle du stade devait être reportée de 156 jours, soit au 19 décembre 2012, en raison de causes ne résultant pas du fait du titulaire (dont un retard de la MEL à communiquer des pièces nécessaires au dépôt de la demande de permis de construire, ou encore un retard dans l’organisation de l’enquête publique, du fait d’une demande de la MEL visant à la mener conjointement avec celles relatives à la révision du plan local d’urbanisme).

Ce faisant, le Tribunal en déduit que la MEL ne pouvait ni retenir le 27 juillet 2012 comme date de mise à disposition contractuelle des ouvrages ni, en conséquence, appliquer des pénalités de retard du fait d’une mise à disposition effective intervenue le 26 octobre 2012. Le jugement condamne en conséquence la MEL à verser à la société Elisa le montant des pénalités infligées à tort par la collectivité, soit 4.368.235,09 euros.

DANS UN DEUXIÈME TEMPS, le jugement énonce que si la MEL était bien fondée à appliquer à la société Elisa des pénalités en raison du retard dans la levée de certaines réserves, il sanctionne toutefois une application par la Métropole d’un mauvais taux, aboutissant à un trop-versé de 818 000 euros.

Il rectifie encore le montant de pénalités appliquées à raison des réserves dites « non levables », en se fondant principalement sur le rapport d’expertise produit à l’occasion de cette instance, lequel indiquait, tantôt que certains engagements avaient été respectés par le titulaire du marché, tantôt que le montant des pénalités avait été surévalué, aboutissant à un trop-versé de 9.550.596, 58 euros.

DANS UN TROISIÈME TEMPS, la MEL avait opéré une compensation entre ces pénalités de retard, dues par le titulaire, et la redevance trimestrielle, due par la Métropole en contrepartie de la mise à disposition de l’ouvrage par le titulaire durant l’exécution du marché de partenariat.

Seulement, dans le cadre de cette compensation, la Métropole avait opéré une déduction de TVA sur les redevances trimestrielles versées au titulaire, pour un montant total de 4.190.493,19 euros.

Sur ce point, le Tribunal rappelle que les pénalités de retard constituent des indemnités forfaitaires, sans lien avec une quelconque prestation. Ce faisant, il en déduit que la circonstance que ces dernières viennent en déduction du montant des redevances versées n’a ni pour objet ni pour effet d’en modifier la nature et ne pouvait, dès lors, pas donner lieu à déduction de TVA.

DANS UN QUATRIÈME TEMPS, le Tribunal rappelle avec fermeté le principe de la force obligatoire du contrat, en sanctionnant un mode de calcul de la redevance trimestrielle dont les modalités ont été unilatéralement retenues par la Métropole.

Pour cause, alors que, lors de la procédure de mise en concurrence pour l’attribution du marché de partenariat, un taux de rendement interne (TRI) de 8.61% avait été retenu afin de satisfaire le test de robustesse, la MEL a procédé à une actualisation du montant de la redevance due au titre de la maintenance et de l’exploitation du stade en tenant compte du respect d’un TRI de 7,43%.

Ce mode de calcul, contraire aux stipulations du contrat, est sanctionné par le Tribunal administratif, qui condamne la MEL à verser, pour la période courant du 12 août 2012 au 31 décembre 2022, la somme de 9.506.186,15 euros, correspondant à la différence entre les deux montants.
En creux, ici, le Tribunal rappelle la Métropole à l’ordre : finalement, une telle modalité de calcul apparait, aussi, comme une remise en cause des conditions initiales de la mise en concurrence.

ENFIN, DANS UN CINQUIÈME ET DERNIER TEMPS, le Tribunal administratif ne fait pas droit aux conclusions de la société tendant à l’indemnisation de travaux supplémentaires.

Rappelons à cet égard qu’en principe, le titulaire d’un marché peut être indemnisé pour les prestations non prévues dans le marché, qui ne sont même pas demandées par un ordre de service de l’acheteur, mais qui s’avèrent indispensables pour permettre une exécution du contrat dans les règles de l’art (CE, 3 décembre 2012, Société Baudin Châteauneuf, n° 347940).

Il appartient toutefois au titulaire de démontrer le caractère indispensable des prestations, la seule réalisation de prestations supplémentaires ne suffisant évidemment pas à obtenir une indemnisation (CAA Marseille, 9 juillet 2012, n° 10MA00364).

Les sommes obtenues couvrent alors tant les dépenses utiles que le manque à gagner, mais peuvent toujours être atténuées à proportion des fautes et malfaçons commises par le titulaire.

En l’espèce, tout en manifestant son attachement aux règles ci-dessus rappelées, le Tribunal administratif prend soin d’en écarter l’application, en relevant que :

« Compte tenu des spécificités ainsi rappelées du contrat de partenariat en litige, et plus particulièrement de l’étendue de la mission confiée à la requérante ainsi que de la charge financière de la réalisation des ouvrages, les prestations qui, même non expressément prévues par ce contrat, s’avèrent nécessaires à sa bonne exécution dans le respect des règles de l’art ne peuvent, en principe, donner lieu à indemnisation par la MEL et doivent rester à la charge du titulaire ».

Pour écarter en l’espèce l’application du principe de l’indemnisation des travaux supplémentaires indispensables afin de permettre une exécution du contrat dans les règles de l’art, le jugement relève que les stipulations du marché de partenariat prévoyaient expressément que le titulaire assurait « seul et entièrement » sa maîtrise d’ouvrage, ou encore qu’il assurait « à ses risques et périls, dans les conditions définies par le contrat, le financement de la construction du Grand Stade ».

Pour les magistrats certains travaux n’étaient pas indispensables, mais relevaient plutôt du pur confort, voire, pour certains, s’expliquaient par des difficultés techniques insuffisamment anticipées par le titulaire. Ce faisant, il rejette les conclusions indemnitaires de la société Elisa sur ce point.

Il n’en demeure pas moins que sur les presque 50 millions d’euros réclamés, la Métropole européenne de Lille devra en verser près de 28 millions et demi… affaire à suivre.